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Le 11 novembre 1942: suite au débarquement des Alliés en Afrique du Nord, les Allemands envahissent la zone libre et Pétain s'enfuit à Alger, changeant de camp et la donne. A Londres, siège de la France libre, c'est la consternation: de Gaulle comprend qu'il est "foutu", qu'il ne pourra s'opposer au vieux Maréchal, favori des Américains (dans la réalité, ils préféreront Giraud à De Gaulle, assassiné sur les ordres de ce dernier). Après avoir consulté une voyante, le grand Charles décide de quitter l'Angleterre, affrète un vieux rafiot sur lequel se pressent comme sur l'Arche de Noé les derniers fidèles... et opposants: Joseph Kessel, Raymond Aron, André Labarthe, un frais émoulu Derrida, sans oublier Stanislas, jeune témoin de toute cette épopée. "E la nave va..." sans que personne ne sache vers où, si ce n'est l'impérieux chef déchu. Uchronie jubilatoire, " Ils voyagèrent vers des pays perdus" titre qui paraphrasent une citation des " Mille et Une Nuits" est un roman à la phrase longue, élégante, érudite, mais pas pédante, dont l'écriture est d'un classicisme assumé. De Gaulle y prend pour son grade de général et la statue du commandeur de la France libre, si elle n'est pas déboulonnée, dévisse. Et en effet, l'homme du 18 juin - jour de la défaite de Napoléon à Waterloo! - a l'air statufié: granitique dans son mutisme, d'une volonté d'airain dans sa défense de la France, d'un orgueil aussi pesant que le bronze, il se révèle insensible ou presque, en tout cas de marbre, face aux sentiments, aux tentations amoureuses, et semble même résister aux affres de l'érosion des jours. Car du temps qui flétrit les volontés comme les amours, c'est de cela que parle le livre de Jean-Marie Rouart, lequel ne se résume pas à un simple cabot(in)age à la surface des choses...