C'est avec un certain plaisir que je reprends la plume après avoir eu l'opportunité de confronter le système belge à ce qui se passe chez certains de nos voisins, assistant le 25 avril à la conférence-débat du Master en management des institutions de soins de santé (MMISS) consacrée au plafond de verre dans les soins de santé.
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S'il est un constat unanime, les soins de santé sont une préoccupation citoyenne majeure mais pas que. Les soignants et directions des institutions de soins, déjà affaiblis, ont été particulièrement malmenés durant la période Covid et les interrogations pour l'avenir sont nombreuses, tant en Belgique que dans la plupart des pays européens. Les femmes sont-elles susceptibles d'apporter des solutions originales à une équation qui occupe toujours majoritairement les hommes, alors que les soins de santé se sont très largement féminisés? Pas question cependant, dans cet article, d'un plaidoyer pour plus de représentativité forcée des femmes mais bien de comprendre, à travers de témoignages personnels, pourquoi cette sous-représentativité persiste. La question est d'autant plus essentielle que les droits de la femme sont loin d'être garantis à travers le monde et connaissent même un certain recul. Dr Caroline Depuydt, psychiatre et membre du bureau de l'Absym, rappelle qu'à côté de sa vie professionnelle active, rémunérée et visible, il y a le reste, ce champ de l'invisible qui consiste à une vie privée contributive au bien-être de la société et, plus égoïstement, le droit de pouvoir se détendre et de profiter de la vie, sans compter l'essentiel sommeil. Par rapport à cette vie déjà bien remplie, on peut comprendre que certaines femmes hésitent à se consacrer à un cinquième pôle de travail, rémunéré ou non, que sont les postes de représentativité et de responsabilités. Il n'est donc pas étonnant que, dans ces postes, surtout non rémunérés, on retrouve plutôt des personnes d'âges murs, sans enfants ou petits enfants à charge, et sans trop de contraintes et de responsabilité. La psychiatre conclut qu'il y a bien un élément de choix personnel de la femme à accepter ce type de poste, choix dicté par des priorités qui peuvent être différentes entre homme et femme, sans que cette différence ne puisse devenir un argument discriminant. Une réalité qui touche, au demeurant, progressivement aussi les hommes qui, dans les jeunes générations, souhaitent profiter d'autres valeurs que sont la famille et les loisirs ainsi qu'un partage de responsabilités dans le couple. Sous cet angle, le rééquilibrage se fera-t-il naturellement, en "dégendrant" les responsabilités de la vie? Le débat est ouvert mais sans doute faudra-t-il encore quelques coups de pouce externes pour le faciliter. Brigitte Valkeniers, présidente de la KAGB (pendant néerlandophone de l'Académie royale de médecine) enchaîne sur l'intérêt d'équilibrer au mieux la représentativité hommes/femmes dans la recherche de l'efficience et d'un enrichissement des valeurs réciproques. D'autres secteurs, très masculinisés il y a encore quelques années, ont déjà largement réussi une certaine transition alors que le secteur de la médecine reste, quant à lui, très largement dominé par des valeurs masculines. À bon escient, elle rappelle à titre exemplatif que le premier levier pour atteindre une égalité socialement acceptable et acceptée repose sur l'éducation aux valeurs d'égalité mais aussi de permettre aux femmes de se déculpabiliser d'être femme. Est-il normal qu'une grossesse ou sa volonté de mère à se consacrer à sa famille soient encore trop souvent analysées comme une faiblesse, une indisponibilité non justifiée, ni justifiable à une carrière dans la médecine? La réponse doit être clairement non, quant aux moyens pour y remédier, c'est déjà moins évident. A Caroline Franckx, directrice générale du CHU Brugmann, de poursuivre, elle aussi se fondant sur son expérience personnelle. Des acquis reposant sur l'équilibrage difficile entre une vie de femme et une vie professionnelle chargée. Une génération de femmes "boomers", marquée par des formations délivrées par des professeurs masculins aux acquis ancrés et une entrée dans un monde professionnel d'universitaires dominé par des hommes. Banque et finances, ingénierie, médecine, mondes des affaires, autant de secteurs qui ont dû apprendre à composer avec des femmes. Des femmes qui, aujourd'hui, se positionnent malgré tout de plus en plus dans les postes de directions et bousculent définitivement les acquis, non sans une certaine résistance. Derrière un discours lissé d'égalité des sexes, pour rappel classé cinquième objectif sur 17 de développement durable défini par l'ONU, Caroline Franckx rappelle que la femme doit aussi pouvoir exprimer ses besoins propres par rapport aux attentes de l'entreprise dans laquelle elle travaille, sans honte ni tabou. La flexibilité, tant dans la répartition des tâches qu'elle accepte que dans le temps qu'une femme est prête à y consacrer, n'entache ni sa compétence ni sa plus-value potentielle. Retenons-le. Au SPF santé publique, la conclusion est similaire. Dès que l'on approche des postes de management et de direction, le pourcentage de postes occupés par les femmes se réduit. Pourtant, dans l'administration, l'accès égalitaire est juridiquement assuré. Une des premières causes identifiées reste un plus faible taux de participation aux examens. Ici encore le constat posé par Annick Poncé, directrice générale ad interim du SPF Santé publique, est identique à celui posé par les autres intervenantes. La bonne éducation est un moteur essentiel à la femme pour oser se positionner et saisir les opportunités. Et les clichés ont la vie dure, au mieux décourageant la femme, au pire la faisant douter sur ses capacités à assumer le poste visé. L'entourage et, parfois, un travail sur soi constituent des aides précieuses mais sans doute encore insuffisante si on en croit les chiffres. Florence Hut, directrice médicale au Chwapi et directrice académique de la MMISS, clôture ces premières interventions en se retrouvant dans ces premiers témoignages. Ce doute laissé par un environnement masculin sur la capacité de la femme à réellement assumer, ce besoin de la femme de se prouver plus que son homologue masculin, cette curieuse approche de rechercher par la forme, écriture inclusive, discrimination positive ou discours politiquement correct, à combler le fond. Que conclure sinon que " l'égalité des sexes n'est pas seulement un droit fondamental à la personne, elle est aussi un fondement nécessaire pour l'instauration d'un monde pacifique, prospère et durable". (1) Dommage que nous n'y soyons pas encore.