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En Belgique, plus de la moitié de la population est en surpoids (BMI 25-30), et environ 25% sont obèses (BMI >30). Lors des dernières Journées d'enseignement de l'AMUB [1], le Dr Pol Thomas a rappelé que l'obésité a une origine multifactorielle complexe: sédentarité, déséquilibres alimentaires, environnement, cause hormonale, environnement socioculturel, troubles du sommeil et psychologiques, stress, régimes yo-yo, médicaments, génétique, événements de vie... Le tout dans un monde qui voue un culte aux corps minces, et où différents régimes sont mis en avant. "Je le dis par provocation, ce n'est ni totalement vrai ni faux: les régimes ne servent à rien! Il faut proposer une approche globale."Qu'est-ce que la grossophobie médicale? "C'est une discrimination au même titre que la transphobie, le racisme, le sexisme", répond-il. "Une attitude implicite et/ou explicite hostile, moqueuse et/ou méprisante, voire discriminatoire, envers les personnes obèses ou en surpoids. Elle cible même les personnes avec un BMI normal, et surtout les femmes. Mais la grossophobie, c'est aussi la méconnaissance des médecins, des diététiciens et des psychologues, qui nous poussent à faire des erreurs avec les patients par rapport à l'obésité."Le Dr Thomas entend tordre le cou à trois idées reçues. La première concerne la façon d'évaluer le poids: "Le BMI n'est pas adapté à tout le monde: il n'est pas approprié aux moins de 19 ans, ni aux plus de 65 ans, ni aux sportifs, ni à toutes les populations (Asie, Afrique). Il est plus approprié aux hommes qu'aux femmes. En boutade, on dit que le BMI est limité 'aux hommes blancs entre 20 et 60 ans, pas très musclés'. Le meilleur paramètre pour objectiver le poids serait plutôt le périmètre abdominal."Deuxième idée erronée: 'Bouger plus, manger moins'. "La balance énergétique in/out fonctionne pour les machines, pas pour les êtres humains. La thermodynamique est un peu plus compliquée. Par exemple, courir 10 km avec un dénivelé important va coûter plus d'énergie à un homme de 120 kg que de 75 kg. Si, en plus, on lui dit de manger moins, il va devoir faire un effort physique sans batterie: soit il abandonne, soit il persévère et modifie alors son métabolisme de base." Or, le métabolisme basal, c'est 60-70% des dépenses énergétiques, dont une grande partie se fait pendant le sommeil, précise-t-il: "Si on augmente l'activité physique, le métabolisme de base va diminuer. Quand on arrête, il augmente et on prend du poids, jusqu'à dépasser le poids initial, d'où l'effet yo-yo. C'est pourquoi, si on commence un régime, il faudra le faire toute la vie."La troisième erreur consiste à oublier le psychosocial. "Or, c'est super important. En effet, selon les guidelines canadiennes sur le diabète, l'incidence du diabète est de 1,54 sur 100.000 chez les moins de 18 ans, et celle des troubles du comportement alimentaire de 1.500 sur 100.000 chez les 15-24 ans, soit près de 1.000 fois plus!"Pour un BMI entre 30-35, la probabilité annuelle de retrouver un poids normal est de 1 sur 210 pour les hommes et 1 sur 124 pour les femmes et, pour un BMI entre 40-49, il est de 1 sur 1.290 pour les hommes et 1 sur 677 pour les femmes. "Gardons ces statistiques à l'esprit, n'oublions pas que c'est un gros effort d'essayer de maigrir!""Les agonistes du glucagon-like peptide 1 (GLP1) ont une efficacité qui s'estompe à l'arrêt du traitement. Dès lors, est-ce que les personnes en surpoids ou obèses doivent prendre ce médicament toute leur vie?", s'interroge Pol Thomas.D'autant que ces médicaments ne sont pas remboursés dans ce cadre, et que leurs effets secondaires posent question: "La gastroparésie est connue, mais il y a des inconnues sur l'effet tératogène." Quant au régime intermittent, il serait lié à un risque de décès cardiovasculaire de 91%, indique-t-il. "Les premières études sur la chirurgie bariatrique montraient une baisse de la mortalité cardiovasculaire et par cancer, et puis on s'est rendu compte qu'il y avait quatre à six fois plus de suicides post bypass."Il existe également un lien entre obésité et abus sexuel, et un autre avec la chirurgie bariatrique. "Parmi les gens qui se présentent pour une chirurgie bariatrique, il y en a plus qui ont subi des abus sexuels, plus de risque suicidaire. Au-delà du suicide, cette problématique expliquerait l'alcoolisme post-opératoire, la reprise rapide de poids et les décompensations psychiatriques."En pratique, la grossophobie se traduit par des attitudes, des croyances: "Paternalisme, insultes, moqueries, violences verbales, humiliations, mépris, condescendance... Mais c'est aussi croire que l'obésité est un choix, et que la chirurgie bariatrique est le choix de la facilité. C'est ne pas avoir de matériel adapté (brassard, lit, ...). C'est faire une généralisation des patients obèses et ne pas faire de prise en charge individuelle: croyons nos patients s'ils disent qu'ils ne mangent pas de chocolat, qu'ils font du sport... C'est désigner le poids comme la source de tous les maux, sans évoquer d'autres diagnostics possibles et sans examiner le patient. C'est aborder systématiquement le poids, le mettre au centre de la discussion, même quand ce n'est pas le motif de la consultation. Enfin, la grossophobie se traduit également par un manque de professionnalisme, en donnant des conseils superficiels ("il faut bouger"...)", résume le Dr Thomas. Est-ce grave d'être grossophobe? "Oui car les effets sont multiples: arrêt du suivi, retards de diagnostic et des examens de prévention, réduction de l'activité physique, de l'estime de soi, de la compliance médicamenteuse, augmentation de l'obésité, du risque de diabète, des niveaux de cortisol, de stress oxydatif et de CRP, des troubles alimentaires, du stress, de la dépression et de l'anxiété, du risque suicidaire et de l'usage de drogue.""Il faut avoir à l'esprit le 'body positivity', ne pas stigmatiser les corps, accepter les différences. Dans l'accueil, être mieux formé, adapter son infrastructure et équipement, répondre au motif de consultation, être capable d'évoquer d'autres diagnostics. Si le motif de consultation n'a aucun lien, se taire, ne pas en parler systématiquement", conseille Pol Thomas. Comment communiquer? "Par l'approche motivationnelle, demander au patient son accord avant d'aborder le sujet, collaborer avec lui et identifier ensemble les buts et limites, être à l'écoute, empathique et respectueux, utiliser un langage approprié et adapté, et valoriser les efforts déjà mis en place (l'OMS recommande aux adultes 5 h de sport/semaine, si le patient en fait déjà une, c'est cool)." Ensuite, il faut proposer une prise en charge non superficielle: définir l'obésité comme une maladie et fournir des informations sur sa complexité pour permettre une compréhension des causes et risques. "Le soignant doit considérer toute l'histoire du patient, y compris les souffrances psychiques. Réfléchir avec lui, partir de son point de vue et s'attaquer aux causes profondes de l'obésité comme des événements de vie compliqués.""On ne doit pas promouvoir seulement une perte de poids, mais un mode de vie sain, une alimentation équilibrée, une activité physique régulière, de bonnes habitudes de vie quant aux écrans, au sommeil et à l'alcool", résume le Dr Thomas. "Enfin, ne pas travailler seul mais avec des psychologues, des diététiciens, une clinique du poids idéal..."