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Dans des circonstances normales, un médicament à prise orale est absorbé dans les intestins et diffusé dans le corps par le circuit sanguin. Le médicament subit un effet de premier passage dans certains organes, essentiellement le foie et les intestins. Il y est dégradé à des degrés très différents, en fonction de la nature de la molécule. Les prodrogues sont quant à elles activées par l'effet de premier passage. Dans le sang, les médicaments se lient à des degrés variables aux protéines circulantes, avant d'accéder aux tissus. La plupart des médicaments sont métabolisés dans le foie. L'élimination des métabolites (ou moins souvent, des médicaments intacts) est principalement la fonction des reins, parfois de la vésicule biliaire. On relève une série de modifications de la pharmacocinétique chez les personnes obèses, par rapport à la population de contrôle. Les principales d'entre elles sont dues à l'augmentation de la masse adipeuse et du débit cardiaque, cette dernière ayant pour effet une perfusion sanguine accrue des reins. L'incidence de ces phénomènes sur la pharmacocinétique est complexe. En cas d'obésité, l'excrétion rénale des substances s'accélère dans un premier temps puis ralentit à plus long terme. Les personnes obèses présentent une vidange gastrique retardée et une perméabilité intestinale accrue, qui peuvent altérer la biodisponibilité des médicaments. "Les modifications de la pharmacocinétique chez les personnes obèses sont encore insuffisamment étudiées", relate la pharmacienne hospitalière Enya Tavernier (hôpitaux ZNA, Anvers). "D'où le manque de directives utilisables pour l'adaptation des posologies dans ce groupe." La situation est également complexe après chirurgie bariatrique. Durant les premières années, le poids corporel diminue rapidement, avec un impact sur la pharmacocinétique, essentiellement celle des médicaments à prise orale. En outre, les patients obèses souffrent souvent de comorbidités, qui impliquent la prise de nombreux médicaments donnant lieu à d'éventuelles interactions. L'amaigrissement peut diminuer la gravité d'une série de comorbidités ou les faire disparaître complètement, nécessitant souvent une révision de la médication. Après quelques années, le corps s'adapte à la nouvelle configuration du système digestif, ce qui induit de nouveaux changements. Pour bien appréhender l'usage adéquat des médicaments après une chirurgie bariatrique, il faut tenir compte d'une série de modifications globales des paramètres pharmacocinétiques. La sleeve gastrectomie et le bypass gastrique induisent: · Une baisse de la motilité gastrique et du volume du suc gastrique, avec réduction de la solubilité et de la vitesse de dissolution des médicaments. · Une augmentation du pH du contenu de l'estomac (parfois jusqu'à 6,6 - le contenu de l'estomac devient neutre), d'où une fois encore un impact sur la solubilité de certains médicaments. Après une sleeve gastrectomie: · La superficie de la muqueuse gastrique et le volume de l'estomac sont réduits. Le temps de contact du médicament avec la muqueuse gastrique s'en trouve raccourci, notamment par la vidange plus rapide de l'estomac, qui diminue l'absorption des médicaments. Après un bypass gastrique: · La superficie de la muqueuse gastrique et intestinale ainsi que le volume de l'estomac sont réduits. Le temps de contact du médicament avec la muqueuse gastrique est ainsi limité, notamment par la vidange plus rapide de l'estomac et de l'intestin. Il s'ensuit une moindre absorption des médicaments. · La diminution du contact avec la bile réduit la solubilité des médicaments très lipophiles. · Une partie de l'intestin grêle est court-circuitée, alors que de nombreuses protéines transporteuses y sont présentes. En fonction du médicament administré, l'absorption peut augmenter ou diminuer, cet organe contenant des pompes à influx et des pompes à efflux. · La forte concentration d'enzymes CYP3A4 dans l'intestin grêle est partiellement court-circuitée, empiétant ainsi sur l'effet de premier passage lié à l'intestin. Une diminution de la dose du médicament peut s'avérer nécessaire. À propos de ce dernier point, il faut signaler qu'une perte de poids considérable augmente l'activité des enzymes CYP - aussi bien après une gastrectomie longitudinale qu'après un pontage gastrique -, ce qui peut requérir au contraire une augmentation de la dose. "Somme toute, il est difficile d'émettre une directive sans équivoque quant à l'adaptation des posologies après chirurgie bariatrique", relève Enya Tavernier. Une série de directives générales peuvent sécuriser l'usage de médicaments après chirurgie bariatrique. En tout état de cause, il est important d'assurer un monitoring minutieux des médicaments caractérisés par une marge thérapeutique étroite (hormones thyroïdiennes, antiépileptiques, antagonistes de la vitamine K, lithium...). Enya Tavernier: "Si un médicament n'a pas l'effet thérapeutique souhaité ou qu'il entraîne trop d'effets secondaires, il faut tout d'abord vérifier la compliance du patient. Si la posologie semble respectée, on peut procéder à un dosage sanguin dans la mesure du possible. Sur cette base ou non, une adaptation de la posologie sera envisagée ou encore, un changement de formulation (voir l'article suivant). Enfin, on peut également s'orienter vers un autre médicament."La perte de poids pouvant atténuer ou même faire disparaître l'hypertension artérielle, il est important de mesurer régulièrement la pression artérielle et d'informer le patient de la symptomatologie hypotensive, afin de pouvoir adapter le dosage en temps voulu. Les diurétiques seront prescrits avec prudence car les patients traités par chirurgie bariatrique réduisent souvent leur prise liquidienne et s'exposent ainsi à la déshydratation. Le besoin d'antidiabétiques peut également diminuer, incitant à la prudence face aux molécules hypoglycémiantes. Le besoin d'hypolipémiants peut être réduit, mais les taux lipidiques restent souvent élevés et nécessitent la poursuite du traitement, bien qu'à doses réduites. Dans la catégorie des antidouleurs, on relève une diminution de l'absorption des opioïdes après chirurgie bariatrique. En même temps, l'amaigrissement soulage les douleurs articulaires et diminue le recours aux analgésiques. Compte tenu de la baisse de l'absorption des opioïdes, il faut toutefois rester vigilant à une résurgence de la douleur avec des doses qui étaient initialement suffisantes, ainsi qu'à l'apparition de phénomènes de sevrage. Les AINS seront évités après une chirurgie bariatrique (voir l'article suivant). Les hormones thyroïdiennes sont moins bien résorbées après une chirurgie bariatrique, mais l'hypothyroïdie tend à s'atténuer grâce à la perte de poids. Il peut être nécessaire d'adapter la posologie.