Cela fait aujourd'hui un peu plus de deux siècles que la maladie de Parkinson a été décrite pour la première fois. "Et pourtant, nos connaissances et les options thérapeutiques disponibles restent en constante évolution", assure le Pr Patrick Cras, chef du service de neurologie des cliniques universitaires d'Anvers (UZA). À l'approche de la Journée mondiale du Parkinson, ce 11 avril, il revient avec les spécialistes de la motricité de son équipe sur quelques sujets hautement pertinents.
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"C es derniers temps, l'attention se concentre surtout sur les traitements susceptibles d'aider les patients à un stade plus avancé de la maladie", explique le Pr Cras. " La stimulation cérébrale profonde s'affine de plus en plus et nous commençons à avoir davantage prise sur les complications du traitement médicamenteux. Depuis peu, les symptômes non moteurs de la maladie suscitent également un grand intérêt, parce qu'ils représentent souvent une menace beaucoup plus grande pour la qualité de vie du patient que les plaintes motrices proprement dites." " La stimulation cérébrale profonde est utilisée chez les patients dont les symptômes moteurs sont trop peu maîtrisés par un traitement médicamenteux", enchaîne le Pr David Crosiers. " Nous n'appliquons toutefois pas cette technique aux premiers stades de la maladie ; elle ne sera envisagée qu'après cinq ans ou plus, chez les patients présentant des fluctuations motrices, des dyskinésies ou des tremblements fortement invalidants." " Plus concrètement, en vue de la stimulation cérébrale profonde le neurochirurgien implante bilatéralement une électrode dans le noyau sous-thalamique, un noyau cérébral qui présente une hyperactivité chez les patients atteints de la maladie de Parkinson et perturbe ainsi le réseau moteur des ganglions de la base. Lorsque l'on fait passer un courant dans l'électrode, l'activité du noyau sous-thalamique diminue, ce qui permet à ce réseau de se rétablir et améliore largement la symptomatologie motrice, ainsi que les fluctuations on-off. Grâce au recours à la stimulation cérébrale profonde, il est possible d'abaisser fortement le dosage du traitement médicamenteux, généralement de 50% voire plus. Dans la foulée, les effets secondaires du traitement sont aussi beaucoup plus légers et on verra par exemple disparaître les dyskinésies." " La stimulation cérébrale profonde est une technique qui existe depuis une trentaine d'années déjà, mais qui a encore été améliorée dans un passé récent - grâce, notamment, au recours à des électrodes directionnelles qui permettent de cibler d'une façon plus précise l'application du courant électrique au niveau du noyau sous-thalamique. L'effet clinique s'en trouve amélioré, tout comme la durée de vie de la batterie. Un autre bénéfice important réside dans la diminution potentielle des effets secondaires du traitement. On sait en effet que la stimulation cérébrale profonde peut parfois stimuler accidentellement d'autres voies nerveuses situées à proximité et provoquer par exemple une dysarthrie ou une sensation de picotement. Une application plus ciblée du courant peut contribuer à éviter ce type de problème." " Entre-temps, il existe également des électrodes capables de mesurer l'activité électrique du noyau sous-thalamique et de la zone environnante (les "potentiels de champ local"), ce qui permettra à l'avenir d'administrer la stimulation sur la base des valeurs mesurées. Baptisée closed-loop stimulation, cette technique n'est pas encore utilisée dans la pratique clinique, mais ce n'est probablement plus qu'une question de temps." " Les maladies neurodégénératives ont en commun qu'elles débutent vraisemblablement de nombreuses années avant l'apparition des premières manifestations cliniques qui déboucheront sur le diagnostic", reprend le Pr Cras en préambule à une autre thématique. "Durant toute cette période, nous n'avons donc pas l'occasion de les traiter. C'est pour cela que nous cherchons des marqueurs susceptibles de jouer un rôle dans leur détection précoce, l'une des pistes potentielles étant l'analyse du sommeil." " Les troubles du sommeil sont l'un des symptômes non moteurs de la maladie de Parkinson", confirme le Dr Femke Dijkstra. " Ils se développent régulièrement à un stade plus précoce que les problèmes moteurs, ce qui peut pousser le patient à consulter en première instance un spécialiste du sommeil. Il serait donc souhaitable que celui-ci puisse disposer d'un instrument capable d'orienter ses suspicions cliniques vers une maladie de Parkinson débutante. C'est pour cela que je m'attache