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Le journal du Médecin: Quels leviers devraient être activés pour réformer efficacement le système de soins de santé? Dr Gilbert Bejjani: La réforme doit se concentrer sur plusieurs leviers structurels: le financement basé sur la valeur (Value-Based Healthcare) pour commencer. Le constat est simple, accepté sur toute la planète. Ce concept, développé par Michael Porter [1], économiste de la santé à Harvard, repose sur une idée clé: améliorer les résultats pour les patients, tout en réduisant les coûts. L'essai de Porter définit la "valeur" comme étant le rapport entre les résultats obtenus (outcomes) et le coût total. On peut inclure également des dimensions comme l'impact environnemental, par exemple le coût carbone. En Belgique, nous avons un problème majeur: environ 10% des hospitalisations sont associées à des complications ou à des infections nosocomiales évitables. Ces incidents sont un échec en matière de valeur ajoutée. Pourtant, nous sommes incapables de mesurer précisément le coût d'une opération à l'hôpital. C'est une lacune fondamentale. Sur une échelle de 1 à 10, où se situe la Belgique en termes de Value-Based Healthcare ? Nous sommes à 2 sur 10, au maximum. Il n'existe pratiquement aucun incitant pour encourager les soins basés sur la valeur. Cela fait 30 ans qu'on en parle, mais rien ne bouge. Pour changer les choses, il faut transformer le mode de financement. C'est le bras de levier principal. Nous devons également utiliser le bras normatif, par exemple en fixant le nombre d'accouchements pour les maternités, le nombre de lits aux soins intensifs, ou la taille d'un service d'urgence, mais aussi en concentrant les cancers lourds dans des centres d'excellence. Nous ne pouvons pas continuer à surfinancer ce qui rapporte peu de valeur ajoutée. Il est crucial de répartir les tâches de manière plus rationnelle. Par exemple, il est absurde d'avoir six ou sept centres de chirurgie cardiaque à Bruxelles. Les grands centres devraient se concentrer sur les cas complexes, tandis que les petits hôpitaux pourraient gérer des pathologies plus simples. Cette rationalisation permettrait d'optimiser les ressources humaines et financières, tout en améliorant la qualité des soins. Il se dit que votre syndicat est trop corporatiste... C'est une critique facile. L'Absym bouge, se réforme et se féminise (...) Mais je dis souvent "Oui, mais...", plutôt que simplement "non" aux réformes ou aux propositions qui nous sont soumises. C'est une approche constructive. Cette marque de fabrique donne, je trouve, un nouveau visage au syndicalisme. Cela étant, je ne suis pas le seul qui décide, loin de là. Il y a un organe d'administration fédéral, un comité directeur et un président. D'ailleurs, le prochain président devrait être un francophone, et c'est vrai que je n'ai pas encore songé à la possibilité de me présenter à l'élection fédérale de l'Absym. L'Absym est composée de chambres paritaires à tous les niveaux, entre médecins généralistes et spécialistes, mais aussi entre francophones et néerlandophones. Historiquement, il y avait trois chambres francophones qui se répartissaient les postes d'administrateurs (et les voix) en trois tiers. Mais depuis la fusion de deux d'entre elles, il y a, pour certains, l'impression d'un déséquilibre dans la représentation francophone. Il faut aussi rappeler que lors des élections syndicales, au moment du vote pour choisir les syndicats, on ne sait pas précisément qui vote pour quelle chambre. Seulement qui vote pour l'Absym dans son ensemble. De ce fait, la parité est essentielle, parce qu'elle donne un poids égal à chacune des parties membres. Je ne sais pas encore si je me porterai candidat. Mais si c'est le cas, mon engagement de campagne sera basé sur un "oui, mais", dans une dynamique de renforcement de la concertation et de la démocratie interne et des actions concrètes sur des points fondamentaux et tangibles pour tous, comme la nécessaire revalorisation des consultations mais aussi des permanences en général et de la disponibilité, notamment à l'hôpital. Vous parlez parfois de combats perdus. Avez-vous des exemples? Nous avons perdu certains combats importants, comme la limitation des suppléments pour les chambres à deux lits, ce qui est une entrave à la liberté de pratique pour des médecins hors convention. Le projet BIM est aussi un échec pour le secteur de l'ambulatoire, ou encore des réformes imposées comme la vaccination par les pharmaciens. Nous avons parfois péché par le non, sans alternatives négociables (c'est mon avis personnel, bien sûr). La norme de croissance est un autre bon exemple. Nous n'en avons quasi jamais bénéficié. Quand il y a eu des marges, elles ont souvent été réinvesties dans d'autres "silos", puisque vraisemblablement nous ne sommes pas le "silo" qui a les faveurs des politiques. Pour les prestations chirurgicales par exemple, si on regarde de 2010 à 2020, nous avons perdu presque dix points d'index. C'est inadmissible. Nous avons aussi subi une perte de représentation au Comité de l'assurance. La composition a été diluée avec l'ajout de nouveaux membres, ce qui fragilise notre place dans le système. Aujourd'hui, nous n'avons presque aucune majorité nulle part. Dans la Commission paritaire médecins- hôpitaux, des mandats ont été ajoutés aussi pour des universitaires et des assistants, ce qui complique encore plus les votes.