La commercialisation de l'insuline à des fins thérapeutiques, il y a une centaine d'années, a permis de sauver la vie de patients atteints de diabète de type 1. Le passage d'un extrait impur à des insulines de conception spéciale - assurant une durée d'action plus courte ou plus longue - a contribué à un meilleur contrôle de la glycémie et a augmenté les taux de survie. Cependant, ce n'était pas suffisant pour contrer complètement les complications aiguës et chroniques du diabète de type 1.
...
La peur de l'hypoglycémie fait que les patients atteints de diabète de type 1 sont parfois réticents à s'administrer de l'insuline. C'est en partie pour cette raison que seuls 30% des patients atteints de diabète de type 1 atteignent les niveaux de glycémie considérés comme souhaitables sur le plan scientifique. "En plus, l'administration d'insuline sous sa forme actuelle est assez pénible pour le patient", explique le Pr Pieter Gillard (service d'endocrinologie, UZ Leuven). "Les gens doivent penser à se piquer au bon moment et doivent calculer la quantité d'insuline requise en fonction de la composition de leurs repas et de leur niveau d'activité. C'est pourquoi nous devons continuer à chercher des solutions pour rendre l'insulinothérapie plus précise et moins contraignante. Je suis convaincu que la technologie peut y contribuer de façon significative." Le Pr Gillard regroupe les outils technologiques susceptibles d'optimiser le traitement insulinique en quatre catégories, selon qu'ils facilitent: ? l'administration d'insuline ? la mesure des taux de glycémie ? la coordination de l'insuline administrée avec les taux de glycémie mesurés ? le fonctionnement quotidien du patient (les applis, les applications Web,...) "Dans chacune de ces catégories, d'énormes progrès ont été réalisés ces dernières années", constate le diabétologue louvaniste. "Les développements se succèdent selon une courbe exponentielle. Jusqu'à il y a sept ou huit ans, les choses avançaient lentement. Puis il y a eu une accélération. Actuellement, nous nous trouvons dans la partie de la courbe qui monte en flèche. Une stabilisation est encore loin d'être en vue." À la fin du siècle dernier, les seringues en verre munies de grosses aiguilles pour injecter l'insuline ont été remplacées par des stylos. Les ampoules préremplies accompagnant ces stylos ont marqué un progrès considérable, parce que le patient ou son soignant ne devaient plus extraire l'insuline d'un flacon. Plus récemment, des stylos intelligents ont fait leur apparition. Ces stylos enregistrent l'heure de l'administration et la quantité administrée. Le stylo envoie ces données à une application sur smartphone, soit par NFC (near-fieldcommunication) en tenant le stylo contre le smartphone, soit via Bluetooth. Cela donne au médecin et au patient une idée précise du traitement. Pieter Gillard: "Autrefois, les gens devaient tenir un journal à cet effet. Il fallait parfois noter les taux sept ou huit fois par jour, et donc s'assurer d'avoir son carnet à portée de main à tout moment. Ce n'était pas toujours évident. Les gens complétaient parfois la grille de mémoire, de sorte que les médecins n'avaient pas toujours une image très fiable du traitement insulinique quotidien. En conséquence, nous avions peu de repères pour conseiller correctement les patients et leur permettre d'ajuster au mieux leur insulinothérapie." Le premier stylo intelligent a été mis sur le marché en mars. D'autres suivront. Sur le plan de l'éducation au diabète, c'est un grand pas en avant, surtout que la majorité des patients s'injectent aujourd'hui l'insuline avec un stylo. Les pompes à insuline sont sur le marché depuis des décennies. Il s'agit de dispositifs remplis d'insuline à action rapide, qui sont reliés par une canule en plastique à un cathéter placé en sous-cutané. Le patient peut lui-même déplacer le cathéter après quelques jours. La pompe à insuline libère un débit de base en continu. Au moment des repas (ou d'en-cas), le patient appuie sur quelques boutons et spécifie un nombre d'unités, amenant la pompe à délivrer un bolus. Ce système rend le traitement par insuline beaucoup plus facile que l'utilisation d'un stylo. Et ce, non seulement au moment des repas et du goûter, mais aussi dans des circonstances exceptionnelles, par exemple lorsque la glycémie est trop élevée parce que le patient a oublié de s'administrer un bolus repas, a mal calculé sa dose, était stressé ou avait mal quelque part. Un des freins à l'utilisation de la pompe à insuline est le fait de porter un appareil sur soi, qui peut constituer un obstacle psychologique ou pratique pour bon nombre de gens. Cela peut expliquer pourquoi, en Belgique, seuls 15 à 20% des patients atteints de diabète de type 1 y ont recours. "À l'UZ Leuven, c'est un patient sur trois, voire plus", indique le Pr Gillard. "Cela s'explique par le fait que notre équipe est formée pour encadrer les patients porteurs d'une pompe et motive les gens à franchir le pas." Depuis environ deux ans, on a introduit sur le marché belge des pompes qui se collent sur le corps, appelées pompes patch ou 'pods'. Ces pompes sont plus petites et viennent sans tubulure. Elles sont donc moins pénibles, tant psychologiquement qu'au point de vue pratique. L'aiguille d'injection est insérée dans la peau directement depuis le dispositif. Ici aussi, il faut changer la position des 'pods' tous les deux ou trois jours. À la fin du siècle dernier, les premiers glucomètres, qui mesurent le taux de glycémie à partir d'une goutte de sang déposée sur une bandelette réactive, sont venus remplacer la bandelette urinaire. "À l'époque, les patients devaient idéalement se piquer le doigt