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Le journal du médecin : Ce qui frappe dans votre ouvrage, c'est la dimension importante que prend l'épuration après la Deuxième Guerre...Nicolas Kenny : L'ouvrage a pour fil conducteur les souvenirs de Charles Van Hauteghem, qui intervint à la radio sous le pseudo de André Charles, embauché dans l'effervescence de la Libération, où l'on recrutait énormément du personnel dans le contexte de l'épuration.Bien que je me sois plus intéressé à la période 1944-1969, l'épuration a touché énormément de monde à l'INR, mais de façon totalement inégale. Des commissions juridiques ont été créées, un peu à l'emporte-pièce : du coup, les condamnations se sont faites de façon très arbitraire et pas toujours de manière équitable, comme d'ailleurs dans d'autres sphères au cours de l'après-guerre.L'écrivain Félicien Marceau (vrai nom Lucien Carette) qui faisait partie de l'INR, lui a collaboré et fui en France sans plus être inquiété...En effet. Carette était animateur, lisait des textes de propagande, et connaîtra une prodigieuse carrière littéraire par la suite. A l'inverse, Stan Brenders, chef d'orchestre de jazz très populaire, s'est produit en Italie et en Allemagne, et a vu sa carrière s'interrompre de manière brutale après la guerre.Dans votre livre, l'on apprend que La Belgique libre avait conservé outre les mines d'uranium, un émetteur au Congo ?Oui. Les Belges y ont construit un émetteur très puissant, qui permettait d'émettre partout dans le monde. Par ce biais, ils ont pu entretenir de bonnes relations avec la BBC dont l'émetteur congolais relayait les émissions.Les Belges prêtaient l'émetteur à la BBC, tout en conservant une radio d'état relayée par le Congo durant l'occupation. L'INR est dissoute en 40 et l'on crée la radiodiffusion nationale belge à Londres, dirigée par Théo Fleischman : elle émet en français, en néerlandais et en plusieurs autres langues, dont l'allemand.Coexistent donc les services européens de la BBC et, en parallèle, cette radio du gouvernement belge qui diffuse aussi des programmes dans le but d'encourager la résistance, la solidarité et de réconforter.Une certaine confusion règne d'ailleurs entre ces radios, que l'on ne capte pas facilement et sont brouillées par l'occupant. Elles sont au service de la propagande alliée pour tenter de contrer Radio Bruxelles, la station allemande qui, au départ, tente de fidéliser les gens en imitant les programmes de l'INR. Mais plus la guerre avance, plus le ton va se durcir avec des personnalités comme Marceau justement et un discours beaucoup plus collaborateur.Après cette guerre des ondes et la fin du conflit, on a l'image de cette radio qui s'est mise au service de l'occupant et qu'il faut désormais mettre au service de la reconstruction.Au cours de la mission Samoyède, les alliés procèdent à des parachutages d'émetteurs radios ?L'idée était de mettre en place un réseau d'émetteurs, afin qu'une fois la guerre terminée l'on puisse immédiatement reprendre les communications après les sabotages supposés et avérés par la suite des Allemands.Un jour ou deux après la fin de la guerre, la radio a réémis, ce qui met en exergue la thèse du livre, à savoir à l'époque le rôle central de la radio en tant que média le plus influent.On y prête moins attention aujourd'hui, mais on écoute encore beaucoup la radio, bien que de façon différente : en podcast, en voiture ou sur le web. La fonction reste sensible-ment la même et nous la prenons pour acquise. Mais à l'époque l'émerveillement et l'inquiétude allaient de pair face à cet outil.Ceux qui la pratiquent ont une vision du monde très éducative, d'éducation civique, d'instruction, d'élévation du peuple, à l'image de la télévision à ses débuts.Le même discours prévaut d'ailleurs dans les années nonante s'agissant d'Internet.Vous n'abordez pas le rapport de cette radio avec les autorités, à l'image de la France où c'était la voix de son maître...Sur papier, les rôles étaient très distincts. Mais il reste que c'est une création de l'état belge et que l'influence politique y joue un rôle notamment dans l'attribution des postes politiques.Et au niveau du discours ?La radio prône une stricte neutralité, si tant est qu'elle puisse exister. Le mot d'ordre est aucun parti prisUn peu comme à la BBC ?Oui l'INR se base d'ailleurs énormément sur ce modèle britannique.Vous révélez que " Les feuilles mortes " ont été pour la première fois chantée par Montand à Bruxelles ?Ce " scoop " permet surtout d'illustrer les liens d'amitié qui unissaient parfois les artistes et les présentateurs, dans cet esprit de renaissance, de renouveau qui règne après-guerre et cette intimité voire cette amitié qui naît entre eux : l'interviewer préparant méticuleusement son interview, un respect mutuel s'instaurait entre l'artiste et le présentateur.Ensuite, on est passé de la pédagogie à la démagogie ?C'est ce que les gens de l'INR craignent avec Radio Luxembourg : face à cette concurrence, ils se voient obligés d'alléger leur programme, tout en continuant leur mission, un équilibre très difficile à garder.Ce qui va les sauver, c'est qu'au début des années soixante, l'on met plusieurs longueurs d'onde à disposition.Les stations régionales sont créées, et puis le troisième programme. Au départ, il y a ce rêve d'un auditorat homogène où chacun trouverait son compte dans les programmes proposés, mais à l'arrivée personne n'est vraiment satisfait.La télévision suit la même voie, mais la radio comme la première a gardé cette vocation généraliste ?Cet esprit de l'INR se retrouve encore aujourd'hui, car la mission du diffuseur publique n'a pas fondamentalement changé. Il reste, sur La Première notamment, cet esprit de service public, cette volonté d'informer, instruire et divertir.Bien sûr la publicité complique les choses comme d'ailleurs la politique néolibérale de désengagement de l'État par rapport aux radios, ce qui est une constante dans tous les pays dits démocratiques.