De manière globale, le Dr Bejjani constate que la spécialité est dans un cul-de-sac. "Le budget des honoraires des médecins de +/- neuf milliards est tellement impacté par les prélèvements des hôpitaux que si on divise la somme réelle par le nombre total d'heures prestées par les médecins, à la grosse louche, avec 40.000 médecins actifs pour quatre milliards d'euros disponibles, les médecins ont droit en moyenne à moins de 100.000 euros bruts par an! Hallucinant! Et on s'étonne de la poussée des suppléments!"

Pas de survolume mais surcharge

Pour éviter les malentendus, en anesthésie, le Dr Bejjani ne voit pas un problème de survolume. "Les anesthésistes ne sont pas prescripteurs et je ne peux pas endormir le patient deux fois! Le chirurgien ne peut pas non plus opérer deux fois la même chose. Il y a par contre une réelle croissance du volume des actes mais ce n'est pas de la surprescription. C'est l'évolution des techniques notamment invasives, et le développement des interventions dans lesquelles l'anesthésie est demandée (les péridurales pour les accouchements, la prise en charge de la douleur, le dépistage par endoscopie, mais aussi les techniques endo-vasculaire). La croissance de l'anesthésie est en général linéaire et suit celle de la chirurgie. Mais comme la croissance du budget est limitée à l'index il y a un problème de valorisation des heures prestées. Pour preuve, la croissance budgétaire 2018-2019 qui était de quelques pourcents (2,33%) est inférieure au nombre d'actes en anesthésie (2,96%). Donc nous sommes moins payés pour faire plus. Et c'est pour cette raison qu'on va dans le mur". Tout incite à assurer de plus en plus d'heures sans partager la charge avec plus de collègues. Avec la crise Covid en plus qui a diminué de 16% les honoraires générés en 2020, rien ne va réduire l'incertitude dans le chef des médecins quant à l'avenir, constate Bejjani.

A première vue, il y a deux fois plus de diplômés que de places disponibles en vue. Mais il faut relever trois problèmes. Le premier est dû au fait que malgré l'arrivée des médecins européens, il y a énormément de médecins étrangers formés mais aussi des Belges qui ne resteront pas en Belgique. Le solde de ces mouvements est peut-être positif ou négatif, cela reste à analyser. "Le deuxième problème est la pression et la responsabilité des hôpitaux universitaires qui poussent à former plus d'assistants pour pouvoir les utiliser comme main-d'oeuvre semi-gratuite. Enfin, au-delà de la formation, il faut tenir compte du "timat" et de la charge réelle de travail. Il y a beaucoup de médecins qui ne font plus des semaines complètes."

Burnout généralisé

Le système à plusieurs salles a disparu depuis longtemps et est interdit. "Mais certains sont poussés à braver l'interdit ou faire des raccourcis pour des raisons financières. On sait que tous les opérés ne passent pas forcément préalablement en consultation et cela ne se fera que si la valorisation de ce travail est correcte. Il faudrait aussi valoriser toutes les missions que les anesthésistes font dont le suivi en salle d'hospitalisation, la disponibilité intra-hospitalière et les gardes. C'est de cette manière que nous éviterons les difficultés à venir."

Le budget trop étroit ne devrait pas pousser à des dérives qualitatives et ne permet pas non plus de payer des infirmiers à la place des anesthésistes, selon le Dr Bejjani. "Le débat est sensible mais ce n'est pas en valorisant des anesthésies à haut risque, notamment en pédiatrie, à 50 euros qu'on va encourager les anesthésistes à en superviser trois simultanées réalisées par des infirmiers. D'ailleurs, pourquoi l'anesthésiste a-t-il une nomenclature moins rémunératrice que le chirurgien? A temps de travail et à formation égale, cela n'est pas compréhensible."

Enfin, n'oublions pas l'impact du stress et du risque dans ce métier. Le Dr Bejjani note d'ailleurs un taux de suicide élevé et dans son entourage proche, il a observé une dizaine de suicides sur les 15 dernières années, c'est considérable. "Le burnout est aussi important dans cette spécialité. La pression tue car un incident et une plainte en justice pèsent sur la vie entière d'un anesthésiste."

L'avenir incertain de l'anesthésiologie

L'avenir de l'anesthésie comporte de nombreux points d'interrogation. Il est difficile de prévoir combien de nouveaux anesthésistes seront effectivement nécessaires à l'avenir. Mais il est peu probable que le chômage règne de sitôt dans cette spécialité.

Un nouveau numéro de nomenclature est en cours de préparation pour la consultation préopératoire par les anesthésistes - la question est de savoir quelle quantité de travail supplémentaire cela entraînera. La reconnaissance du nouveau titre professionnel d'algologue est attendue. Grâce à cette qualification supplémentaire, davantage d'anesthésistes pourront probablement travailler.

