De la naissance du concept de perturbateurs endocriniens à leur définition et à l'étude de leurs effets sur la santé, la Pr Corinne Charlier (ULiège) a fait le tour de la question lors du 10e Congrès de médecine et nutrition de la Société belge des médecins nutritionnistes.
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Poêle en téflon, insecticides, vernis à ongles, produits ménagers... les perturbateurs endocriniens (PE) sont partout. En 2002, l'Organisation mondiale de la santé définit le perturbateur endocrinien comme étant " une substance ou un mélange de substances exogènes altérant les fonctions du système endocrinien et induisant des effets nocifs sur la santé d'un organisme intact, de ses descendants ou de (sous)populations. " " La définition de l'OMS ne suffit pas à prendre des mesures pour nous protéger. Il faut que la Commission européenne (CE) interdise les produits chimiques à effet perturbateur endocrinien et, pour pouvoir les interdire, il faut qu'elle en donne une définition précise ", a expliqué la Pr Corinne Charlier (Toxicologie clinique, médicolégale, de l'environnement et en entreprise, CHU Liège). Après moult péripéties, la CE finit par donner sa définition en juillet 2017. " Elle recourt à trois critères nécessaires pour qualifier une substance chimique de PE : posséder des effets indésirables sur un organisme vivant, avoir un mode d'action endocrinien et il doit exister un lien de causalité entre l'effet indésirable et le mode d'action endocrinien. Ce troisième élément est compliqué : comment, pour un homme de 30 ans consultant pour hypofertilité, peut-on remonter à l'exposition in utero ? " S'interroge-t-elle. Après le rejet par le Parlement européen, la CE a fait une nouvelle définition qui a été adoptée en décembre 2017. Actuellement, le champ d'application de la perturbation endocrinienne s'étend de plus en plus et on distingue les effets directs et indirects. Les premiers concernent la capacité d'un PE à stimuler les récepteurs endocriniens, à les bloquer ou interagir avec la production, le transport, le métabolisme d'une hormone naturelle. " Ainsi, les phtalates (plastifiants) se lient à un récepteur PPARgamma, entraînant des modifications dans l'expression de gènes, qui vont aboutir à une différenciation des préadipocytes en adipocytes, favorisant la prolifération du tissu adipeux, l'obésité, l'augmentation de la résistance à l'insuline et in fine le diabète. " " Depuis quelques années ", poursuit-elle , " on parle beaucoup des effets épigénétiques. L'épigénétique étudie la nature des mécanismes modifiant de façon réversible, transmissible et adaptative l'expression des gènes, sans en changer la séquence nucléotidique. " Parmi les marqueurs épigénétiques, la méthylation de l'ADN et la modification des histones : " On a montré l'existence d'une corrélation entre ces modifications épigénétiques et différentes pathologies : par exemple, des méthyles en proportion importante sur certains gènes vont favoriser des cancers du rein, sein, côlon..., les modifications des histones donnent plutôt des maladies neurologiques. " " L'environnement semble donc importer plus que les gènes : c'est à la fois rassurant parce que si nous changeons nos comportements, nous pourrons corriger certaines anomalies ; et c'est inquiétant parce que notre comportement et le milieu auquel nous sommes exposés peuvent entraîner des modifications du profil génétique ", commente Corinne Charlier. " Les pathologies de l'axe des hormones sexuelles ont été le plus étudiées parce que c'est par là que tout a commencé (hypofertilité, cancers du sein...). Mais les maladies métaboliques (diabète de type 2, obésité infantile) et l'axe neurologique ont aussi donné lieu à de multiples travaux. On rajoute aujourd'hui les problématiques touchant l'immunité ", précise la spécialiste. Les PE sont répartis en POPs (polluants organiques persistants, pesticides organochlorés, PCB) et non POPs. " Ces derniers s'éliminent très vite mais, comme on les retrouve dans les produits de la vie courante, nous sommes contaminés en permanence (parabens, phtalates et BP3) ". Une étude épidémiologique réalisée par l'équipe de Corinne Charlier montre une contamination très élevée en région liégeoise (dérivés de parabens et phtalates chez plus de 85% de la population)1. " Rachel Carson, mère des mouvements environnementaux, disait que nous exposons des populations entières à des produits chimiques dont nous savons qu'ils sont toxiques chez l'animal et dont bien souvent les effets sont cumulatifs. Pour établir le lien entre l'exposition à un produit et une pathologie, il faudrait pouvoir prouver les choses chez l'homme. Or, l'expérimentation humaine n'est pas possible, il faut se contenter des études épidémiologiques ", note-t-elle. Corinne Charlier propose des pistes : " Un objectif qui me paraît important c'est de se mettre d'accord sur une liste des PE. On pourrait les classer comme on le fait pour les substances cancérogènes : risques avérés, présumés et suspectés. Cela permettrait d'avancer politiquement. Ensuite, il faut poursuivre les études d'imprégnation pour connaître l'état de contamination de la population ". C'est l'objectif du projet de biomonitoring (BMH Wal), soutenu par le gouvernement wallon. " Il faut aussi des réévaluations périodiques pour apprécier les actions de prévention, de manière à pouvoir passer des messages positifs (un mois d'alimentation bio entraîne une diminution significative de la contamination) et améliorer la connaissance d'une relation entre l'exposition aux PE et de nombreuses pathologies. Après nos travaux sur l'impact des PE sur les fonctions thyroïdiennes (augmentation du risque d'hypothyroïdie), nous travaillons sur l'occurrence du diabète de type 2. " 2" Compte tenu des connaissances scientifiques actuelles, l'absence de certitude de la toxicité des PE ne doit pas retarder l'adoption de mesures pour prévenir le risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement et à l'homme, à un coût économiquement acceptable. J'ai l'espoir que ce type de message finisse par être entendu ", conclut la Pr Charlier. Signalons que le SPF Santé Publique planche sur un plan d'action national sur les perturbateurs endocriniens.