...

Si la procréation médicalement assistée (PMA) a fait des progrès révolutionnaires depuis l'avènement des premiers bébés nés par FIV - Louise Brown (UK) en 1978, Amandine (Fr) en 1982, puis les premières naissances belges dès 1983 -, le parcours des futures mamans, près d'un demi-siècle plus tard, n'en demeure pas moins celui du combattant, bien souvent. Un chemin vers une maternité qui n'est jamais assurée, jalonné de hauts et de bas, dont seules les patientes qui l'ont éprouvé peuvent témoigner. C'est le cas de France Dammel, maman de deux garçons nés grâce à la PMA et, de surcroît, maman solo par choix. Son nom vous est sans doute familier, vous avez déjà pu le lire dans les colonnes du journal du Médecin, et France - par ailleurs infirmière - fut également porte-parole francophone du ministre fédéral Frank Vandenbroucke en pleine crise du covid. Avec ce livre, son autre "bébé" en quelque sorte, elle signe une autobiographie qui se veut avant tout empathique et didactique pour aider toutes les femmes qui partagent cette aventure (ou pensent s'y lancer). Le Dr Christophe Blockeel, gynécologue et co-auteur, apporte la caution scientifique en répondant à toutes les questions médicales autour de la PMA. Le journal du Médecin: Ce livre n'est pas un ixième témoignage de patiente dans le dédale des soins de santé mais un vrai concerto à deux voix, où un spécialiste en PMA complète votre vécu par son expertise de médecin de terrain... France Dammel: Quand j'ai entamé mes démarches en PMA, il y a 12 ans, je trouvais qu'il manquait vraiment d'information. Et dix ans plus tard, à la naissance de Jules, je me suis dit qu'entre-temps, malgré la diversification des canaux de communication, il manquait encore d'une information correcte, vérifiée. Donc si j'écrivais un livre - ce dont j'avais envie depuis le début -, je voulais m'entourer de professionnels de la santé pour étoffer le propos. Je voulais un livre fiable, utile face à l'ampleur de la désinformation, notamment sur les réseaux sociaux. C'est là qu'intervient le Dr Blockeel? C'est le médecin grâce à qui Pierrick, mon premier fils, est né: c'est lui qui a fait le transfert d'embryon à l'UZ Brussel, il est donc là depuis le début de mon parcours. Il ne fait que de la PMA et n'hésite pas à prendre du temps avec ses patientes pour les informer. Il a tout de suite accepté quand je lui ai proposé de participer au livre, il trouvait la démarche intéressante car il manque d'information et de livres de ce genre, tant du côté francophone que néerlandophone. Le livre n'est pas réservé aux futurs parents, il peut aussi intéresser les médecins, de famille ou gynécologues, dont certaines patientes sont concernées... Je crois que c'est bien, à un moment, de s'attarder sur le vécu des patientes. Il n'y a pas que la situation et les données médicales de la patiente: interviennent aussi le contexte et la façon dont elle perçoit ce qui lui est proposé comme traitement et options possibles. C'est un processus complexe, qui touche à l'intime et le sujet est encore tabou. Des personnes m'ont dit: 'Je vais acheter le livre pour l'offrir à ma fille qui est en PMA mais ne l'a dit à personne'. C'est encore considéré comme une "défaillance" de ne pas arriver à faire un bébé alors que pourtant, un couple sur six éprouve des difficultés pour procréer. Le livre aborde les difficultés de la PMA, mais aussi les complications médicales liées à la grossesse même, comme la prématurité et le deuil périnatal... J'ai voulu aborder tout mon parcours de PMA et malheureusement, dans mon cas, j'ai aussi perdu deux enfants. Intervient donc là l'aspect obstétrical, j'ai trouvé intéressant de proposer au Pr Patrick Emonts (CHU Liège - Hôpital Citadelle) d'expliquer ces complications, vu qu'il a suivi ma dernière grossesse et m'a permis de refaire confiance au corps médical malgré mes peurs liées à mes antécédents médicaux et des expériences douloureuses. Vous êtes infirmière et spécialiste de la communication en santé et donc rodée au jargon médical mais, malgré cela, chaque étape du parcours en PMA apporte son lot d'informations scientifiques et complexes, il faut aussi s'auto-administrer des traitements... Comment font les femmes qui n'ont pas ce 'bagage' préalable? Que ce soit en PMA ou dans d'autres domaines comme l'oncologie par exemple, il y a désormais des infirmières coordinatrices, qui font une grande partie de ce travail d'information et sont un point de repère important pour les patientes tout au long du parcours. L'objectif du livre est justement de vulgariser les termes utilisés. Le Pr Blockeel explique le b.a.