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Le journal du Médecin: Sur les réseaux circule une photo de vous où un fan dit: "Vous pouvez mettre 100 vidéos de 2 h chacune de cet homme, je vais toutes les regarder". On aime votre sens de la formule, sans langue de bois, mais il y a avant tout de la pédagogie dans vos livres...Pr Philippe Boxho: Le but est d'expliquer pourquoi on meurt. Expliquer comment fonctionnent les centres criminels, comment on agit sur le terrain, les principes sur lesquels une scène de crime est basée, comment on peut la perturber... Il a fallu plus de 100 ans pour concevoir la scène de crime telle qu'aujourd'hui. Donc oui, c'est d'abord didactique. Ces scènes, vous les décrivez avec un regard extrêmement humain, mais aussi décalé et surréaliste, à la "Strip-Tease"... Un journaliste, venu me voir, avait l'air de douter de certaines histoire que je raconte. Je crois que c'est Agatha Christie qui disait: "Quand tu fais de la fiction, tu es obligé d'essayer de coller à la réalité. Quand tu fais du non fictionnel et que tu observes ce qui s'est réellement passé, tu décolles de la réalité objective." La fiction ne va pas aussi loin que la non-fiction, c'est incroyable. Y a-t-il un côté libérateur à sortir de la salle d'autopsie et se retrouver parmi les vivants, sur des plateaux TV "plus légers"? J'ai toujours été parmi les vivants: avec mes cours à l'unif, mes conférences... J'ai toujours vécu - et continue à vivre - tout à fait normalement. C'est marrant cette idée qu'il faudrait qu'on 'sorte' de ce milieu médico-légal. Mais non, on est très bien dedans, ce milieu n'est pas perturbant. Et les plateaux télé, j'y allais déjà avant, notamment aux JT, parce que je suis un bon client. Je suis à l'aise aussi en radio, j'en faisais avant les bouquins, comme chroniqueur chez Patrick Weber ("C'est pas fini", sur Vivacité, NdlR). J'ai fait un "28 minutes" pour Arte avec Elisabeth Quin, c'était très amusant. Devant Hanouna aussi, ça ne me stresse pas. Ce passage dans TPMP, comment a-t-il été perçu? Pas de critiques, de confrères, qui trouveraient que "Boxho, il en fait trop"? Je reçois pas mal d'encouragements de policiers et de juges. Du côté des confrères, c'est silence radio total. Je sais qu'un autre veut faire la même chose. Deux médecins ont écrit des livres du même genre en Flandre. En France, Sapanet et Charlier ont écrit beaucoup de livres, et en Suisse, Silke Grabherr, professeure à Lausanne, écrit aussi. Donc je ne suis pas le premier. Mais le premier pour qui ça marche à ce point-là, oui, incontestablement. Avant de publier, j'avais demandé leur avis à des spécialistes en droit pénal, civil, droits d'auteur, ainsi qu'en déontologie à l'Ordre. Tous m'ont donné un blanc-seing. Le secret médical et professionnel sont totalement respectés dans les livres. Vous dirigez l'Institut médico-légal de Liège, voyez-vous une crise des vocations? Il y a un manque d'intérêt de la part des jeunes qui se rendent compte qu'en médecine légale, on ne fait que des gardes. Or la garde n'est pas à la mode. Et c'est un métier qu'on ne peut pas faire seul: il faut avoir une deuxième spécialité, nous sommes d'ailleurs la seule spécialité où on peut en avoir deux parce que la médecine légale n'est pas rentable. C'est très amusant de faire la médecine légale quand on est jeune, pas marié et sans enfant. Mais quand la vie se développe, ça devient compliqué, et c'est là que les légistes arrêtent. Ils partent travailler en mutuelles, à l'Inami, en psychiatrie ou en anatomopathologie, avec des horaires 8-17 h. Mais c'est pareil dans d'autres spécialités médicales. Et c'est difficile de régler cela car c'est un problème de mentalité. Parce que les auditoires de médecine sont féminins? C'était sans doute vrai au début, mais plus aujourd'hui. Toutes les couches