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En tant que médecin ancien responsable d'une association médicale de défense professionnelle (l'Absym), j'ai toujours été un grand défenseur de la liberté. Celle du médecin bien sûr, à savoir celle de pouvoir décider en toute liberté des moyens diagnostiques et thérapeutiques à mettre en oeuvre pour soigner le malade. Celle du patient ensuite, à savoir pour lui de pouvoir choisir librement son médecin et surtout de pouvoir en changer sans obstacle s'il estime qu'il ne reçoit pas ou ne reçoit plus les soins qu'il est en droit d'attendre. La défense de ces deux libertés est assortie de l'obligation de protéger les données du patient, en particulier les révélations confidentielles qu'il est amené à faire à son médecin pour recevoir les soins les plus adéquats. Le secret professionnel est indispensable pour que le patient puisse dire à son médecin ce que nul autre ne peut savoir. Défendre le secret professionnel c'est garantir le respect de la vie privée du patient. Ces trois éléments ne sont pas un privilège des médecins. S'il s'en sert parfois dans son propre intérêt, c'est condamnable. En fait, c'est un droit fondamental du patient qu'ils doivent respecter. Ce n'est pourtant pas évident, car pour toutes sortes de raisons, bonnes ou mauvaises, les autorités veulent limiter cette liberté. En général, les autorités invoquent la nécessité de la maitrise des dépenses. Ces mêmes autorités s'attaquent souvent aux libertés des citoyens pour diverses raisons. Tout connaitre sur eux leur est souvent utiles. Chacun comprendra dans ces conditions que je soutienne tous les combats pour la liberté quels qu'ils soient à condition, bien sûr, qu'ils soient légitimes. Il faut alors se poser la question de savoir ce qu'est la liberté. Permettez-moi d'illustrer mon propos: Si un hérisson traverse une route et qu'une voiture approche, il se met en boule. Résultat, il se fait écraser à tous les coups. En cas de danger, le hérisson n'a pas le choix, il est programmé pour se mettre en boule, il est contraint par ses gênes. Si c'est un lièvre qui connait la même mésaventure, il courra en zigzag. La tactique lui permettra parfois d'échapper. Elle n'est guère plus efficace. Ici aussi le lièvre est contraint par ses gênes, il n'a pas d'autre choix que de zigzaguer. Si c'est un chat, il va s'élancer et traverser, la tactique n'est guère plus efficace. Un chien comme une personne attendra que la voiture passe. Il n'est pas contraint par ses gênes à l'une ou l'autre tactique. Peut-être qu'un jeune chien inexpérimenté choisira une tactique proche du chat ou du lièvre mais s'il en réchappe il tiendra compte de l'expérience. Le chien est capable de changer le programme de son cerveau. Il est capable de comprendre qu'avant de traverser il doit laisser passer la voiture. Lequel de ces animaux a le plus de liberté? Poser la question c'est y répondre, chacun répondra le chien. En l'occurrence, le chien a acquis de la liberté par rapport à la contrainte génétique. Il a le choix. Pourtant il n'y a qu'un bon choix: attendre que la voiture passe. Ainsi la liberté, ce n'est pas pouvoir faire n'importe quoi, c'est d'être capable d'effectuer le bon choix et parfois il n'y en a qu'un. Mais faire le bon choix, c'est faire un choix responsable. Il n'y a pas de liberté sans responsabilité (ni sans courage disait Périclès). Revenons aux médecins et au choix des moyens diagnostiques et thérapeutiques qu'ils revendiquent. Cette liberté, ce n'est pas celle de faire n'importe quoi mais celle de faire le choix le plus adéquat dans l'intérêt du malade sans que celui de la société ne l'emporte. Pour cela le médecin doit suivre une formation continue, et la mettre en pratique. Il ne doit pas non plus user à sa guise des moyens financiers, mis à sa disposition par la solidarité sans en avoir pesé tous les paramètres. Inutile de prescrire une cure au soleil de la côte d'azur à un patient qui n'en a pas les moyens. Encore une fois, la liberté c'est le bon choix et le choix responsable. J'ai évoqué la solidarité. C'est une composante essentielle de notre société. C'est un élément professionnel de cohésion et de vivre ensemble aussi précieux que fragile. Pourquoi cette longue introduction? C'est pour répondre aux arguments de ceux qui refusent la