-ba de la PMA mais il aborde également des questions telles que l'âge de la future maman, sujet encore tabou, pour conscientiser à son importance et à son impact sur la fertilité, et expliquer les solutions possibles comme le social freezing. Le livre souligne par ailleurs les nombreux progrès médicaux réalisés tout au long de ces dix années de parcours... Aujourd'hui, par exemple, 98 à 99% des embryons survivent à la décongélation, contre 60% quand j'ai commencé. Les traitements se sont aussi améliorés et entraînent moins d'effets secondaires: le syndrome d'hyperstimulation ovarienne que j'ai connu est ainsi devenu rare à l'heure actuelle.D'autres interlocuteurs interviennent dans le livre, tels que des amis proches qui témoignent de votre combativité, d'autres parents eux aussi sur le chemin de la PMA et différents psychologues...Chaque psychologue a son tropisme, donc j'ai choisi une psychologue en centre PMA parce que beaucoup de gens ne connaissent pas son rôle exact, or je trouvais important de le mettre en lumière - même si c'est fort différent d'une institution à l'autre. Elle apporte par exemple dans mon cas de maman célibataire des éléments scientifiques sur l'absence d'un père et ses conséquences pour les enfants. Une autre psychologue n'est pas en PMA mais témoigne, elle, sur la résilience : comment est-ce qu'on tient le coup dans un parcours qui peut durer autant d'années ? Et puis intervient aussi le psychologue rencontré suite au deuil de mes enfants, qui apporte une note d'espoir pour les parents qui ont connu cette épreuve.L'accord de gouvernement Arizona prévoit de lever l'anonymat des donneurs de sperme et d'ovocytes pour permettre aux enfants d'accéder à des informations sur leurs origines, quel est votre point de vue sur la question ?Avec l'évolution de la médecine et des banques d'ADN, il devient de plus en plus difficile de garantir cet anonymat ; je peux comprendre que la réflexion évolue mais personnellement, si l'anonymat n'avait pas été préservé à l'époque, je n'aurais été ni receveuse ni par ailleurs donneuse d'ovocytes. Je pense que le nombre de donneurs risque de diminuer, or il est déjà difficile de recruter des donneurs. Dans l'accord de gouvernement, on fait référence au bien de l'enfant, je pense que ce 'bien' dépend de comment on présente les choses à l'enfant et pour cela, les psychologues de PMA sont importantes pour expliquer comment faire passer le message. Le livre repose sur le journal intime que vous teniez lors des premières années de cette grande aventure...Oui, et je m'y suis accrochée longtemps, comme à une bouée de secours. Quand on aime écrire, c'est une forme de refuge. Puis, à un moment donné, on voit les tentatives qui s'accumulent et on se dit que ce n'est plus possible, et on perd l'envie d'écrire car ça fait mal. Le livre peut intéresser des parents, voire des enfants nés de la PMA...À la base, j'ai écrit ce livre pour les couples et pour les femmes seules en réflexion de se lancer dans un parcours de PMA, ou pour les personnes qui étaient en plein dedans et hésitaient à continuer. Aujourd'hui, je me rends compte que le livre intéresse aussi des femmes qui ont vécu la PMA il y a 20 ou 30 ans et qui ont envie de s'y replonger - des femmes qui n'en ont peut-être jamais parlé à personne car c'était encore plus tabou que maintenant, et qui ont envie de se remémorer ce parcours et se sentiront moins seules en refermant le livre. Il peut aussi intéresser des mamans qui ont, comme moi, accouché d'un grand prématuré. Le livre peut résonner dans la tête de nombreux lecteurs.Quel est un des messages du livre les plus importants à retenir, selon vous qui avez vécu une quarantaine d'essais de PMA au total en dix ans?Quand on commence en PMA, on n'est jamais sûre que ça va marcher et qu'on sera un jour parent. Il y a encore trop de femmes qui franchissent la porte d'un centre de PMA en étant sûre d'en ressortir enceintes, or il n'y a aucune certitude, même en 2025. Par ailleurs, beaucoup de femmes qui commencent un parcours de PMA ne se rendent pas du tout compte de l'impact que cela aura dans la vraie vie, sur leur quotidien. C'est important d'éveiller les consciences à cela : mieux vaut ne pas se lancer en PMA si on vient de commencer un nouveau parcours professionnel par exemple.