de la société sont touchées, tous veulent une vie de famille, et je les comprends. C'est une autre façon d'envisager la vie. Et on le voit dans tous les domaines. C'est l'air du temps, il faut s'y faire, mais ça ne convient à aucune pratique médicale. J'ai augmenté les salaires ici car c'était nécessaire, mais ça ne change rien. La reconnaissance de l'IML à Saint-Luc, c'est une bonne chose? Pour Bruxelles, oui, avec l'IML de la KUL reconnu pour la périphérie de Bruxelles. Le ministre a été poussé par l'Europe qui voulait que la Belgique change car nous ne faisons que 1 à 2% d'autopsies, alors que les autres pays européens sont à 10-12%. Donc, nous avons un problème. Donc, il a fallu créer ce truc... que nous proposions depuis 15 ans! Deux IML au nord du pays - les Flamands en voulaient trois -, deux au sud et un au centre. Le ministre a reconnu deux instituts à titre pilote (UCL et KUL pour Bruxelles et une partie du Brabant) pour voir si ça marche. Évidemment que ça va marcher! Au sud, personne n'a encore été reconnu. Je pensais qu'on reconnaîtrait d'abord un IML au nord et un au sud, mais pas du tout. Il faudra voir qui, de Gand ou d'Anvers, sera reconnu côté flamand après la KUL... En Wallonie, nous ne sommes que deux, Liège et l'ULB à Charleroi, donc nous serons reconnus. Mais on ne sait pas quand. C'est le mystère du ministère. Et cela permettra d'augmenter le taux d'autopsies? Pour arriver aux 10%, il faut que les ILM soient dotés (le projet évoque 500.000 euros chacun par an). Il faudrait, en plus, que les procureurs du Roi décident de nous faire voir les corps. Or, pour l'instant, auprès des procureurs généraux, il n'y a aucun projet pour nous faire voir plus de cadavres. Il faut une autre politique criminelle. Pour le moment, les procureurs ont un droit d'opportunité pour envoyer - ou non - le légiste. Alors, qui envoie-t-on sur les lieux pour l'instant? La police et un généraliste pour constater le décès. Or aucun des deux n'est compétent pour examiner un cadavre. Le policier dit: "Il n'y a pas d'effraction, on n'a pas fouillé la maison." Fini. Le généraliste ne déshabille pas le corps et ne va pas l'examiner: "Je ne vois rien de suspect..." Je n'en veux à aucun des deux. Le généraliste à autre chose à faire, et qu'on ne me demande pas d'aller soigner des gens, ce n'est pas mon métier. Comme ce n'est pas celui du généraliste d'examiner un mort. Donc, on demande à deux personnes dont ce n'est pas le métier s'il y a quelque chose de suspect. Et c'est sur cet avis que le procureur du Roi se prononce. C'est le pays du surréalisme, la Belgique! On demande d'un côté de réduire les frais de justice, puis le ministre dit: "On n'autopsie pas assez." Mais qu'on donne les moyens de le faire! Et que l'on dise aux procureurs d'envoyer le légiste pour toutes les morts suspectes ou violentes. Et c'est un serpent qui se mord la queue: moins on appelle le légiste, moins il y en a, et ils sont surchargés puisque moins nombreux. Il faut briser ce cercle vicieux. Mais les politiques ne sont là que pour quatre ans et les prisons sont pleines... On permet donc à des meurtriers d'exister, en toute impunité. Nous sommes dans un État de droit, la moindre des choses est de l'assurer. Si vous pouviez choisir votre propre mort... Je veux être conscient. Savoir qu'on est en train de mourir, c'est une expérience. Voir jusqu'au bout. Après le bout, il n'y aura peut-être rien. Ou il y aura quelque chose. Et là, je serai conscient d'être passé à travers quelque chose. Et c'est cela qui m'intéresse. On dit "la mort, ce n'est pas la vie". Mais si: la mort est la dernière étape de la vie justement, elle en fait partie intégrante, il ne faut pas la dissocier. Et c'est peut-être aussi pour ça que mes livres ont du succès, parce qu'avec moi la mort n'est pas cachée, elle est révélée.