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Faute d'une préparation adéquate, une crise sanitaire majeure comme la pandémie de Covid-19 ne pouvait qu'engendrer des risques à la fois directs et indirects pour les personnes atteintes d'une maladie chronique, en raison de perturbations dans l'organisation des soins, comme l'explique le Pr Kamlesh Khunti (Université de Leicester, au Royaume-Uni): il est notamment question " d'une dégradation des soins de routine et de l'accès aux services d'urgences, ainsi que d'une mauvaise observance du traitement et d'un impact psychologique." Au niveau mondial, il a été démontré que le diabète est la maladie chronique la plus impactée par la pandémie, qui a entraîné une diminution du nombre de consultations en face à face et un déficit de dépistage systématique des facteurs de risque. " Cela pourrait avoir renforcé l'impact de la pandémie au sein des populations défavorisées sur le plan socio-économique et des minorités ethniques." Déjà bien souvent hors circuit de soins en période non pandémique, les migrants et les SDF ont été particulièrement touchés par le confinement et ses conséquences. A titre d'illustration, des chiffres provenant des Etats-Unis - où plus de 10% de la population est diabétique - ont été rapportés lors du congrès. Si le Covid-19 a déjà tué plus de 730.000 personnes outre-Atlantique au moment d'écrire ces lignes, elle y a eu un impact particulièrement dévastateur pour certains patients chroniques: d'après les CDC, au moins 40% des personnes décédées pour cause de Covid-19 étaient diabétiques. Outre cette surmortalité et le nombre élevé d'hospitalisations, la pandémie a également entraîné des soucis financiers importants chez les diabétiques. Ainsi, environ un patient sur cinq rapportait avoir éprouvé des difficultés à s'assurer suffisamment de nourriture pour éviter les redoutables hypoglycémies. Une revue systématique de la littérature suivie d'une méta-analyse réalisées par deux auteures allemandes (1) s'appuyait sur 33 études incluant 4.700 patients issus de dix pays pour évaluer le contrôle du diabète après le début des périodes de confinement. Elle a montré des différences entre le DT1 et le DT2: si le contrôle glycémique se serait considérablement amélioré chez les patients DT1, il se serait détérioré - au moins à court terme - chez les patients DT2, avec une augmentation légère du poids corporel moyen. L'analyse des résultats suggère que la disponibilité généralisée de la téléconsultation pour le diabète, associée à une routine plus structurée (notamment pour l'horaire des repas) et plus de temps à consacrer aux soins personnels auraient été à l'oeuvre chez les diabétiques de type 1. Par contre, une dégradation de l'hygiène de vie (plus de grignotage, une altération de la qualité nutritive de l'alimentation et une diminution de l'activité physique), l'augmentation globale du stress et de l'anxiété ainsi que les difficultés à se rendre en consultation hospitalière auraient été des facteurs prépondérants chez les diabétiques de type 2. " Notre analyse a révélé que le confinement avait amélioré la façon dont les personnes souffrant d'un diabète de type 1 géraient leur maladie", explique la Pr Claudia Eberle, l'auteure principale de l'étude, qui pointe a contrario la dégradation chez les patients DT2, entraînant une augmentation du risque de différents cancers, de cécité, d'amputations aux extrémités, d'infarctus du myocarde et d'AVC. Sur les 25 études qui incluaient des patients DT1 (n = 2.881), 18 montraient une nette amélioration du contrôle glycémique, quatre ne montraient aucun changement sur ce plan, et trois affichaient une altération. D'après les auteures, cette dernière était peut-être due à une interruption des soins, à l'instar de l'Inde où prévalait une pénurie d'insuline. Les modifications du taux d'HbA1c et du temps passé dans l'intervalle de glycémie cible (TIGC entre 70 et 180 mg/dl) étaient également positives. Par rapport à la période pré-confinement, les taux d'HbA1c ont baissé de manière significative dans 11 études sur 25, même si cette baisse était faible en moyenne (0,05%). L'amélioration du TIGC était plus importante (de 3,75% en moyenne), dans 18 études sur 25. " La bonne disponibilité des moyens de gestion numériques tels que la télémédecine peut avoir amélioré le contact avec les soignants", commente Claudia Eberle. " Presque tous les patients de notre revue avaient également accès à des outils comme la surveillance continue et instantanée de la glycémie ou les pompes à insuline. Ces facteurs ont pu contrecarrer les conséquences néfastes du confinement, comme la diminution de l'activité physique et l'impact négatif sur la santé mentale." A l'inverse, parmi les huit études incluant 1.823 patients souffrant d'un diabète de type 2, quatre d'entre elles rapportaient une aggravation à court terme du contrôle glycémique pendant le confinement, tandis que deux autres montraient une légère amélioration. Dans l'ensemble, les taux d'HbA1C avaient augmenté en moyenne de 0,14% pendant les périodes de confinement. De plus, trois études faisaient état d'une augmentation légère du poids corporel (entre 0,3 kg et 0,95 kg), une quatrième notant plutôt une amélioration de l'IMC. Les auteures mentionnent quelques limitations à leur travail, comme l'exclusion des publications non anglophones ou non germanophones, ainsi que le caractère observationnel et non interventionnel des études. Il faudrait des analyses basées sur des populations de plus grande envergure pour mieux cerner l'impact réel d'un confinement dans un cadre pandémique chez les diabétiques. Il n'empêche que cette analyse va dans le sens de ce que croient observer de nombreux médecins dans leur pratique quotidienne: l'existence fréquente de différences sociologiques, économiques ou motivationnelles entre diabétiques de type 1 et diabétiques de type 2. A ce titre, une étude discutée au cours du congrès a montré un creusement du fossé du diabète entre riches et pauvres en Écosse, entre 2007 et la période 2019-2021(2). Deux évolutions chiffrées à retenir: ? la prévalence du DT2 chez les personnes âgées entre 35 et 84 ans est passée de 7,3 à 8,3%. ? Les femmes et les hommes des régions les plus défavorisées sont respectivement 2,5 fois et deux fois plus à risque de diabète de type 2 que celles et ceux des régions les moins défavorisées. En 2007, ces chiffres s'établissaient à 2 et 1,58. Pour les auteurs, cette évolution semble en ligne avec l'observation d'un creusement général des inégalités socio-économiques. Le congrès 2021 de l'EASD a aussi été l'occasion de préciser quels facteurs pouvaient être associés à un risque de décès majoré chez les diabétiques contractant une infection par le Sars-CoV-2. Une analyse actualisée des données statistiques (3) montre que la prise chronique d'une statine était associée à une augmentation de 75% du risque de décès lié au Covid-19 chez les diabétiques. Une relation improbable de cause à effet? Les auteurs pensent plutôt que la prise d'une statine ne serait que le reflet d'un risque de maladie cardiovasculaire sous-jacente. Ils ont par ailleurs également observé un lien entre le taux de CRP et le risque de décès, chaque augmentation de 10 mg/l étant associée à une augmentation de 15% de la mortalité. Une observation peu surprenante, en considérant que la CRP est un reflet de l'état inflammatoire systémique. D'autres facteurs péjoratifs ont été relevés: " Outre le sexe masculin, l'âge avancé, l'obésité et l'utilisation d'insuline sont connus pour être des facteurs faisant craindre une évolution du diabète, et ils étaient également associés à un risque accru de gravité et de décès liés au Covid-19. A l'inverse, la prise de metformine était statistiquement associée à un risque plus faible de décès."