Ces nouvelles molécules, dont l'atogepant remboursé chez nous depuis le 1er septembre, entraînent un réel changement de paradigme dans la prise en charge. Le point avec le Dr Matthieu Rutgers, neurologue spécialiste de la migraine.
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Le journal du Médecin: Quelles sont les dernières molécules disponibles qui permettent une "révolution thérapeutique"? Dr Matthieu Rutgers: On fait allusion, très précisément, à quatre molécules: le frémanésumab, le galcanésumab, l'érénumab et l'atogepant, remboursé depuis début septembre. Les trois premiers sont des anticorps monoclonaux, dits aussi 'anti-CGRP' (récepteur du calcitonin gene-related peptide), le petit dernier fait partie des gépants, qui sont également des anti-CGRP sur le plan physiologique. Les trois premiers sont des injectables sous-cutanés (mensuels), l'atogepant est un per os (en prise quotidienne, NdlR). Ces quatre molécules se positionnent dans la migraine chronique, même s'il existe des études dans la migraine épisodique pour les injectables. Pour rappel, la différence se situe dans le nombre de jours de migraine par mois: au moins 15 jours de céphalées par mois, dont au moins huit jours de migraine. Souvent, les patients en état de migraine chronique souffrent aussi de céphalées de tension surajoutées. En Belgique, l'autorisation de remboursement, pour les quatre molécules, n'est valable que dans la migraine chronique, c'est-à-dire avec au moins huit jours de migraine, et la nécessité d'avoir testé jusqu'à concurrence de maximum trois traitements de fonds oraux classiques comme certains bêtabloquants, anti-épileptiques et antidépresseurs. Ces conditions de remboursement satisfont-elles les spécialistes de la migraine? C'est une vaste question, qui fait encore l'objet de débats dans tous les congrès internationaux... Si l'on fait fi de la question financière, ne faudrait-il pas les mettre en première ligne? C'est tellement efficace et bien toléré... Nous sommes toujours devant cette dualité, avec nos traitements conventionnels qui coûtent certes 3 francs 6 sous, mais qui sont modérément, voire pas efficaces, et qui sont souvent mal tolérés. Mais voilà, il faut mettre des garde-fous... Je trouve, à titre personnel, que trois traitements de fonds conventionnels, c'est trop: ce n'est pas du luxe d'essayer, mais quand on ne s'en sort pas au bout de deux traitements classiques, c'est rare qu'on trouve une solution avec un troisième. Ce critère des 'huit jours' laissent-ils beaucoup de patients migraineux, qui ne l'atteignent pas, sur le carreau? Ces patients-là sont plutôt dans des migraines épisodiques, et on peut généralement s'en sortir soit avec des traitements de fonds conventionnels, soit, plus souvent, avec un bon traitement de crise parce qu'ils n'ont pas forcément besoin d'un traitement de fond. Par contre, on peut s'interroger sur le positionnement et le remboursement des gépants, qui sont un peu uniques en leur genre puisqu'ils se positionnent à la fois comme traitement de fond et potentiellement comme traitement de crise. Ainsi d'une cinquième molécule, le rimégépant, pour lequel il n'y a pas de remboursement en Belgique mais qui est commercialisé (65 euros la boîte de deux comprimés, NdlR) : il a fait l'objet de deux études dans The Lancet en traitement de crise et de fond, avec des réponses très intéressantes. Quels patients peuvent avoir intérêt à se tourner vers ces comprimés non remboursés? Des patients qui ont une à deux crises par mois et sont réfractaires aux triptans et/ou aux antalgiques classiques, soit 20 à 30% de patients dans ma pratique. Pour ceux-là - du moins ceux qui peuvent se le payer -, il y a un positionnement intéressant des gépants, sans effets secondaires. Comment choisissez-vous entre les trois anticorps monoclonaux et le gépant désormais remboursé? J'ai eu l'occasion de le proposer ces derniers jours à des patients naïfs qui avaient droit au remboursement. Si on regarde la littérature médicale, les chiffres en termes d'efficacité et de sécurité sont les mêmes qu'avec les injectables. Donc, c'est d'abord une discussion avec le patient - les quelques phobiques des aiguilles iront vers le per os, évidemment. Il faut savoir qu'il y a un point très important et spécifique à la Belgique: une fois l'accord pour le remboursement donné, passés les trois premiers mois, on fait une prolongation de 18 mois qui couvre explicitement 15 mois de traitement: l'Inami impose trois mois d'arrêt thérapeutique - des "vacances thérapeutiques" - car on est certes devant une affection médicale chronique, mais on sait qu'elle peut, sur des laps de temps d'un an et demi à deux ans, s'amender sensiblement, contrairement à un patient épileptique qui a besoin de son traitement à vie. Dès qu'il commence, le patient sait donc qu'il a 15 mois de traitement et non 18. Le plus souvent, les patients font cet "arrêt" après que le pharmacien a délivré la dernière injection remboursée. C'est un facteur compliqué car certains patients flambent à nouveau après 15 jours d'arrêt, mais on essaie d'anticiper au mieux. Pour d'autres, ces "vacances" se passent bien et on n'est pas obligé de reprendre le traitement. Toutefois, dans mon expérience personnelle, 75 à 80% des patients reprennent après les trois mois... La céphalée est la pierre angulaire du syndrome migraineux, quels sont les autres symptômes moins connus? C'est une question qu'on me pose souvent en Glem et en dodeca. Je vois encore des céphalées migraineuses cataloguées comme 'céphalées de tension' parce qu'elles ne sont pas hémicrâniennes, pas pulsatiles, modérées et accompagnées de nausées légères. Un élément très discriminant, c'est l'exacerbation de l'intensité de la céphalée par l'activité physique. Dans la céphalée de tension, les patients vont marcher, voire courir, car cela les soulage. Le migraineux, lui, vous dira que c'est "pire que tout". Et donc là, vous avez la réponse. Inversement, si un patient migraineux vous dit que l'activité physique n'a aucun impact sur ses douleurs, il faut penser à reconsidérer le diagnostic de migraine. Au-delà des symptômes connus - comme le plus caricatural, l'aura ophtalmique, les fameux scotomes scintillants -, il peut y avoir des vertiges qui s'apparentent à des vertiges d'origine vestibulaire, or ces patients n'ont pas de problème vestibulaire. La migraine peut s'accompagner d'autres céphalées à côté desquelles on risque de passer? Le fait d'être migraineux n'immunise pas contre un autre type de céphalée, comme une algie vasculaire de la face ou une névralgie d'Arnold. Le cas typique, c'est le patient qui a des migraines du côté de sa névralgie d'Arnold et donc on ne pense pas à la migraine. Le délai de renvoi vers le neurologue est souvent long, quand le généraliste doit-il faire appel à la seconde ligne? Certainement quand on ne s'en sort plus, ne fut-ce que pour le traitement de crise. Beaucoup de généralistes prescrivent des triptans, mais certains restent frileux, or ça reste une solution. Certainement aussi pour les traitements de fond, quand le patient est à quatre ou cinq crises par mois. Autre indication, les patients dans un phénomène de dépendance à leur antalgique, qui entretient et aggrave leur tableau migraineux et peut mener à des migraines chroniques. Un problème que les patients refusent parfois d'entendre...