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Tout le monde vit des chocs émotionnels: une triste nouvelle, une frayeur, une chute, un stress aigu... Grands ou petits, de nombreux évènements de vie peuvent induire un changement brusque dans nos émotions. Le choc émotionnel ne doit toutefois pas être confondu avec le traumatisme psychique proprement dit. "Ce que l'on appelle un psychotrauma est induit par un évènement qui fait effraction dans l'équilibre psychique et le met à mal", explique la Dr Sarah Ammendola, psychiatre à la Clinique du trauma du CHU Brugmann, à Bruxelles. "En effet, le psychotrauma est lié à la perception d'un danger imminent qui peut attenter à l'intégrité psychique et/ou physique de la personne, voire à sa survie. Et ce, que celle-ci soit victime ou témoin de l'évènement traumatique."Selon le DSM V, les états ou syndromes de stress posttraumatique (SSPT) se caractérisent par quatre grandes catégories de symptômes: · La dérégulation émotionnelle peut prendre différentes formes: explosions de colère, tristesse (intense) ou, à l'inverse, détachement émotionnel dans les formes dissociatives. · Les symptômes d'intrusion désignent des souvenirs vifs de l'évènement, qui s'imposent à la personne. Elle revit la scène avec ses bruits, ses odeurs, ses images et/ou ses sensations, sous forme de flashbacks, de réminiscences - qui la déconnectent du réel - ou de cauchemars. Elle est submergée par ses émotions - notamment la peur - et les sensations physiques sont (très) intenses. "Le moindre détail lié à l'évènement peut déclencher un phénomène d'intrusion", commente la Dr Ammendola. "Dans les agressions sexuelles, par exemple, une odeur liée à l'agresseur ou un geste peut suffire à les faire revivre..." · Les comportements d'évitement: pour éviter les symptômes d'intrusion et les émotions associées, la personne évite ce qui est en lien avec l'évènement: le (type de) lieu, la période de la journée ou de l'année, le type d'activité, de situation ou de personnes qui entouraient l'évènement, etc. · L'hypervigilance: la personne est dans un état de stress aigu permanent, elle a le sentiment d'être (encore) en danger ou menacée. · La présence d'affects et cognitions négatives: la personne peut manifester un désintérêt jusqu'au détachement complet, des pensées déformées avec des autoreproches et de la culpabilité. Une dépression peut aussi s'installer. "Quand ce faisceau de symptômes se manifeste dans le premier mois qui suit le trauma, nous parlons de SSPT aigu", commente la psychiatre. "Si les symptômes se chronicisent, s'installent dans le temps ou surviennent des mois ou des années après l'évènement traumatique, il s'agit de SSPT chronique."En outre, nous pouvons distinguer deux types de SSPT: · Le SSPT simple s'installe suite à l'exposition à un évènement ponctuel: agression, accident, catastrophe naturelle, etc. · Le SSPT complexe survient lorsque la victime est ou a été exposée à des évènements multiples, répétés dans le temps, qui ont lieu souvent dans la sphère interpersonnelle ou familiale: maltraitance infantile, violence psychique et/ou psychologique, inceste, viols, etc. Ils sont d'autant plus "déstructurants" s'ils surviennent dans les phases précoces de la vie de l'individu. Lié à un trauma de l'attachement, le SSPT complexe affecte profondément et durablement le développement psychique des victimes. Sans surprise, les symptômes du SSPT peuvent engendrer une kyrielle de troubles ou symptômes annexes, qui varie d'un individu à l'autre: troubles du sommeil, troubles anxieux et/ou de l'humeur, troubles digestifs, douleurs en tous genres, etc. "D'un côté, il y a les troubles "écran", psychosomatiques qui, s'ils n'ont pas d'explication médicale pure et dure, n'en sont pas moins ressentis de façon réelle par le ou la patiente", rappelle la Dr Ammendola. "C'est particulièrement fréquent chez les personnes qui éprouvent des difficultés à exprimer leurs émotions et/ou qui ne parlent pas de ce qui leur est arrivé. Le trauma s'exprime alors par le corps et le corps raconte le trauma. D'un autre côté, le SSPT peut aggraver un diabète préexistant, l'hypertension ou encore faire "flamber" les maladies inflammatoires et/ou auto-immunes ou