La situation financière des hôpitaux n'est pas au beau fixe. Un constat répété par l'étude Maha qui voit la situation se détériorer d'année en année, surtout au sud du pays. Les crises successives ont ajouté un sentiment d'urgence. L'inflation déflorera à coup sûr la trésorerie de tous les hôpitaux du pays. Face à des banques davantage frileuses, les institutions de soins peuvent trouver des alternatives à l'instar de Wallonie Santé, le fonds d'investissement wallon dédié au financement des acteurs de l'action sociale et de la santé.
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Le journal du Médecin: Pouvez-vous présenter Wallonie Santé et les derniers produits lancé par le fonds? Philippe Buelen, CEO de Wallonie Santé: Wallonie Santé a été créée à l'initiative du gouvernement wallon afin de développer le pôle "investissements santé" de la Région. Il s'agit du premier outil économique régional wallon actif dans les domaines de l'action sociale et de la santé. Dans notre activité quotidienne, nous avons toujours une attention particulière pour l'efficacité et l'efficience énergétique des investissements que l'on cofinance. Je prends un exemple: le Legia Park adossé au MontLégia est un dossier de 84 millions d'euros d'investissement. Dans ces 84 millions d'investissement, Wallonie Santé a investi dix millions d'euros pour améliorer l'efficacité et l'efficience énergétique avec la norme la plus contraignante dans le secteur - la norme Breeam (un standard de certification britannique relatif à l'évaluation environnementale des bâtiments, ndlr). Parallèlement à cela, nous avons développé deux produits spécifiques. Le premier, c'est Green Health. Il s'agit d'un prêt classique avec une référence au taux OLO, qui est un taux inférieur au taux du marché. Les demandes explosent. Nous avons tous les jours cinq à six demandes supplémentaires. Toutes les entreprises sprintent actuellement pour profiter du dispositif. Malheureusement, les taux ont remonté. Le taux OLO est aujourd'hui de 2,32% alors qu'il était de -0,03% l'an dernier. Les entreprises auraient pu être plus prévoyantes à ce sujet car la remontée des taux ne date pas d'hier. Le deuxième produit, c'est le tiers-investisseur. Par exemple, une société veut installer des panneaux photovoltaïques. Dans ce schéma, l'institution bénéficiaire ne paie rien et ne s'occupe de rien: le projet de l'installation et son fonctionnement sont entièrement assurés par Demainvest, détenue à 51% par Luminus et à 49% par la Sogepa (dont Wallonie Santé est une filiale, ndlr). Après une dizaine d'années, maintenant encore moins vu la situation énergétique, la société devient pleinement propriétaire de l'installation, et c'est là que le gain est majeur. Que pensez-vous de la situation préoccupante de nos institutions de soins? La situation est tout de même compliquée. Quand on se penche sur l'étude Maha réalisée par Belfius, on ne peut que constater que la situation du secteur en Wallonie est problématique. Toute une série d'institutions se trouvaient déjà dans le rouge bien avant les crises systémiques liées à la pandémie et à la crise énergétique. Est-ce que Wallonie Santé propose une aide spécifique pour faire face à l'inflation? Nous avons, à côté de produits classiques, toute une série de dispositifs anti-Covid, anti-guerre d'Ukraine, anti-inflation: les prêts propulsions. L'objectif de ces prêts est de renforcer les fonds propres de la société qui sont mis à mal par la crise. Nous faisons également des prêts de trésorerie, par exemple le temps qu'une institution reçoive un agrément. Vu que le l'indexation des honoraires intervient plus tard et est plus faible que l'inflation des salaires à charge des honoraires médicaux, les hôpitaux pourraient-ils recourir à un prêt de trésorerie auprès de Wallonie Santé? Tout à fait. Wallonie Santé a été lancée il y a quatre ans, en fin 2018. Au départ, les épaules de Wallonie Santé ne pouvaient soutenir que les petites institutions de soins, à l'instar des MRS par exemple. Est-ce que la donne a changé aujourd'hui? Quand on voit le CHC et le GHDC, ce sont des montants de centaines de millions d'euros. Les grandes institutions de soins bénéficient de prêts bancaires favorables. Car jusqu'il y a peu, l'argent dégoulinait dans les institutions bancaires puisqu'elles bénéficiaient de garanties et de financement de la Banque européenne d'investissement (BEI). Notre public est donc davantage les structures intermédiaires que les grosses institutions. Le but de Wallonie Santé est d'aider et supporter les structures intermédiaires qui n'ont pas un accès aussi facile au crédit et qui ne connaissent pas le secteur financier et qui ont donc besoin d'un accompagnement. C'est d'ailleurs ce qui nous distingue d'autres outils financiers ou du secteur bancaire: on fait un accompagnement. C'est du Smart Money, de l'argent intelligent. Certains hôpitaux estiment cependant qu'il sera difficile d'aller trouver les banques, car la situation du secteur s'est réellement détériorée. Bien sûr. Ce qui est bien, avec la création de cet outil public qu'est Wallonie Santé, est que cela crée une saine émulation. Les banques ne sont plus en situation monopolistique. Il y a un autre avantage, c'est que nous pouvons proposer un partenariat privé-public pour mitiger le risque pour les banques. Ce pourquoi elles viennent de plus en plus à notre rencontre pour limiter le risque, car Wallonie Santé sera là en cas de défaut du secteur privé. Question plus philosophique, ou politique: est-ce que vous trouvez normal que les hôpitaux doivent recourir à de tels mécanismes alors qu'ils sont financés par des deniers publics? Il faut retourner à la genèse de la Sixième réforme de l'État. Le mécanisme de financement du secteur de l'action sociale et de la santé a été substantiellement modifié. Avant, le secteur était financé directement ou indirectement par le BMF et les subsides du Crac, le Centre régional d'aide aux communes. Et puis, Eurostat est passé par là et a jugé que l'on ne pouvait plus subventionner le secteur de manière inconditionnelle, sous peine d'une requalification de la dette de toutes les entités, y compris les hôpitaux. Nous sommes donc passés à un système de financement conditionnel, que l'on a mis en oeuvre à partir de 2016, avec le prix d'hébergement: le lit est occupé, vous êtes financé ; il ne l'est pas, vous n'êtes pas financé. Cela explique par ailleurs le redimensionnement des hôpitaux et la diminution des lits. Le financement n'est plus garanti à 100%, il est aléatoire et ne couvre plus 100% des besoins des hôpitaux. C'est pour cela que les crédits bancaires sont plus difficiles, car le secteur n'est plus subventionné de manière inconditionnelle mais bien conditionnelle. L'hôpital est-il aujourd'hui un client à risque? Il y a eu très peu de faillites dans le secteur. J'ai connu deux faillites, à Charleroi et à Bruxelles. Il faut aussi dire que si le financement du secteur est conditionnel et plus aléatoire, il est aujourd'hui redevenu une priorité des pouvoirs publics. Tous les partis démocratiques du pays exigent un financement du secteur. Vu les crises que l'on connaît, c'est un secteur qui doit être soutenu et refinancé dans les années qui viennent. C'est une priorité, si pas la priorité des prochaines années.