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Né à Tripoli en Libye un 21 juillet 1945, Abdul Wahed El Gariani se révèle être un élève brillant avec un don marqué pour la peinture. " Mon directeur d'école m'aimait bien et il m'a nommé très tôt responsable de la salle de peinture ", nous dit-il. Le directeur de son école secondaire l'encourage à partir en Europe en insistant auprès de son père. Après l'obtention d'une bourse qui lui permet d'apprendre le français, il se retrouve en Belgique. Alors qu'il souhaitait rentrer aux Beaux-Arts, on lui fait explicitement comprendre que le pays n'a pas besoin d'artistes mais bien de médecins. En 1966, il s'inscrit donc à l'ULB où les professeurs lui conseillent de revenir " après avoir appris correctement la langue ". Il part donc à l'UCL. " Cette seconde année, je n'ai fait que sortir. J'ai visité en Belgique tout ce que Rubens avait fait, j'ai découvert Bruges et ses musées ", nous avoue-t-il en rigolant. Après ces deux années d'échec, la bourse lui est retirée. Les autorités libyennes lui font savoir qu'il reviendra " pour balayer les rues de Tripoli ". Piqué au vif, il accumule les petits boulots et les études s'égrènent dès lors sans trop de difficultés. Le soir, il circule dans les couloirs de Saint-Pierre à Leuven poussé par une envie de sentir le monde médical. Le Dr Jean-Paul Squifflet le remarque et après un bref échange, lui propose de le seconder durant ses opérations. Une rencontre incroyable. " Je suis immédiatement tombé amoureux de la chirurgie " reconnaît-il . Encouragé par son patron et maître puis ami, le Pr Kestens, et le service à remplir sa demande d'agrégation, Abdul El Gariani tergiverse. " C'est finalement eux qui l'ont rempli en me traitant de con ", nous dit-il dans un éclat de rire. " En chirurgie cardio-thoracique j'ai eu l'encouragement et l'appui inconditionnel du Pr Pierre Jaumin. "Cette tête de mule se révèle être un assistant brillant à qui on aime confier les situations difficiles. " Un jour, on m'avait demandé d'opérer un cas délicat que je n'avais jamais rencontré en salle. J'y suis parvenu et cela m'a poursuivi toute ma carrière. Dès que c'était difficile, c'était pour ma pomme ". Pour ce pur produit de Saint-Luc, le travail, le groupe et la confiance du patron sont des règles auxquelles il restera fidèle durant toute sa carrière. Un caractère, mais bon comme le pain, que les services s'arrachaient. Celui qui ne voulait pas effectuer de stage à l'étranger - " pour le faire valoir sur un papier "- part pour Ottignies un an puis revient à Saint-Luc. Deux services se l'arrachent. Un compromis est trouvé : il fera six mois en digestif puis six mois en cardiaque. Pas carriériste pour un sou, mais génie révélé aux autres, celui qui voulait devenir chirurgien digestif, mais qui est alors chirurgien cardiaque, se voit confier une mission. On lui demande de recevoir des candidats et de les former. C'est à ce moment précis que celui qui ne rêvait que de rentrer en Libye rencontre soeur Luc " l'infirmière en chef en chirurgie cardiothoracique. Une personnalité qui m'a appris plein de choses " nous confie-t-il. C'est influencé par elle et une fois installé qu'il instaure deux tours de service par jour. Celui du matin et celui après la salle d'op. C'est lui aussi qui demande que le chirurgien de garde en chirurgie cardiaque dorme à l'hôpital, ce qui ne se faisait pas avant. Mais alors qu'il se fait détester, un ponte libyen le rencontre et lui propose de revenir au pays avec une couronne de lauriers. Bon débarras chuchote-t-on dans certains services. " J'ai refusé ", nous dit-il. Peu de temps avant, il s'était rendu à Tripoli avec ses trois enfants et leur maman : " Mon ex-femme n'avait pas du tout aimé, alors j'ai décidé de ne plus y retourner ". C'est alors que celui qui ne demandait jamais les résultats par téléphone et qui allait les chercher lui-même dans les services car " les avoir tôt m'a parfois permis de sauver des vies ", se voit confier sa dernière grande mission à Saint-Luc. En compagnie des Drs Philippe Meert et Eric Marion, ils montent l'équipe médicale du service des urgences. Sa connaissance de l'informatique est un plus indéniable. Il rêvait de devenir chirurgien mais terminera urgentiste. En 1986, il est nommé officiellement résident et restera dans ce service jusqu'en 2010, année de son départ à l'éméritat. Départ relatif car il restera encore actif en traumatologie durant presque quatre ans à temps partiel. Il retient de tout cela l'adrénaline, l'imprévu et l'excitation qui le passionnèrent toute sa carrière. " Durant les réunions, je dessinais tout le temps ". Des dessins sur papier qui auraient fait le bonheur de feu le Pr Reynaert qui les collectionnait. Passionné par le Caravage, Ingres et Rubens, il a acheté dernièrement un chevalet qu'il a placé dans un chalet en bois au fond de son jardin. Un abri qu'il vient juste de terminer. Les cinq années à venir : " je vais me consacrer à la peinture et j'ai envie de peindre des tableaux sur mon enfance, du temps où j'étais à l'école coranique, ou encore faire le portrait de mes petites filles ".Sans doute le retrouverons-nous exposé lors des " fêtes de la Saint-Martin ". Un rendez-vous artistique se déroulant chaque année dans la commune de Beauvechain où le Dr El Gariani réside depuis toujours. Les lecteurs qui souhaitent le contacter le retrouveront sans problème sur Facebook où " Papa Abdul ", comme aime à l'appeler la jeune génération de médecins, est actif de temps en temps.