La semaine passée, Alysson, une jeune barbière liégeoise de 24 ans, mettait fin à ses jours. Elle est devenue le symbole du désespoir face au manque de perspectives d'avenir, dans ce contexte de crise sanitaire. Ce manque d'issues favorables, de nombreuses personnes le ressentent malheureusement de plus en plus. Car durant cette deuxième vague, les gens se sentent entamés et fragilisés. Cette crise sanitaire a très certainement amplifié le processus de crise suicidaire dont l'origine est toujours à chercher dans une lecture multifactorielle, explique le Centre de prévention du suicide dans son deuxième bilan. Une forte augmentation des appels et une plus grande intensité de la souffrance se sont fait ressentir.
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Les conséquences socio-économiques de la crise n'ont fait qu'accroître les facteurs de risque suicidaire. " Il est important d'être accompagné et de ne pas rester seul avec sa souffrance. Le message qu'on veut véhiculer, c'est: "Pas tout seul!", explique au jdM Nicolas Miest, psychologue au Centre de prévention du suicide. En comparant, dans son deuxième bilan, cette année à la précédente, le centre met en évidence une augmentation de 50% des consultations pour l'accompagnement de la crise suicidaire et de 29% des consultations pour l'accompagnement du deuil après suicide, si ces activités se poursuivent avec la même intensité jusque fin décembre. " Avec la deuxième vague, on a vu arriver d'autres types de patients qui n'étaient pas des personnes qui auraient consulté en dehors du contexte sanitaire", explique Nicolas Miest. "Fragilisées par les vagues successives, elles se retrouvent à cours de ressources et commencent à développer des angoisses et un trouble de l'humeur avec le sentiment que l'horizon est bouché et qu'il n'y a pas d'issues favorables, comme cette jeune indépendante, récemment." "On a senti durant la première vague que la crise sanitaire avait provoqué un facteur de risque supplémentaire par rapport à la crise suicidaire. Nous l'avons perçu chez les personnes que l'on suivait déjà. à titre d'exemple, le confinement dans les familles a créé une source de tension générant, dans certains cas, des violences intrafamiliales et/ou conjugales, ce qui n'aide évidemment pas les personnes déjà fragilisées", ajoute le psychologue. " Bien que la première vague de confinement ait fragilisé un certain nombre de personnes, le fait que cette crise était nouvelle et que sa temporalité semblait s'inscrire seulement à court terme permettait raisonnablement d'espérer qu'on allait, à moyen terme, en sortir. Quand est apparue la deuxième vague, les gens n'étaient pas encore remis de l'épreuve qu'avait constituée la première. Les ressources étaient donc déjà entamées et la temporalité beaucoup plus floue. Tout cela a entraîné une bonne dose d'incertitudes et d'insécurité. Des facteurs de risque socio-économiques sont venus se surajouter. Certains filets de sécurité ont été remis en cause comme, par exemple, l'octroi du droit passerelle pour certains indépendants."Personne n'est épargné par cette crise. Toutes les tranches d'âges et classes sociales sont touchées, même si c'est de manière inégalitaire. "Les gens sur le marché de l'emploi sont les premiers impactés. Certains moins que d'autres car il y a des secteurs qui ont été plus épargnés car jugés essentiels. En revanche, certains secteurs ont été touchés de plein fouet (le culturel, l'évènementiel, l'horeca, le tourisme, etc.). Une partie de la population peut ainsi ressentir une certaine violence par rapport à cette classification. Chez les personnes âgées, n'en parlons pas! Quand on entend ce qui s'est passé dans les maisons de repos, je pense que ces personnes ont été, dans un certain nombre de cas, insuffisamment accompagnées", soutient Nicolas Miest. " En réalité, personne n'a été épargné et toutes les classes sociales ont été touchées, même si c'est de manière inégalitaire. Chez les jeunes, on parle de "génération sacrifiée" au vu de la privation des liens sociaux et scolaires. Cela atteint aussi bien les petits enfants ou adolescents que les étudiants à l'université ou en école supérieure. On sent bien que pour un certain nombre d'entre eux, des grains de sable sont venus se glisser dans les rouages de leur construction identitaire et scolaire."Plusieurs aides sont proposées par le Centre de prévention du suicide: la ligne téléphonique de crise 0800.32.123 qui fonctionne 24h/24 et 7j/7, la cellule d'intervention psychologique de crise (CIPC) spécialisée dans l'accompagnement de la crise suicidaire, la cellule d'accompagnement du deuil après suicide et la cellule formation, sensibilisation et postvention. "La ligne téléphonique de crise est gérée par des bénévoles qui sont formés et supervisés par des psychologues. Ils vont être à l'écoute de la souffrance des personnes. Ce sont des suivis ponctuels et anonymes. C'est important, parce que ça veut dire que le week-end et la nuit, dans des moments où l'aide est moins accessible chez les acteurs de la santé en général, il y a la possibilité d'avoir quelqu'un au bout du fil qui va pouvoir accompagner, le temps d'une conversation, les angoisses et les souffrances avec la garantie de ne pas être jugé. Bien que ponctuelle, cette aide a tout son sens et peut d'ailleurs permettre de prendre conscience de la nécessité d'être accompagné, et de ne pas rester seul avec sa souffrance. Ça, c'est un message que nous voulons véhiculer: "Pas tout seul!". En dehors de cette ligne de crise, la cellule d'intervention psychologique de crise accompagne des personnes qui sont en crise suicidaire avec ou sans passage à l'acte. "Il s'agit d'un accompagnement de deux mois maximum avec des entretiens gratuits durant lesquels on va s'appliquer à rejoindre la personne au fond du "puits de sa souffrance" pour pouvoir ensuite remonter, pas à pas, avec elle, et rouvrir l'espace des possibles."Ces personnes sont envoyées par les réseaux hospitaliers ou les acteurs du monde psycho-médico-social. Un certain nombre d'entre elles viennent également de leur propre initiative. "Quand on reçoit une personne en crise suicidaire, la plupart du temps, elle évoque, à titre d'explication, un élément déclenchant. Nous allons alors chercher à relier cet élément, qui s'inscrit dans le présent ou le passé proche, au processus suicidaire qui, lui, se constitue dans une temporalité beaucoup plus longue, parfois même dès le début de l'existence quand la personne est exposée à des facteurs de risque précoces. Le travail de la crise suicidaire va consister à travailler sur toute l'épaisseur de l'histoire du sujet pour essayer d'y détecter les traumas non métabolisés, les blessures insuffisamment cicatrisées, les fêlures non identifiées. Il s'agit d'accompagner la personne afin qu'elle puisse retrouver des ressources et se renforcer de telle sorte qu'elle puisse mieux faire face, à l'avenir, à d'autres épreuves douloureuses." Le Centre de prévention du suicide comprend également une cellule d'accompagnement du deuil après suicide. "Les personnes endeuillées, qui hors confinement pouvaient trouver dans leur travail et leurs contacts sociaux des occasions de pouvoir sortir, se retrouvent soudainement confrontées à leur solitude et en contact permanent avec une intériorité devenue plus douloureuse encore", explique Nicolas Miest. "Cette solitude représente une difficulté supplémentaire car elle les expose d'autant plus intensément au processus du deuil qui, rappelons-le, est plus traumatique et plus compliqué que d'autres deuils. Cet état de fait peut avoir un impact important. Ainsi, une perte de sens peut apparaître d'autant plus, et parfois même mener jusqu'à une crise suicidaire. Au niveau de ces personnes-là, une attention spécifique doit être assurée."