Luc Sermeus souligne que l'effet de la double cohorte chez les stagiaires anesthésistes disparaîtra d'ici quelques années(1). Certains signes indiquent que le nombre d'anesthésistes dans la discipline est en train de diminuer dans l'intervalle. Certains hôpitaux francophones ont déjà du mal à trouver de nouveaux candidats pour occuper des postes de stagiaires en anesthésie. Quel effet cela aura-t-il sur le nombre de postes vacants? L'incertitude quant à l'avenir a peut-être rendu les gens trop prudents dans l'estimation du nombre de postes vacants. Et si les hôpitaux appliquaient le principe "la sécurité d'abord" dans cette discipline, se demande le professeur?

En outre, de nombreux anesthésistes approchent de l'âge de la retraite qui sera porté à 67 ans d'ici 2025. Enfin, les anesthésistes sont 1.427 actifs dans les seuls hôpitaux flamands ce qui correspond à seulement 1.100 ETP...

1. Lors du symposium virtuel organisé par l'APSAR le 8 mai dernier.

De manière globale, le Dr Bejjani constate que la spécialité est dans un cul-de-sac. "Le budget des honoraires des médecins de +/- neuf milliards est tellement impacté par les prélèvements des hôpitaux que si on divise la somme réelle par le nombre total d'heures prestées par les médecins, à la grosse louche, avec 40.000 médecins actifs pour quatre milliards d'euros disponibles, les médecins ont droit en moyenne à moins de 100.000 euros bruts par an! Hallucinant! Et on s'étonne de la poussée des suppléments!"Pour éviter les malentendus, en anesthésie, le Dr Bejjani ne voit pas un problème de survolume. "Les anesthésistes ne sont pas prescripteurs et je ne peux pas endormir le patient deux fois! Le chirurgien ne peut pas non plus opérer deux fois la même chose. Il y a par contre une réelle croissance du volume des actes mais ce n'est pas de la surprescription. C'est l'évolution des techniques notamment invasives, et le développement des interventions dans lesquelles l'anesthésie est demandée (les péridurales pour les accouchements, la prise en charge de la douleur, le dépistage par endoscopie, mais aussi les techniques endo-vasculaire). La croissance de l'anesthésie est en général linéaire et suit celle de la chirurgie. Mais comme la croissance du budget est limitée à l'index il y a un problème de valorisation des heures prestées. Pour preuve, la croissance budgétaire 2018-2019 qui était de quelques pourcents (2,33%) est inférieure au nombre d'actes en anesthésie (2,96%). Donc nous sommes moins payés pour faire plus. Et c'est pour cette raison qu'on va dans le mur". Tout incite à assurer de plus en plus d'heures sans partager la charge avec plus de collègues. Avec la crise Covid en plus qui a diminué de 16% les honoraires générés en 2020, rien ne va réduire l'incertitude dans le chef des médecins quant à l'avenir, constate Bejjani. A première vue, il y a deux fois plus de diplômés que de places disponibles en vue. Mais il faut relever trois problèmes. Le premier est dû au fait que malgré l'arrivée des médecins européens, il y a énormément de médecins étrangers formés mais aussi des Belges qui ne resteront pas en Belgique. Le solde de ces mouvements est peut-être positif ou négatif, cela reste à analyser. "Le deuxième problème est la pression et la responsabilité des hôpitaux universitaires qui poussent à former plus d'assistants pour pouvoir les utiliser comme main-d'oeuvre semi-gratuite. Enfin, au-delà de la formation, il faut tenir compte du "timat" et de la charge réelle de travail. Il y a beaucoup de médecins qui ne font plus des semaines complètes."Le système à plusieurs salles a disparu depuis longtemps et est interdit. "Mais certains sont poussés à braver l'interdit ou faire des raccourcis pour des raisons financières. On sait que tous les opérés ne passent pas forcément préalablement en consultation et cela ne se fera que si la valorisation de ce travail est correcte. Il faudrait aussi valoriser toutes les missions que les anesthésistes font dont le suivi en salle d'hospitalisation, la disponibilité intra-hospitalière et les gardes. C'est de cette manière que nous éviterons les difficultés à venir."Le budget trop étroit ne devrait pas pousser à des dérives qualitatives et ne permet pas non plus de payer des infirmiers à la place des anesthésistes, selon le Dr Bejjani. "Le débat est sensible mais ce n'est pas en valorisant des anesthésies à haut risque, notamment en pédiatrie, à 50 euros qu'on va encourager les anesthésistes à en superviser trois simultanées réalisées par des infirmiers. D'ailleurs, pourquoi l'anesthésiste a-t-il une nomenclature moins rémunératrice que le chirurgien? A temps de travail et à formation égale, cela n'est pas compréhensible."Enfin, n'oublions pas l'impact du stress et du risque dans ce métier. Le Dr Bejjani note d'ailleurs un taux de suicide élevé et dans son entourage proche, il a observé une dizaine de suicides sur les 15 dernières années, c'est considérable. "Le burnout est aussi important dans cette spécialité. La pression tue car un incident et une plainte en justice pèsent sur la vie entière d'un anesthésiste."