abaisser l'immunité. Ce n'est pas surprenant: dans le SSPT, toutes les hormones impliquées dans la régulation du stress (adrénaline, cortisol, etc.) dysfonctionnent de façon durable et sont sécrétées à un niveau toxique pour l'organisme." L'ensemble des troubles liés à un SSPT altère fortement la qualité de vie et le fonctionnement de la personne et peut avoir des répercussions dans tous les domaines de sa vie: sa scolarité ou son travail (décrochage, absentéisme ou, au contraire, surinvestissement), sa vie sexuelle et affective, sa vie et ses relations sociales, etc. Tous les psychotraumas n'induisent pas de SSPT, mais tous les SSPT trouvent leur origine dans un psychotrauma. Grâce à l'alliance thérapeutique préexistante, les médecins généralistes traitants se retrouvent en première ligne (littéralement! ) des cas de traumatismes psychiques. Ils ont donc un rôle primordial à jouer pour "limiter la casse" et diminuer les risques de chronicité des symptômes et d'apparition de SSPT. Mais comment aider ces patients et patientes à faire face à ce qui leur arrive? "La première et peut-être la seule chose à faire en médecine générale (MG) est d'offrir un temps et un espace de parole à la personne", préconise la Dr Ammendola. "Ce n'est pas toujours évident dans la réalité d'une consultation de MG, mais faire un premier débriefing (sans pour autant rentrer dans les détails), laisser la personne déposer ce qu'elle a envie ou besoin de déposer peut faire une grande différence! En effet, cette narration peut alors commencer à s'intégrer dans la mémoire biographique... et non pas aller se loger, en silence, dans la mémoire traumatique où elle fera nettement plus de dégâts par la suite."Ensuite, il convient de vérifier que la personne a autour d'elle un réseau de soutien (proches, famille, etc.) activable et un niveau d'insertion sociale suffisant. Là encore, le médecin traitant est bien placé pour détecter un isolement social et, le cas échéant, encourager son ou sa patiente à demander une aide plus spécialisée. "En cas d'antécédents de psychotraumas ou même de chocs émotionnels récents (séparation, divorce, deuil, licenciement, etc.) - qui, par effet d'accumulation, peuvent déjà avoir épuisé les ressources personnelles - et/ou si la personne présente des symptômes aigus qui risquent de se chroniciser, n'hésitez pas à l'adresser à un ou une psychologue, voire un ou une psychiatre en cas d'états anxieux ou dépressifs."Enfin, il faut être très attentif à la (sur)consommation de substances. "Si votre patient ou patiente présente déjà une quelconque assuétude (alcool, drogues, médicaments, etc.), le psychotrauma risque fort de majorer sa consommation, voire de la (re)déclencher dans un but "anesthésiant". Raison pour laquelle j'invite mes confrères et consoeurs généralistes à ne pas prescrire d'emblée des benzodiazépines (BDZ)... D'autant qu'il existe des alternatives!" En effet, nous disposons de molécules qui peuvent agir sur certains symptômes, sans entrainer d'assuétude ni d'accoutumance. Exemples: · L'amisulpride: à bas dosage, cet antipsychotique a un effet antidépresseur et anxiolytique. · La quetiapine: cet antipsychotique de deuxième génération peut aussi être prescrit à doses réduites pour ses vertus thymorégulatrices et antidépressives. · La trazodone: cet antidépresseur agit positivement sur les troubles du sommeil (c'est un sédatif) et sur l'anxiété. · La sertraline: cet antidépresseur est aussi prescrit dans le SSPT car il agit positivement sur l'hypervigilance et les débordements émotionnels. "Cela dit, la base et la clé de voûte du traitement du psychotrauma et, le cas échéant, du SSPT, reste la psychothérapie, brève ou longue selon les cas et les besoins", rappelle la Dr Ammendola. "Il en existe plusieurs, et elles ont toutes pour objectif d'aider la personne à "digérer" le trauma. L'idéal est d'envoyer le ou la patiente chez un ou une psychologue spécialisée en psychotraumatologie, mais il n'y en a pas beaucoup et ils sont débordés... Cela dit, les psychologues de première ligne ont normalement des plages prévues pour les urgences. N'hésitez pas à les solliciter ni à vous renseigner auprès des psychiatres de votre région sur l'offre de soins existante."