actuellement à analyser des examens du sommeil au cours desquels sont enregistrés toute une série de paramètres, comme par exemple l'activité cérébrale et musculaire, la respiration, la fréquence cardiaque, etc. Je me concentre tout particulièrement sur des anomalies dont nous savons qu'elles se rencontrent dans la maladie de Parkinson. L'un des exemples les mieux connus est celui du trouble du comportement du sommeil paradoxal, caractérisé par l'absence de l'atonie musculaire qui survient normalement au cours de cette phase du sommeil. Les patients confrontés à ce problème vont se mettre à agir pendant des rêves qui semblent souvent très agités, ce qui se manifeste par des cris, des mouvements des bras, des coups de pied... Ce trouble du sommeil se manifeste parfois déjà dix à vingt ans avant l'apparition des premiers symptômes moteurs. J'essaie actuellement d'examiner s'il est possible d'élargir le spectre des marqueurs précoces dans le cadre de l'examen du sommeil. Peut-être existe-t-il en effet des anomalies beaucoup plus subtiles qui peuvent avoir une valeur prédictive." Y a-t-il déjà quelque chose à faire à un stade si précoce de la maladie? " Nous ne disposons pas encore de médicaments capables de freiner la maladie", concède le Dr Dijkstra. " Néanmoins, comme le Dr De Waele va vous l'expliquer dans un instant, les patients se sentent souvent déjà différents plusieurs années avant l'apparition des plaintes motrices associées au Parkinson. Si on leur explique à ce moment qu'ils se trouvent probablement à un stade précoce de la maladie, les problèmes seront plus faciles à interpréter pour eux-mêmes et pour leur entourage - de quoi éviter bien des difficultés relationnelles et des frustrations! Le médecin pourra aussi leur donner des conseils pour une alimentation saine et une dose suffisante d'activité physique, deux facteurs dont l'effet bénéfique sur l'évolution du Parkinson est de plus en plus clairement établi. Enfin, par analogie avec ce qui se fait déjà pour l'Alzheimer, des études seront probablement organisées dans les années à venir afin de déterminer si l'initiation précoce du traitement médicamenteux peut livrer un bénéfice. Dans cette optique, la détection précoce de la maladie pourrait être d'autant plus importante." " La maladie de Parkinson s'accompagne aussi de modifications du comportement, dont certaines sont influencées par les médicaments", explique le Pr Cras . "Il y a quelques années, on a beaucoup parlé de celles qui se développent sous l'effet des agonistes de la dopamine, qui peuvent parfois provoquer des problèmes d'impulsivité ou d'autres types de comportements inadaptés, et en particulier une hypersexualité. À l'inverse, le patient peut toutefois aussi devenir apathique." L'apathie, justement, c'est le champ de recherche du Dr Ségolène De Waele. " Il s'agit d'un symptôme jusqu'ici un peu sous-estimé de la maladie de Parkinson", explique-t-elle . "Elle n'est souvent évoquée qu'à la va-vite au cours de la consultation, alors même qu'elle peut avoir des répercussions bien réelles sur le fonctionnement du patient et sur ses rapports avec ses proches. Bien souvent, l'entourage ne comprend pas pourquoi il n'est plus lui-même et, comme le Dr Dijkstra vient de l'expliquer, c'est souvent une source de frustrations." " Je voudrais dresser le tableau du phénomène, en m'appuyant sur un questionnaire plus sensible que les outils plus anciens utilisés à cette fin. J'espère ainsi attirer un peu plus l'attention sur l'apathie, afin d'améliorer la compréhension qu'en ont les patients et leurs proches et leur capacité à la gérer." " Le recours à ce questionnaire plus sensible révèle que l'apathie se rencontre plus fréquemment qu'on ne le pensait chez les patients parkinsoniens, qui sont nombreux à affirmer en souffrir depuis des années. Avant même d'être diagnostiqués, ils remarquaient déjà qu'ils avaient moins envie de voyager ou qu'ils prenaient moins d'initiatives au travail." " C'est un problème qui reste encore difficile à traiter, mais des études à petite échelle et des cas cliniques ont tout de même mis en avant un certain nombre de pistes pharmacologiques. Un patch de rivastigmine, un inhibiteur de la cholinestérase, a par exemple un effet favorable sur l'apathie chez certains patients, mais pas tous. L'exercice physique en groupe semblait également améliorer ce symptôme dans une étude. Pour l'instant, nous ne disposons toutefois encore ni de résultats concluants ni d'un protocole de traitement standardisé. Dans un premier temps, il s'agira avant tout de sensibiliser toutes les personnes concernées à cette problématique."