vaccination au nom de leur liberté. Remarquons d'emblée que le choix qu'ils revendiquent, c'est celui de rester vulnérables, de refuser le choix qui leur donne une plus grande sécurité, c'est celui du hérisson ou du lièvre, celui qui donne toutes les chances de se faire écraser. On peut douter que le hérisson ou le lièvre fassent ce choix s'ils n'y étaient contraints par leurs gênes. Ce n'est pas le cas des résistants à la vaccination. Remarquons ensuite que cette attitude qui empêche d'obtenir une immunité globale, qui permet au virus de continuer à circuler et à muter en variants plus dangereux, est un manque total de solidarité et de sens des responsabilités. Leurs arguments sont fallacieux. Celui de la liberté l'est pour les raisons déjà exposées. Celui du complot est plus difficile à contrer. Aussi absurde soit-il, car ils s'apparentent à une conviction. Une sorte de foi. Si je dis "Dieu existe" je ne peux pas le prouver mais je ne peux pas prouver le contraire non plus. C'est une croyance et elle n'est pas réfutable par un raisonnement logique. En l'occurrence, les complotistes imaginent que tous les puissants du monde collaborent pour asservir l'humanité. Ils pensent que les politiques, les autorités, les industriels, les journalistes, les scientifiques travaillent ensemble à ce même projet. C'est absurde mais j'avoue être impuissant à contrer une conviction. Ce qui est dommage c'est qu'ils alimentent les craintes irraisonnées de ceux qui pour cela refusent le vaccin sans pour autant croire au complot. Ceux-là qui n'ont probablement jamais refusé aucun traitement prescrit par leur médecin même si certains médicaments sont certainement plus dangereux qu'aucun vaccin, refusent celui pour le Covid dont la sécurité est pourtant avérée par des milliards de gens vaccinés. Si on peut comprendre que certains demandaient un certain recul, on doit bien admettre que le temps de la réflexion est passé. La vaccination est la plus grande victoire de la médecine au prix d'inconvénients généralement mineurs, pensons à l'éradication de la variole de la surface de la terre. C'était la plus grande tueuse que l'humanité ait connue. Pensons aussi à ces maladies quasiment disparues comme la poliomyélite, la diphtérie, la coqueluche. Par quelle aberration peut-on refuser un pareil avantage? Les résistants à la vaccination ne s'en tiennent pas là, maintenant ils protestent parfois violemment contre les mesures de protection qu'on leur impose évoquant encore une fois leur liberté et aussi la discrimination dont ils font l'objet. Encore ici, leur évocation de la liberté n'est absolument pas légitime pas plus que de la discrimination. Les mesures imposées sont, bien sûr, décidées par le gouvernement mais nullement pour son plaisir. Elles sont justifiées par la présence du virus. On a vu la propagation désastreuse dans les pays qui n'ont pris aucune mesure. Ces mesures sont celles proposées par les scientifiques experts en la matière et le gouvernement en général prend des mesures moins sévères pour des raisons sociales et économiques. Ces mesures sont-elles les meilleures, les plus appropriées, on peut en discuter mais ce n'est pas l'objet de cette réflexion. Ce qu'on peut dire c'est que c'est le virus qui est responsable des contraintes qui pèsent sur nous et pas le gouvernement. Ces mesures s'imposent à tout le monde mais ceux qui ont accepté la vaccination et représentent donc un moins grand danger de propagation du virus sont, avec raison, dispensés de certaines d'entre elles - pas de toutes, par exemple le masque leur est encore imposé. S'il y a des discriminations, il s'agit de discriminations positives en faveur des vaccinés. Que ceux qui sont responsables de la propagation du virus n'en bénéficient pas est parfaitement légitime. C'est la conséquence de leur choix. Ils doivent l'assumer. Assumer ces conséquences représente d'ailleurs peu de chose car ils doivent se rendre compte qu'en refusant le vaccin, ils permettent au virus d'encore circuler et que c'est pour ça que des mesures s'imposent, encore à tous. Si tout le monde était vacciné, les mesures n'auraient plus de raison d'être. La meilleure chose qu'ils aient à faire est de surmonter leurs réticences et accepter cette vaccination. Ce sera le bon choix pour eux. Ce sera le bon choix pour tout le monde.