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En un sens, le burn-out qui l'a frappée il y a six ans a donc été une "bonne" chose, affirme le Dr Sophie Tobback (41 ans) lorsque nous la rencontrons dans son agréable restaurant d'Affligem. La généraliste n'a jamais cherché à cacher ce qui lui était arrivé - parce qu'elle trouve important de sortir cette thématique de la sphère du tabou, nous dit-elle, mais aussi pour soutenir ceux et celles qui vivent la même chose. À l'époque, son témoignage avait suscité une foule de réactions - toutes en provenance de non-médecins. "En tant que médecin, on a cette idée qu'on doit être fort pour donner le bon exemple aux patients. Dire "je vis la même chose", c'est souvent trop demander", commente Sophie Tobback. S'ils étaient capables de reconnaître qu'eux aussi ont des moments de faiblesse, que leur énergie n'est pas illimitée et qu'ils ont parfois besoin de ralentir ("bref, qu'ils ne sont que des hommes et des femmes"), cela pourrait pourtant avoir des conséquences très positives pour tout le monde, estime la généraliste. "Je prestais de longues journées, souvent jusqu'à dix ou onze heures du soir, et j'avais du mal à poser des limites", résume le Dr Tobback en revenant sur la période, en 2014-2015, où tout a basculé. "Notre métier a parfois un côté un peu trop "sans engagement". On ne sait pas quoi faire face à un problème? Hop, on renvoie le patient à un collègue. Moi, je voulais tout résoudre par moi-même et je ne cessais de donner, donner, donner. Au fil du temps, passer plusieurs soirées par semaine à travailler pendant que ma famille était à la maison a toutefois commencé à me peser."Ce sont finalement deux collègues qui ont poussé sa porte pour l'encourager à se faire aider. "C'était vraiment une gifle, et j'étais furieuse... mais après une bonne nuit de sommeil, j'ai pris conscience que s'ils avaient pris la peine de venir me voir après leurs heures, ils devaient vraiment s'inquiéter pour pour moi. J'ai donc décidé de suivre leurs conseils, à condition de pouvoir choisir moi-même comment je me ferais accompagner. Après deux consultations chez un psychiatre, j'ai commencé à y voir plus clair dans ma situation, dans ma personnalité, dans ma manière de fonctionner et donc dans ce que je pouvais améliorer."Aujourd'hui, le Dr Tobback travaille à temps partiel au service de psychogériatrie d'un centre de revalidation. "C'est un boulot difficile pour lequel il faut vraiment avoir le coeur bien accroché, mais qui est aussi encadré et balisé: mes heures de travail sont clairement définies, j'ai deux collègues et nous avons prévu un rôle de garde. J'avais besoin de ce cadre."Elle n'a pas voulu lâcher complètement la médecine générale, mais elle l'exerce aujourd'hui autrement. Tout en proposant encore des consultations "classiques", elle se concentre surtout sur des contacts plus longs au cours desquels elle aborde notamment les problèmes d'énergie, le burn-out, la fatigue chronique, la dépression, les difficultés existentielles ou liées à certaines phases de la vie, etc. Elle a suivi pour cela une formation complémentaire de coach psychologique. "En tant que médecins, nous réfléchissons très peu à notre manière d'exercer", observe Sophie Tobback. "Prenez ce restaurant. Mon mari et moi avions décidé à l'avance ce que nous voulions y proposer, à quel public, suivant quel service et à quel prix - bref, nous avions élaboré un business plan. C'est quelque chose que les médecins ne font pas: nous ouvrons nos portes et nous voyons ce qui se passe."La généraliste trouve notamment très utile de savoir pourquoi les patients viennent la voir. Une consultation brève pourra généralement être planifiée le jour même, mais lorsqu'il est question par exemple de problèmes psychologiques, elle aime pouvoir prendre le temps nécessaire. Nombre de ses patients lui ont été référés par des collègues ou des psychothérapeutes. "Avoir vécu moi-même des moments difficiles me permet, je pense, de leur offrir une certaine authenticité. Notre formation aborde par exemple la question du deuil, mais le décès de mon conjoint, il y a deux ans, m'a apporté des connaissances que je n'aurais jamais pu acquérir dans un livre - concernant la durée du deuil ou la profondeur des émotions qui y sont associées, par exemple, pour ne citer que ces deux aspects. Un médecin ou un coach n'est peut-être pas sensé partager des informations personnelles, mais mon impression est que ce sont justement ces expériences qui touchent et qui restent dans les mémoires."Si ses journées ont bien changé par rapport à il y a quelques années, Sophie Tobback avoue qu'il lui arrive encore de se rapprocher dangereusement de ses limites. "C'est un peu dans ma nature." La différence, c'est qu'elle est aujourd'hui capable d'en prendre conscience. "Lorsque je n'ai plus touché mon violon depuis trop longtemps, par exemple, je sais que mon agenda est trop bien rempli... mais généralement, j'arrive alors à prévoir des moments de repos dans les quelques jours qui suivent."Un message à faire passer à ses confrères et consoeurs? " Nous avons fait de longues études, nous voyons beaucoup de monde au quotidien, nous entendons une foule d'histoires riches d'enseignements et de sagesse. Tirez-en les leçons! En médecine, le but n'est pas de tout donner au prix de son propre bien-être. Quand on dispense les premiers secours, la règle d'or est de toujours assurer sa propre sécurité avant de chercher à aider les autres."