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Officiellement reconnu depuis 2012, le PICS (Post-intensive care syndrome) a été largement mis en lumière lors de la crise du covid-19 qui a mené de nombreuses personnes dans les unités de soins intensifs. Dans un second rapport consacré à ce sujet (364B), le Centre fédéral d'expertises des soins de santé (KCE) fait une série de recommandations: meilleure gestion de la douleur, diminution de la ventilation mécanique, maintien d'une sédation aussi légère que possible, prévenir le delirium, maintien des cycles jour-nuit, qualité du sommeil et contact renforcé avec les proches. Toutes mesures qui réclament du personnel supplémentaire... Le jdM : Quand avez-vous personnellement pris connaissance du PICS? Ce syndrome revêt-il pour vous une réalité incontestable scientifiquement? Pr Jean-Louis Vincent: Le PICS est connu depuis le début des soins intensifs et est lié à la fois à la sévérité des pathologies et au caractère artificiel du séjour dans une USI. La fréquence et la sévérité du PICS a augmenté par suite de la plus grande lourdeur des pathologies, ainsi que la possibilité de sauver des vies aux dépens d'un long séjour, souvent compliqué. Est-ce que les mesures préventives (telles "diminuer autant que possible la durée de la ventilation mécanique, ce qui va de pair avec le maintien d'une sédation aussi légère que possible") sont déjà généralisées à l'heure actuelle? Bien sûr, la durée de ventilation mécanique doit être la plus courte possible. C'est l'évidence même. Nous avons fait des progrès dans l'assistance respiratoire sans intubation endotrachéale, et l'expérience du covid-19 y a participé. La vraie question est celle de la sédation, qui y est (trop) souvent associée et qui est l'élément causal principal du PICS. Beaucoup de centres abusent d'agents sédatifs (même si les médecins s'en défendent), allant parfois jusqu'à ce que certains appellent un "coma artificiel". Dans certaines USIs, on applique sans trop y réfléchir une sédation dite "de confort" chez tout malade sous ventilation mécanique. Dans le passé, la sédation était indispensable lorsque les respirateurs imposaient ce qu'on appelait la la "ventilation artificielle", un terme devenu désuet. Les développements technologiques ont conduit au concept d'assistance respiratoire: la machine aide le malade à respirer. Il existe différents modes de ventilation, qui peuvent être adaptés aux besoins de chaque malade. Le respirateur coûte aujourd'hui le prix d'une belle Mercedes, il serait dommage de ne pas en tirer profit. La douleur doit toujours être contrôlée, mais le confort n'exige pas de sédation. C'est d'autant plus vrai que la sédation implique évidemment son arrêt à un certain moment, avec risque alors de confusion (delirium), d'inconfort et d'agitation associés à une phase de demi-sommeil. On ne fait que postposer les problèmes. L'administration de sédatifs pallie parfois le manque de réaction appropriée à un problème ressenti par le malade. Avec une bonne communication, bon nombre de malades peuvent être conscients sous ventilation mécanique, peuvent interagir avec les proches, regarder la télévision... ou lire un livre! Ceci requiert une approche humaine de la part du personnel soignant qui doit comprendre ce que désire le malade, expliquer la situation et pallier ce qui entraîné l'inconfort, que ce soit la douleur, la mauvaise position, le froid, le besoin de déféquer... La réponse à tout cela n'est pas la sédation. On insiste plutôt aujourd'hui sur l'importance de la mobilisation précoce, pour des raisons physiques et psychologiques évidentes. Si elle est appliquée intelligemment, la mobilisation du malade ne peut être que bénéfique. Un hôpital hollandais permet aux malades graves une petite plongée en piscine, malgré la ventilation mécanique... Pour résumer ces éléments, nous avons développé en Europe le concept de 'eCASH': 'early Comfort with adequate Analgesia, minimal or no Sedation and Humane approach'. C'est la meilleure prévention du PICS. Pour nos lecteurs médecins généralistes, que pensez-vous de la détection des signes de PICS "grâce à un ensemble de six tests validés, rapides et faciles à réaliser en cabinet de médecine générale"? Le PICS n'a pas de traitement spécifique, mais une approche symptomatique, essentiellement non-médicamenteuse. Il n'y a donc pas lieu de s'attarder à tenter d'y mettre une étiquette: les symptômes sont variés. On recommande aux médecins traitants les cinq éléments suivants, synthétisés par le mot 'ECRIS': Écouter avant tout, ce que le patient ressent, quels sont ses souvenirs et ses plaintes ; Comprendre: il serait erroné de conclure trop vite, de minimiser et plus encore d'émettre un jugement critique ou négatif ; Reconnaître/relativiser: expliquer au patient que le problème est fréquent, qu'il/elle est loin d'être le seul à connaître cet état ; Instruire, expliquer les causes ; Soutenir, conseiller, accompagner: la porte ne se referme pas, mais au contraire le suivi sera assuré. Certains services de soins intensifs, dont le nôtre, ont des consultations post-USI où les patients peuvent, s'ils le désirent, revenir consulter l'équipe d'intensivistes, de kinésithérapeutes, de psychologues..., exprimer leurs symptômes et leurs craintes, poser leurs questions et entendre la réassurance des équipes. Le tout se termine volontiers par une photo de groupe. Bien sûr, les malades peuvent revenir s'ils le jugent utile. Est-il possible/réaliste/souhaitable d'impliquer davantage les proches en augmentant les heures de visites? Absolument! La notion d'heures de visites est basée sur des principes ancestraux et erronés. Il n'y a plus d'heures de visite dans les hôpitaux modernes (sauf parfois la nuit pour des raisons de sécurité). Séparer le malade de ses êtres chers n'a pas de sens. Le malade a au contraire besoin du réconfort et du soutien des proches. Le malade de soins intensifs est généralement conscient et apte à comprendre. Les nouvelles apportées par la famille sont un incitant à la guérison. Les proches peuvent participer aux soins, en particulier à nourrir le malade qui peut l'être, pourquoi pas en ajoutant ses petits plats préférés? La famille distrait, participe au maintien des activités intellectuelles. Nous avons commencé la visite d'animaux de compagnie. Nous devons parfois insister pour que les proches restent au chevet, plutôt que d'entendre l'excuse qu'il/elle "doit se reposer, n'est-ce-pas Docteur?" Eh bien non, le malade se reposera la nuit. Trop de repos affaiblit et fait fondre les muscles. Les recommandations du KCE impliquent davantage de personnel dans les USI... Vous croyez la chose possible? Je ne peux évidemment pas m'opposer à une proposition d'élargir les cadres des équipes de soins intensifs. La qualité des soins est directement proportionnelle au nombre de membres dans l'équipe. Les équipes travaillent dur, et méritent d'être soutenues. Je me permets toutefois d'ajouter qu'une armée de soignants n'améliorera pas grandement la qualité des soins en l'absence de motivation. Cela prend du temps de faire comprendre aux équipes l'importance de l'ouverture des USIs aux familles. Initialement, le personnel infirmier craint que le travail soit ralenti par les questions récurrentes, alors que les contacts plus fréquents permettent au contraire une amélioration de la relation. Cela prend du temps pour les équipes de réaliser que les explications fournies aux patients en leur prenant le bras prennent moins de temps que de devoir gérer l'agitation et la confusion lors de l'arrêt des sédatifs. Cela prend du temps aux équipes de réaliser le bénéfice de la mobilisation et des petites promenades en-dehors des USIs.