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L'envol de l'inflation et, en réaction, la brutale remontée des taux d'intérêt par les banques centrales: telles furent les grandes préoccupations des investisseurs en 2022, dans le sillage de la guerre en Ukraine et de la flambée des prix énergétiques. L'année 2023 continuera de s'inscrire dans ce contexte, du moins durant les prochains mois. Avec des conséquences diversement attendues par les économistes et spécialistes de l'investissement. Ce n'est pas dans l'immédiat que les banques centrales vont cesser d'augmenter leurs taux, affirme d'emblée Koen De Leus, économiste en chef de Fortis. Parce que si l'inflation a sans doute atteint son pic, elle ne se dégonflera que progressivement. La raison? Les gouvernements "sabotent" en quelque sorte son repli en soutenant la consommation par des compensations financières à la flambée des prix énergétiques. On ne saurait condamner ces dernières, mais il faut en mesurer les conséquences! Évoquant la situation de l'immobilier, un secteur mécaniquement impacté par une hausse des taux d'intérêt, l'économiste constate que les taux hypothécaires sont jusqu'ici restés à la traîne. C'est donc positif, mais cela n'empêche pas l'indice d'"abordabilité" du logement de s'être un peu détérioré. Calculé en pourcents du revenu disponible consacré au logement, il est cette année passé de 26-27 à 30%, au plus haut depuis les années 80. "Je n'y croyais pas jusqu'ici, mais je pense à présent qu'une petite baisse des prix nominaux est possible en 2023", conclut-il. On a compris que cette petite baisse nominale signifierait en réalité un repli non négligeable compte tenu d'une inflation qui n'est précisément plus négligeable! "L'immobilier devrait corriger un peu", confirme son collègue Philippe Gijsels, stratégiste en chef. "Mais pas autant que les valeurs immobilières cotées en Bourse (ndlr: les SIR), dont la chute fut excessive", précise-t-il. On sait que les logements affichant un mauvais score énergétique souffrent aujourd'hui d'une sévère décote. Ces biens font peur, au point que cette décote est parfois excessive, c'est-à-dire supérieure aux frais de rénovation qu'ils exigent, souligne encore Koen De Leus: il y a là quelques opportunités d'achat. Autre note positive, du moins à court terme, apportée par Philippe Gijsels: à défaut de préjuger de la tenue des actions en 2023, on peut rappeler que, au lendemain d'une élection de mi-mandat comme celle de novembre dernier, la Bourse américaine s'est toujours comportée de manière positive durant la période novembre-avril. C'est ce qu'on observe depuis les années 1950! Sans qu'une exception puisse être formellement exclue, bien entendu... Gestionnaire de fonds en actions immobilières à la banque Nagelmackers, Pascale Nachtergaele considère elle aussi que les SIR (anciennement sicafi) ont exagérément corrigé. Dans un contexte de stabilisation des taux directeurs des banques centrales dans la seconde partie de l'année 2023, soit autour de 3,25% pour la BCE, "le secteur immobilier (...) pourrait revenir sur le devant de la scène, lorsque les marchés vont anticiper un changement d'orientation dans l'évolution des rendements obligataires." En clair: lorsque les taux d'intérêt à long terme vont cesser de monter, un mouvement qui pénalise automatiquement les valeurs de rendement, obligations comme immobilier coté. Constatant que le secteur immobilier cote actuellement à des niveaux proches de ceux atteints durant la crise financière de 2008 et affiche un rendement brut globalement de l'ordre de 5%, Pascale Nachtergaele repêche donc activement les SIR, avec une préférence pour WDP (forte croissance dans les surfaces de stockage), Aedifica (potentiel de croissance dans les maisons de repos) et Shurgard. Cette dernière, qui n'est pas une SIR, loue des petits espaces de stockage aux particuliers, qui sont parfois appelés garde-meubles. Atouts selon Nagelmackers: la société "opère sur un segment encore fragmenté, avec un endettement extrêmement faible". Dans le groupe international Quintet, représenté en Belgique par la banque privée Puilaetco, on attend une année 2023 partagée en deux. Durant la première période, "dans un contexte de guerre en Ukraine et de pénuries d'énergie, la zone euro et le Royaume-Uni seront en récession au cours d'un hiver froid et sombre", prévient l'étude Counterpoint qui jette un éclairage sur l'an prochain. Pas joyeux donc, d'où cet avertissement: "Il y aura peu de raisons de se réjouir