Que peut-on apprendre d'une étude randomisée (RCT) et d'une étude observationnelle? Lors du symposium du CBIP sur les actualités pharmacothérapeutiques, la Dr Marie-Laurence Lambert a relevé leurs points forts et leurs faiblesses, et a plaidé pour ne pas céder aux sirènes de l'accès rapide aux médicaments "innovants".
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Pourquoi les RCT sont-ils le "gold standard" de la recherche clinique? À cette question, Marie-Laurence Lambert, ancienne experte en médicaments auprès de l'Inami, répond que dans un essai clinique contrôlé, randomisé, en double aveugle, si les groupes comparés sont comparables en tous points sauf en ce qui concerne le médicament, les différences de résultats observées peuvent être attribuées à ce médicament. Dès lors, pourquoi les RCT ne nous disent pas tout ce qu'on a besoin de savoir? " Parce que ces études sont difficiles, très coûteuses, elles ont une durée limitée et des participants très sélectionnés et en nombre limité. Où sont les femmes, les personnes âgées, les comorbidités, les femmes enceintes, allaitantes, les patients des milieux défavorisés...? Or, on a besoin de savoir comment un médicament fonctionne dans la 'vraie vie' (observance, efficacité à long terme...) et les effets du médicament sur ce qui importe vraiment aux patients. Si les 'surrogate endpoints' ou critères de jugement de 'substitution' permettent des études plus courtes, ils posent de gros problèmes. Par exemple, pour un médicament contre l'ostéoporose, on considère que le fait d'améliorer la densité osseuse peut se traduire par un risque de fracture moindre, mais cela reste à vérifier. Autre exemple: on préfère mesurer le cholestérol plutôt que le risque cardiovasculaire qui demande des études plus longues. Enfin, on a besoin de savoir si un médicament donné est meilleur que ce qui existe déjà, et pas s'il est meilleur qu'un placebo, d'où la nécessité d'études comparatives."Pourquoi est-il si difficile de déterminer une association causale à partir d'une étude observationnelle (études de cohorte rétrospectives ou prospectives, cas témoins)? " Dans ce type d'étude", précise-t-elle, "on peut comparer des patients qui prennent un médicament avec d'autres qui ne le prennent pas et on peut faire en sorte que les investigateurs ne soient pas biaisés quand ils évaluent des résultats, mais les groupes comparés ne sont fondamentalement jamais comparables. Si les facteurs de confusion sont connus, on peut en tenir compte, mais s'ils sont inconnus, les choses sont plus compliquées."Les études observationnelles sont plus faciles et moins chères que les RCT. "Surtout à l'ère du Big data où on peut exploiter de grandes bases de données, mais il y a un problème de comparabilité des groupes comparés. Par conséquent, quand on teste un médicament, on ne peut pas d'emblée dire que les différences observées lui sont attribuables."La Dr Lambert donne l'exemple d'une étude (1) qui a conclu que le fait de donner du paracétamol lors de la première année de vie était associé à un risque d'asthme vers l'âge de 6-7 ans. " En réalité, c'est un exemple typique d'un facteur de confusion. Ici, l'association paracétamol/asthme est réelle mais pas causale parce que les enfants qui ont eu de la fièvre pendant leur première année de vie sont plus susceptibles d'avoir reçu du paracétamol, or on sait que les infections respiratoires supérieures sont associées à un risque d'asthme vers 6-7 ans. C'est ce facteur confondant qui explique cette association."Les études observationnelles sont aussi plus sujettes aux biais (sélection, information). "Par exemple, le fait d'avoir pris du paracétamol lors de la première année de vie: cette information a été évaluée par les parents de façon rétrospective. C'est un biais de rappel. Il existe un catalogue des biais qui en répertorie une cinquantaine." "Les résultats des études observationnelles doivent donc être interprétés comme un signal, pas comme une causalité et plus il y a d'études qui vont dans le même sens, plus cet effet est probable." Pour la spécialiste, les études observationnelles sont donc un complément utile mais pas un substitut aux RCT et parfois elles sont indispensables, en particulier pour étudier la sécurité des médicaments (effets secondaires rares ou tardifs, groupe des femmes enceintes ou allaitantes...). Elles sont également nécessaires pour étudier l'efficacité en vie réelle. C'est ici que les Big data peuvent être intéressantes. La Dr Lambert illustre l'apport des bases de données administratives (remboursement) en donnant l'exemple d'une étude faite à l'Inami. "On a sélectionné les patients qui prenaient de l'omalizumab, un traitement de seconde ligne chez les patients asthmatiques non contrôlés par un traitement bien conduit CSI-LABA (corticostéroïde inhalé et B2-mimétique à longue durée d'action). On a analysé leur traitement (CSI-LABA) dans l'année précédant l'initiation de l'omalizumab et on a montré qu'à peine un quart avait une consommation de CSI compatible avec une observance correcte. Ce qui signifie qu'avant de changer de ligne de traitement, il aurait été plus approprié d'essayer d'améliorer l'observance des patients à leur traitement de première ligne.""Les RCT ont un design a priori supérieur, mais une bonne étude observationnelle vaut sûrement mieux qu'un mauvais RCT, l'idéal étant les revues systématiques, les méta-analyses (pour peu qu'elles soient de qualité, Cochrane Reviews). En fait, nous avons besoin de plus de RCT et de meilleure qualité: plus représentatifs de la population cible, avec des critères de jugement importants pour les patients, comparatifs, et financés sur fonds publics. En Belgique, on a le KCE Trials, un programme d'essais cliniques non commerciaux financé par les autorités fédérales, qui aborde des questions généralement laissées de côté par l'industrie malgré leur important intérêt sociétal. Si vous avez de bonnes idées d'études, vous pouvez les soumettre au KCE Trials", insiste-t-elle. "Ces dernières années, il y a une tendance assez effrayante à dire qu'il faut accélérer l'accès des patients aux médicaments 'innovants'. Cette rhétorique d'accès précoce à l'innovation et l'importance donnée au 'real world data' dans la génération de l'évidence se font actuellement au détriment de la qualité de l'évidence et donc des patients. Il y a un glissement de la génération de l'évidence vers des études postmarketing qui, en réalité, ne devraient pas remplacer l'évidence mais la compléter. D'autant plus que l'évidence générée après mise sur le marché d'un nouveau médicament est une illusion, il est bien connu que souvent les études postmarketing ne sont jamais réalisées...", se désole-t-elle. Enfin, il ne faut pas confondre innovation et avancée thérapeutique, met en garde Marie-Laurence Lambert: "Beaucoup d'incertitudes persistent quant au rapport bénéfice/risque des nouveaux médicaments, comme le démontrent des évaluations indépendantes (Prescrire...). Il est important d'exiger le maintien de standards de preuve lors de la mise sur le marché des nouveaux médicaments et de demander des études comparatives."