La migraine affecte entre 12 et 15% de la population et jusqu'à 25% chez les 25-45 ans. À cause de certaines formes atypiques et de symptômes non spécifiques, le diagnostic n'est pas toujours évident.
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La migraine est la deuxième maladie neurologique la plus invalidante. Elle coûte chaque année à la Belgique 1,65 million de jours de congé maladie(1). Sans compter la baisse de productivité induite par les prodromes(2), par les symptômes migraineux et par l'état postdromique, marqué notamment par une intense fatigue. Et comme le rappelle Jean Schoenen, professeur honoraire et directeur de l'Unité de Recherches sur les Céphalées de l'ULiège, "la migraine n'est pas létale, mais elle peut tuer la qualité de vie!" Prendre en charge ces patients est donc un enjeu de santé publique. Encore faut-il que leur mal soit clairement identifié... C'est là que le bât blesse. "La migraine "typique" est facilement reconnaissable, surtout avec du recul", estime le Pr Schoenen. "C'est lorsque les symptômes sont moins typiques ou plus récents que le diagnostic peut être plus complexe à poser. L'anamnèse doit donc être la plus exhaustive possible." La première difficulté consiste à différencier une céphalée primaire d'une céphalée secondaire. Dans ce dernier cas, la pathologie sous-jacente peut être bénigne (défaut optique, sinusite, etc.) ou plus sérieuse: méningite, hyper- ou hypotension intracrânienne, rupture d'anévrisme, tumeur cérébrale, etc. Une céphalée est inquiétante et mérite d'être investiguée par des examens complémentaires si elle présente l'une ou l'autre des caractéristiques résumées sous l'acronyme S.C.A.N.N.E.R: Signes anormaux à l'examen clinique "qui doit être global et pas seulement neurologique", rappelle le Pr Schoenen. "Des pétéchies ou une fièvre, par exemple, peuvent être les signes d'une méningite."- Changement dans l'intensité, la localisation ou les symptômes associés d'une céphalée ou migraine préexistante. - Aggravation progressive d'une céphalée au fil du temps, en quelques semaines ou mois. - Nouvelle apparition d'une céphalée. - Nocturne: la céphalée se déclenche ou s'aggrave pendant la nuit. - Explosivité: "Une céphalée en "coup de tonnerre" - qui démarre en une fraction de seconde, est d'une intensité insupportable et parfois accompagnée de nausées ou de photophobie - peut certes être bénigne. Mais une fois sur deux, il s'agit d'une céphalée "sentinelle" qui précède de quelques jours une rupture d'anévrisme cérébral. Ce type de plainte doit donc être immédiatement pris en charge et investigué sans délai." Anamnèse et outils diagnostiques Dans 90% des cas, une céphalée qui se répète est primaire. L'enjeu est alors de déterminer s'il s'agit réellement de migraine. "La migraine peut se manifester différemment d'un patient à l'autre et même d'une crise à l'autre", rappelle le Pr Schoenen. "Le mal de tête migraineux s'accompagne d'autres symptômes dont la présence est nécessaire pour poser le diagnostic. Lorsque la céphalée est légère et que ces symptômes associés sont discrets ou absents, le diagnostic différentiel se pose avec des céphalées de tension. Attention: certaines migraines avec aura peuvent se présenter sans mal de tête! 10% des migraines sont dites oro-faciales ; la douleur ne se situe pas dans le crâne, mais dans le visage. Il ne faut pas les confondre avec une pathologie dentaire ou ORL, une algie vasculaire de la face, une névralgie du trijumeau ou encore une artérite temporale de Horton - un diagnostic à envisager chez tout patient de plus de 60 ans se plaignant d'une douleur pulsatile au niveau de la tempe."Autre difficulté: presque tout le monde est susceptible de faire une crise migraineuse une fois dans sa vie. Un épisode unique ne suffit donc pas pour établir le diagnostic de migraine. "Pour ce faire, il faut au moins deux crises avec aura ou cinq épisodes sans aura. Un conseil: demandez au patient de tenir un calendrier de ses migraines (disponible sur internet) ou d'utiliser une appli pour smartphone type MigraineManager. Ces outils nous permettent à nous, médecins, d'analyser de précieuses informations."Dans 20 à 30% des migraines, les crises sont précédées ou accompagnées à leur début par une aura. Reconnaître ces cas est indispensable pour la stratégie thérapeutique, le pronostic et la gestion des traitements hormonaux. L'aura visuelle est la plus fréquente et la plus typique. Il s'agit d'un scotome scintillant, une tache sombre centrale, entourée de scintillements, qui s'élargit progressivement dans un hémi-champ visuel. Mais l'aura visuelle peut prendre d'autres formes ou se montrer plus discrète: lignes en zigzag, taches sombres ou brillantes, serpentins lumineux, déformation des images, vision kaléidoscopique dans les nuances de gris, etc. Les enfants migraineux peuvent aussi avoir un "syndrome d'Alice au pays des merveilles" ; certains objets ou parties de leur corps leur apparaissent alors comme exagérément grands ou petits. Des troubles sensitifs (fourmillements, picotements dans une moitié du corps) et des difficultés pour parler peuvent aussi se manifester, le plus souvent après l'aura visuelle. Quant aux migraines hémiplégiques, plus rares, elles s'accompagnent d'une hémiplégie transitoire. "Si l'aura n'est pas typique et/ou s'il s'agit d'un premier épisode, des investigations sont nécessaires pour exclure un accident ischémique transitoire ou une crise d'épilepsie partielle", conclut le Pr Schoenen. "Si leurs symptômes peuvent être confondus avec ceux d'une aura migraineuse, ils surviennent toutefois plus brutalement et plus brièvement."