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L'âge du début de la puberté chez les filles, que l'on mesure par le développement du sein en identifiant un bourgeon mammaire et un élargissement de l'aréole, a diminué de près de trois mois pour chaque décennie depuis 1977, selon une nouvelle méta-analyse publiée dans Pediatrics. Des résultats qui ont des conséquences cliniques : le seuil standard de huit ans sous lequel on doit suspecter le développement pathologiquement précoce du sein peut devoir être reconsidéré, selon l'analyse de Camilla Eckert-Lind de l'Université de Copenhague. Qui écrit que " la communauté médicale a besoin de données actuelles et pertinentes pour redéfinir la 'puberté précoce', car la définition traditionnelle peut être dépassée, au moins dans certaines régions du monde". Car cela pourrait aboutir à une imagerie par résonance magnétique cérébrale inutile chez les filles en bonne santé." Il faut rechercher la cause de la puberté précoce en sachant que les pubertés précoces tumorales, si elles sont rares, restent une priorité diagnostique", explique le Pr Claudine Heinrichs, cheffe de clinique d'endocrinologie générale à Hôpital des enfants Reine Fabiola. " De précédents travaux avaient montré cet avancement de l'âge de l'apparition du bourgeon mammaire (appelé stade M2). Mais les résultats ont varié selon que l'on se contente d'observation ou que l'étude utilise la palpation. La puberté normale résulte d'une maturation d'une zone essentielle du cerveau, au niveau de l'hypothalamus. Durant l'enfance, la puberté est essentiellement freinée (période de quiescence). En fin d'enfance, l'hypothalamus mûrit et commence à sécréter de façon pulsatile du GnRH, qui va entraîner la sécrétion par l'hypophyse de gonadotrophines LH et FSH. Sous l'influence de ces dernières, les ovaires vont produire des hormones féminines, des oestrogènes, qui, via la circulation sanguine, vont entraîner le début du développement des glandes mammaires. Ce processus de maturation centrale qui déclenche cette sécrétion de GnRH au niveau de l'hypothalamus est complexe et encore largement inconnu. Néanmoins, cet hypothalamus reçoit des messages du corps, notamment du tissu adipeux via la leptine. Interviennent aussi des marqueurs génétiques, ainsi que vraisemblablement des perturbateurs endocriniens. L'obésité est un facteur de risque de voir la puberté se déclencher plus tôt."Pour le Pr Claudine Heinrichs, il est incontestable que ce phénomène doit amener à revoir la limite habituelle de huit ans sous laquelle on met en route une mise au point de recherche de puberté précoce chez la petite fille avec début de développement mammaire. " On peut guetter, par palpation, une boule qui grandit sous le sein. Mais aussi observer si c'est une enfant qui grandit vite, si une éventuelle grande soeur a eu ses règles tôt. Il faut aussi avoir recours à une anamnèse familiale. L'utérus devient plus grand à l'échographie, ce qui signe la présence d'oestrogènes dans le sang. En cas de diagnostic de puberté précoce centrale, on continue à proposer une IRM de la région hypothalamo-hypophysaire ; en effet, une malformation ou une lésion tumorale pourrait avoir provoqué une puberté précoce, en diminuant la freination de l'axe gonadotrope au niveau de l'hypothalamus. Toutefois, la puberté précoce, nettement plus fréquente chez la fille que le garçon, est le plus souvent idiopathique. Il faut peser sa décision dans la balance entre bénéfices et risques, et certainement revoir l'âge seuil en-dessous duquel nous initions cette mise au point, et ne pas explorer des pubertés simplement avancées mais normales, et non précoces."Mais pourquoi ce phénomène ? " Il faut savoir qu'en 1800, la ménarche n'advenait qu'à 16-17 ans. Il est clair que c'est essentiellement l'amélioration socio-économique et l'alimentation qui ont amené à diminuer le début de la puberté au niveau que nous connaissons aujourd'hui. Le mécanisme a été constant jusque dans les années 80, où il s'est considérablement ralenti. Toutefois, ces dernières années, on constate que ce rajeunissement du début de la puberté s'accentue, sans doute sous l'effet de l'épidémie d'obésité qui frappe la planète. Or, le surpoids est clairement un critère de risque pour une puberté précoce", explique Alfred Bernard, professeur émérite à l'UCLouvain et directeur de recherches au FNRS." Depuis trente ans se pose plus clairement l'intervention de perturbateurs endocriniens. Plus de huit cents molécules de notre environnement sont identifiés comme candidats perturbateurs. Et il y a un robuste faisceau de présomptions qui les relie à cet effet sur la puberté. A ce stade, on ne peut néanmoins affirmer une causalité certaine. Pourquoi ? Parce que les fenêtres de l'exposition s'étendent sur une très longue période. Est-ce prénatal, néonatal, durant la petite enfance ou au début de la puberté ? Les retardateurs de flamme, par exemple, semblent donner des résultats discordants et même contradictoires selon qu'on y soit exposé au stade néonatal ou lors de la puberté."" Une autre difficulté réside dans le fait qu'il faut distinguer l'effet de ces perturbateurs avec celui du surpoids, du PCB, de la dioxine, du DDT, toutes des substances lipophiles. Neutraliser les cofacteurs est donc particulièrement difficile. D'autant que les expositions ne sont pas monotones, c'est-à-dire que le risque ne décroît pas ou ne s'accroît pas de manière proportionnelle à la dose. Pour compliquer encore les choses, les perturbateurs endocriniens ne restent pas visibles dans l'organisme, ils sont rapidement éliminés... ce qui ne veut pas dire que leur effet ne perdure pas. Avec des métaux lourds comme le plomb, on peut les quantifier durant des années. Pas les pesticides, plastiques et autres bisphénol et phtalates." Et c'est sans compter l'effet cocktail, qui voit apparaître des mécanismes comme 1+1=3. Ou les effets contradictoires de certains perturbateurs, qui se neutralisent dans certains mélanges.Que faire alors pour protéger son " exposome" ? " Bannir le plus possible les plastiques, les plastifiants, les organochlorés, les pesticides, la dioxine et les PCB", réplique Alfred Bernard. " Parce qu'outre les effets sur la puberté, ces produits peuvent agir sur la fertilité, sur les cancers hormonodépendants, sur le dimorphisme sexuel. Maintenant, il ne faut pas voir tout en noir. Ce sont les oiseaux qui sont les plus sensibles à la présence de polluants. Le pic noir est revenu dans les bois namurois après des années d'absence. Et le pélican gris est de retour dans les Grands Lacs nord-américains. C'est la preuve que les mesures prises ont déjà un effet bénéfique. La résilience de la nature est fascinante."