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"E n 2015, l'OMS a édité un rapport mondial sur le vieillissement. Pourquoi? Parce qu'elle était préoccupée par le vieillissement rapide de la population dû à l'augmentation de l'espérance de vie et à la diminution de la fécondité. Selon les estimations, en 2050, une personne sur cinq aura plus de 60 ans. Dès lors, que va-t-on faire de tous ces gens qui deviennent de plus en plus âgés et qui vont forcément avoir des problèmes de dépendance? L'OMS a donc élaboré un programme, intitulé ICOPE (Integrated Care for Older People), pour préparer le terrain et relever ces défis", a expliqué Cindy Debey, médecin généraliste et maître d'enseignement au Département de médecine générale à l'ULB. Qu'est-ce qu'on entend par 'santé de la personne âgée'? Comment la mesurer et la promouvoir? "Le programme ICOPE propose une approche qui détecte les situations à risque avant que la personne âgée ne soit devenue fragile. Deux nouveaux concepts ont été définis: les capacités intrinsèques (CI), soit l'ensemble des capacités physiques et mentales (intellectuelles et psychologiques) et les capacités fonctionnelles (CF), soit les attributs liés à la santé qui permettent aux individus d'être et de faire ce qu'ils jugent valorisant".Au cours de la vie, l'évolution des CI et CF est divisée en trois périodes: capacités élevées et stables, capacités en déclin et capacités en perte significative menant à la dépendance. "Ce qu'on voudrait c'est agir pour ralentir ou maintenir les capacités le plus longtemps possible et ralentir cette décélération, empêcher que les robustes deviennent préfragiles, que les préfragiles deviennent fragiles et que les fragiles deviennent dépendants. Ce qui est intéressant ici c'est d'essayer de détecter rapidement une perte de fonction pour pouvoir agir avant que d'autres fonctions ne commencent à se dégrader".La Dr Debey est particulièrement attachée à la définition du 'vieillissement en bonne santé': "Ce n'est pas 'vieillir sans maladie', mais permettre à un individu de vieillir tout en étant capable de faire les choses qui sont importantes pour lui et qui lui procurent du plaisir".L'OMS pointe six domaines de capacités intrinsèques au centre du dépistage: la cognition, la motricité, la nutrition, la vue, l'audition et l'humeur. Le programme ICOPE compte cinq étapes (steps): la première concerne le dépistage d'une éventuelle diminution de CI dans ces six domaines. Si un déclin est détecté, il doit déclencher une évaluation plus approfondie (step 2). "L'OMS a créé un outil de dépistage sous forme de tests et questions. C'est très intéressant pour nous généralistes parce qu'on peut le faire en cabinet: c'est très simple, ça ne prend pas beaucoup de temps (huit à dix minutes), c'est reproductible dans le temps. S'il y a une altération à l'un des tests ou questions, c'est fortement prédictif d'un déclin et, si tout est correct, il est peu probable qu'il y ait un déclin installé", commente-t-elle. Le dépistage d'un déclin cognitif consiste à faire apprendre trois mots simples au patient avec un rappel immédiat et différé, et à questionner sur l'orientation spatio-temporelle. Pour la mobilité, il faut faire le test du lever de chaise: être capable de se relever cinq fois de suite, bras en croix, en moins de 14 secondes (16 secondes, à partir de 85 ans). La malnutrition se dépiste en recherchant une perte de poids involontaire (min 3 kg au cours des trois derniers mois) et une perte d'appétit. Le dépistage des symptômes dépressifs se fait en recherchant, dans les deux semaines passées, un sentiment de déprime ou de désespoir, ou une perte d'intérêt ou de plaisir à faire les choses. Pour les troubles visuels, on recherche les problèmes oculaires connus, les difficultés à voir de loin ou de près, ainsi que les traitements médicaux évocateurs de risques visuels (hypertension, diabète...). Enfin, pour l'audition, il y a trois options: l'audiométrie classique (ok si 35dB ou moins), des applications numériques pour faire un test de reconnaissance de chiffres dans le bruit, et le test de chuchotement: " Vous vous mettez derrière le patient à une distance d'un bras. Pour tester l'oreille gauche, il bouche l'oreille droite et vous chuchotez quatre mots simples (deux à trois syllabes), il doit les répéter un à un. Le test est réussi s'il en répète 3/4. Et puis, on fait l'autre oreille". A partir de quand faire ce dépistage? "On recommande de commencer à 60 ans. Certains risquent de mal le prendre, mais je rappelle qu'on cherche à maintenir les gens robustes et qu'on n'est pas tous égaux à 60 ans. On peut commencer à 65 ans, chacun adapte selon son écosystème. On recommande un suivi tous les six mois par le médecin généraliste, une infirmière, un aidant proche ou carrément par le patient lui-même en auto-évaluation (éventuellement grâce à une application)", précise-t-elle. La deuxième étape vise l'évaluation de la (ou des) CI en déclin: "elle a pour objectif de comprendre la vie du patient, d'évaluer le déclin, de rechercher des pathologies sous-jacentes et d'évaluer l'environnement physique et social de la personne".La troisième étape consiste à créer un plan de soins personnalisés centré sur la personne avec prise en charge multidisciplinaire et soutien de l'auto-prise en charge. Il nécessite un partenariat entre le patient, les soignants et les aidants. La quatrième étape est la mise en oeuvre et le suivi régulier du plan de soins, en lien éventuel vers des soins gériatriques spécialisés. "L'objectif est de favoriser les détections précoces de complications ou de nouvelles pertes fonctionnelles, de voir les progrès dans la mise en oeuvre du plan et d'organiser un soutien supplémentaire si nécessaire".Enfin, la cinquième étape concerne le soutien des aidants (formations, conseils, ressources) et la mobilisation de la communauté. Le manuel ICOPE est disponible en français sur le site de l'OMS qui a également mis à disposition une application, ICOPE Handbook app, permettant de réaliser les trois premières étapes du programme (dépistage, évaluation et élaboration du plan de soins personnalisés). "Le message important est cette idée de vieillissement en bonne santé, pouvoir continuer à faire des choses qui sont importantes pour nous, conclut Cindy Debey. Cette approche innovante est prévue pour être utilisée à large échelle, c'est pour ça qu'elle est simple et rapide, facilement réalisable au cabinet, avec un objectif de maintien des capacités intrinsèques et fonctionnelles. On insiste aussi sur la participation du patient, il doit pouvoir donner son avis. Il faut réfléchir maintenant à la façon d'implémenter ce programme, avant de se retrouver en 2050 un peu dans le mur avec plein de gens dépendants..."