le 31 décembre à minuit." Tant pis, on se consolera au champagne... en songeant à la deuxième période: à partir du printemps, les banques centrales cesseront de relever leurs taux d'intérêt, l'inflation diminuera visiblement et un nouveau cycle de croissance mondiale commencera, grâce notamment à la Chine, explique le groupe, qui prévient que l'Union européenne et la Grande-Bretagne seront à la traîne des États-Unis. Puilaetco n'est guère enthousiaste à l'égard des actions. En dépit d'une année 2022 qui s'est franchement inscrite dans le rouge, les actions américaines restent chères, juge Daniele Antonucci, chef économiste du groupe. Il concède toutefois que "c'est un prix qui vaut la peine d'être payé pour une exposition à ce marché d'une telle qualité". Par contre, "les actions de la zone euro n'ont pas encore pleinement pris en compte la détérioration des conditions économiques". Et quelles actions? Seulement les valeurs à faible volatilité et offrant un dividende élevé. Les États-Unis ayant atteint le pic de l'inflation, les obligations de l'État américain peuvent retenir l'attention, juge par ailleurs le groupe, tout comme celles des marchés émergents. Une position que l'on trouve également auprès d'autres professionnels. Plus rare est l'attitude fort positive à l'égard de l'or, vu comme une valeur refuge en 2023! Une année en deux temps, c'est également la vision affichée par la banque privée Degroof Petercam. Jérôme van der Bruggen, responsable de la stratégie d'investissement, souligne d'abord que l'année 2022 se caractérise par une résilience assez remarquable dans un contexte aussi difficile. C'est vrai pour l'activité économique, soutenue par les États, et plus encore pour les bénéfices des entreprises, qui s'annoncent en hausse de l'ordre de 20% en Europe. Ce ne sera plus le cas en 2023, ces bénéfices ne pouvant que fléchir en raison d'un ralentissement économique plus ou moins prononcé. C'est ce qu'on observera durant la première partie de l'année, suite en particulier à l'augmentation des taux d'intérêt. Une stabilisation devrait ensuite s'installer, l'activité économique se maintenant grâce à deux éléments, juge le stratégiste. D'une part, les plans de soutien ne vont pas complètement disparaître. D'autre part, les banques centrales ne voudront pas freiner l'activité au point de casser le marché de l'emploi. Comment investir dans un tel contexte? La banque reste prudente, avec un poids des actions dans les portefeuilles actuellement inférieur à la moyenne historique. "On continue à privilégier les États-Unis, le pays qui présente la plus grande résilience dans le contexte actuel." Autres cibles d'investissement: le crédit, c'est-à-dire les obligations d'entreprises, ainsi que les marchés émergents, notamment la Chine. "Le pays présente d'importants problèmes structurels, mais ce n'est pas une raison de ne pas s'y positionner de manière tactique." Avec une inflation pouvant revenir à 3 ou même 2% en 2024, les États-Unis pourraient commencer à abaisser leurs taux d'intérêt dès la fin de l'an prochain, ce qui va soutenir les Bourses dans la deuxième partie de l'année. "Il ne faudra pas rater ce rebond", conclut Jerôme van der Bruggen. Terminons cet échantillon d'avis avec la maison française Carmignac, dont la vision économique est plutôt sombre, mais qui décèle d'intéressantes opportunités d'investissement. Sombre? Économiste en chef, Raphaël Gallardo ne croit pas au scénario de récession faible et de courte durée pour les États-Unis. Pour lui, le pays connaîtra au contraire "un recul de l'activité beaucoup plus marqué et plus long que prévu par le consensus". La raison: la Banque centrale s'est donné pour priorité la lutte contre l'inflation. Or, il faudra pour cela que le taux de chômage augmente (alors qu'il y a aujourd'hui deux emplois pour chaque chômeur! ), créant les conditions d'une vraie récession. En Europe, c'est le coût de l'énergie qui va engendrer une récession, soit un recul de l'activité durant deux trimestres. Elle sera toutefois modérée, juge cette fois l'économiste. Dans un tel environnement, il faut investir de manière défensive et les obligations sont à nouveau un actif à retenir, plus sereinement que les actions, dont les cours "n'intègrent pas le scénario d'une grave récession". Les obligations d'entreprise en particulier, car "la hausse attendue des taux de défaut est déjà largement intégrée dans les prix actuels". Une vision assez largement partagée parmi les investisseurs professionnels.