jusqu'à dix fois par jour, si on compte aussi un contrôle pendant la nuit", se rappelle le Pr Gillard. "Pour beaucoup de gens, ce n'était pas faisable." L'idée d'une surveillance en continu était née, mais il a fallu de nombreuses années avant que des appareils fiables ne soient commercialisés. "Le capteur est implanté en sous-cutané, et non dans un vaisseau sanguin. Les valeurs du glucose interstitiel et de la glycémie sont corrélées, mais diffèrent tout de même. Il a fallu du temps pour arriver à des résultats suffisamment précis." Il existe deux types de glucomètres automatiques. Dans le premier type, le résultat est transmis (par NFC) à un dispositif de lecture spécial - entre-temps, on peut lire ce résultat sur son smartphone. On parle d'un système de monitoring continu de la glycémie par scans intermittents (MCG-si) ou de la surveillance Flash. Le capteur de glucose indique non seulement le taux de glucose, mais aussi la manière dont elle est en train d'évoluer: une flèche montante, descendante ou horizontale s'affiche à côté du chiffre. Pieter Gillard: "Une valeur de 80 mg/dl est très bonne en soi, mais elle aura une tout autre signification selon la flèche qui lui est accolée. Une flèche descendante indique que l'on risque de descendre à 70 mg/dl, un taux correspondant à une hypoglycémie, et incite donc le patient à prendre un peu de sucre. Une flèche ascendante invite à revérifier le taux une heure plus tard, pour éventuellement s'injecter de l'insuline." Le système Flash a révolutionné la vie des patients atteints de diabète de type 1. Cette technologie leur permet de mesurer leur taux de glucose pendant qu'ils font du vélo ou qu'ils marchent. Ce n'est qu'en cas de valeurs extrêmement élevées ou extrêmement basses que la mesure dans le liquide interstitiel peut être remise en question. Dans ce cas, les patients ont alors souvent recours à une piqûre au doigt. "Dans une étude auprès de 2.000 personnes, nous avons pu montrer à l'UZ Leuven que la mesure automatique du glucose permet d'éviter des hospitalisations car elle permet d'anticiper les hypoglycémies et les taux de glucose extrêmement élevés. C'était donc une sage décision de la part du gouvernement belge de donner accès à cette technologie à tous les patients atteints de diabète de type 1." Un deuxième type de glucomètre automatique envoie les valeurs de glucose en continu, via Bluetooth, à un récepteur ou à une application. Il s'agit d'un monitoring continu de la glycémie en temps réel ou MCG-tr. La particularité de ce type de système est qu'il envoie un signal lorsque la glycémie passe au-dessus ou en dessous d'une valeur prédéfinie. Ces glucomètres ont été commercialisés en Belgique il y a une dizaine d'années. Entre-temps, la précision, la facilité d'utilisation et la longévité du dispositif (10 à 14 jours, contre quelques jours au départ) se sont améliorées. Initialement, un calibrage nécessitait à peu près quatre piqûres de doigt, mais aujourd'hui il n'est plus nécessaire de se piquer. Dans une étude récente publiée dans The Lancet, une équipe de chercheurs belges, dont ceux de l'UZ Leuven et de la KULeuven, a pu montrer qu'un MCG-tr offre un certain nombre d'avantages importants par rapport au système de MCG-si: le patient reste davantage dans la fourchette cible (70-180 mg/dl), son taux d'HbA1c est plus bas, il y a moins d'épisodes d'hypoglycémie et il craint moins de faire des hypoglycémies (1). Le MCG-tr représente un avantage particulier pour les parents qui peuvent vérifier la glycémie de leur enfant à tout moment, même s'ils ne se trouvent pas au même endroit que lui. Pour les deux types de MCG, une étude belge a mis en évidence une réduction des complications aiguës, des besoins d'hospitalisation et de l'absentéisme au travail. On pourrait encore améliorer quelque peu la précision, la stabilité, la facilité d'utilisation et la miniaturisation des capteurs. Peut-être qu'à terme, on verra apparaître des capteurs implantables. Il y en eu un, sur le marché belge, à une époque, mais comme son installation nécessitait une (petite) intervention chirurgicale, son succès a été limité et la société en question a décidé d'arrêter la commercialisation en Belgique. Entre-temps, des sociétés sont en train de mettre au point des capteurs destinés à rester sous la peau pendant trois ans afin de réduire la fréquence des interventions. Le Pr Gillard pense qu'à l'avenir, les capteurs pourraient être utilisés pour doser d'autres substances. Pour les corps cétoniques, par exemple, qui augmentent lorsque la quantité d'insuline est insuffisante. Ou encore l'acide lactique, ce qui peut être un élément intéressant pour les athlètes diabétiques de type 1. Enfin, il note que les cyclistes (sans diabète de type 1) utilisent déjà ces capteurs. "Dans les sports de haut niveau, surtout quand il s'agit d'un sport d'endurance, il est sans doute important de consommer les bons aliments au bon moment. Je m'attends à ce que de plus en plus d'athlètes d'élite portent un capteur. Indirectement, cela aura un effet psychologique bénéfique pour les patients atteints de diabète de type 1, car ils se sentiront moins stigmatisés par le port d'un dispositif qui est également utilisé par un groupe plus large de personnes." Pour finir, une dernière réflexion: "En Belgique, chaque patient atteint de diabète de type 1 a accès à un capteur de glucose. Je ne pense pas que nous puissions justifier encore de ne pas rendre cette technologie accessible aux patients souffrant de diabète de type 2 sous insuline. Bien sûr, le diabète de type 2 concerne un grand nombre de patients, ce qui demande un budget important. Je pense que c'est cela qui freine pour l'instant."