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La première mesure à grande échelle de la température date de 1851. On la doit au médecin allemand Carl Wunderlich, qui a placé un thermomètre sous l'aisselle de 25.000 patients de Leipzig et recueilli quelques millions de mesures. Le scientifique a constaté une moyenne de 37°C (entre 36,2°C et 37,5°C). Une étude de 2002, compilant 27 études modernes, est venue contredire celle-ci par des résultats inférieurs. Une étude récente auprès de 35.000 patients britanniques (250.000 mesures) a permis quant à elle de calculer une température orale moyenne de 36,6°C, en sachant qu'un thermomètre sous l'aisselle donne souvent une température inférieure à celle mesurée dans la bouche.Partant du principe que ces écarts ne sont pas dus à l'appareillage de mesure, mais réellement à une baisse de la température corporelle, Protsiv et ses collègues ont ainsi analysé trois cohortes : l'une de la période 1860-1940, la deuxième entre 1971 et 1975 et la dernière entre 2007 et 2017. Au total, près 700.000 mesures ont ainsi pu être compilées.Depuis 1860, on constate chez l'homme une baisse moyenne de 0,59°C, ce qui représente une diminution très homogène de 0,03°C par décennie. Les femmes ont quant à elles perdu 0,32°C. Les auteur-e-s confirment que ce changement n'est pas dû à l'appareillage, puisque la diminution se poursuit au même tempo entre la deuxième et la troisième cohorte et entre la première et la deuxième, alors que l'on sait avec certitude que les cohortes récentes ont utilisé un matériel calibré de la même manière. L'autre argument, c'est que les différences se constatent aussi à l'intérieur des cohortes, plus précisément entre des personnes qui sont nées au cours de la même décennie.La baisse de température n'est pas exempte de paradoxes. Elle est déterminée par le métabolisme, lui-même proportionnel au poids du corps. Vu que celui-ci a augmenté depuis la moitié du 19e siècle, on pourrait penser que la température corporelle a fait de même. Protsiv et al. ont découvert que la diminution de la température corporelle s'expliquait par un ralentissement du métabolisme basal, ce qui a d'ailleurs déjà été mesuré dans d'autres études.Parmi les nombreux facteurs qui déterminent le métabolisme basal, l'inflammation est l'un de ceux qui aura le plus favorablement évolué au cours du temps, grâce à un cadre de vie plus confortable, une meilleure hygiène et une prise en charge efficace des infections chroniques, dont la tuberculose et la malaria. Le pionnier Carl Wunderlich a réalisé ses mesures à une époque où l'espérance de vie moyenne s'élevait à 38 ans. De plus, entre la deuxième et la troisième cohorte, certains facteurs réduisent l'inflammation, comme l'utilisation en hausse d'aspirine, d'AINS et de statines.Un chauffage ou un airco bien réglé peut également jouer un rôle. Le métabolisme basal s'accroît à mesure que la température ambiante augmente ou diminue au delà de la zone dite thermoneutre. La stabilisation de la température dans les pièces d'habitation serait dès lors un autre facteur qui expliquerait le diminution du métabolisme basal.Enfin, l'équipe du Pr Protsiv rappelle que leur étude n'a rien d'anecdotique, ne fut-ce que parce qu'un métabolisme basal en baisse est synonyme à la fois d'une plus longue espérance de vie et d'une masse corporelle supérieure. Des mouvements contraires en somme.