Radiofréquences et santé: la recherche face à des technologies en évolution rapide

"Certaines personnes rapportent différents symptômes non spécifiques, liés à l'exposition aux radiofréquences (RF, 100 kHz - 300 GHz). On parle d'électrohypersensibilité (EHS). Les types de symptômes rapportés varient d'un individu à l'autre, les plus communs sont le mal de tête, les troubles du sommeil et les acouphènes", a précisé Émilie Van Deventer (OMS). L'étude Cosmos (2007-2019) étudie les effets possibles de l'usage de la téléphonie mobile et d'autres technologies sans fil sur la santé. Plus de 300 000 volontaires issus de six pays (Suède, Royaume-Uni, Danemark, Finlande, Pays-Bas et France) y contribuent. "Cosmos a montré des associations entre l'usage du téléphone mobile et les maux de tête et les troubles du sommeil. D'autres analyses doivent encore être publiées", a résumé Isabelle Deltour, du CIRC (Lyon). Quelle est l'influence des ondes des antennes-relais sur les symptômes non spécifiques et les troubles du sommeil? "Si l'étude SART (2015-2017) n'a pas montré d'association en population générale, on note cependant une augmentation des troubles du sommeil en lien avec l'exposition chez les personnes 'inquiètes des effets de l'environnement' et/ou 'attribuant leurs symptômes aux ondes', soit une suggestion d'une 'sensibilité' particulière de certains sujets", a conclu Claire Ségala (France). Cette étude a confirmé la variabilité de l'exposition jour/nuit (supérieure en journée et aux étages, pas de différence le week-end) et la plus grande exposition en déplacement qu'au domicile. L'équipe belge des projets ExpoComm et ENVI-EHS est venue présenter ses résultats. L'objectif d'ExpoComm visait à améliorer l'efficacité et l'acceptabilité d'un protocole d'exposition à plusieurs sources de CEM (champs électromagnétiques) de sujets se déclarant EHS (électrohypersensibles) ou s'interrogeant sur leur sensibilité. "On a mis en évidence l'importance des informations données lors de la session d'habituation", a expliqué Maryse Ledent, pour Sciensano. L'étude ENVI-EHS (Plan environnement santé du Gouvernement wallon) a inclus des volontaires (47 EHS, 55 contrôles) pour subir des tests de provocation (12 semaines pour les EHS). "Nous n'avons pas observé de différences au niveau des perceptions, ni du report de symptômes. L'étude a été appréciée par les EHS et l'ensemble du protocole a été jugé pertinent. Les ateliers de restitution organisés en septembre dernier ont mis en évidence la prise de conscience des difficultés inhérentes à l'étude des perceptions et la nécessité de recourir à des variables objectives et d'informer le milieu médical des travaux en cours. Même si le lien entre les symptômes et les champs électromagnétiques n'est pas confirmé par cette étude et qu'il n'existe actuellement pas d'outil diagnostic validé de l'EHS, les personnes demandent à ce que leurs souffrances soient prises en compte", a précisé Benjamin Vatovez (ISSeP). Ces travaux devraient se poursuivre via l'individualisation des mesures, le projet 5GINC (exposition localisée 5G) et en explorant les pistes de prise en charge (thérapies cognitivo-comportementales, revalidation cardiaque...). "Même si le risque d'exposition aux champs électromagnétiques de radiofréquences est plus élevé pour les enfants et les adolescents, nous ne disposons que de très peu d'informations sur leur exposition réelle", a fait observer Monica Guxens (Espagne), qui a présenté les résultats du projet ELFES (Exposition longitudinale à RF et problèmes du sommeil chez les enfants). ELFES porte sur l'interaction entre les doses estimées de champs électromagnétiques de type radiofréquences (CEM-RF) (téléphone mobile, activités sur écran, champs lointains) sur l'ensemble du cerveau en journée et le soir, et les troubles du sommeil. Aucune association n'a été mise en évidence entre ces doses et les troubles du sommeil ou les mesures physiologiques du sommeil. "L'utilisation massive d'appareils de haute technologie et de systèmes de communication dans les services hospitaliers de néonatologie expose les nouveau-nés prématurés aux CEM-RF. L'étude NeuroPrem-RF a évalué l'influence de cette exposition sur le sommeil, l'activité cérébrale et l'activité du système nerveux autonome à trois semaines de vie. Nos résultats ont montré que les nouveau-nés prématurés étaient exposés de façon chronique et continue aux RF. Les niveaux mesurés étaient globalement très faibles, ponctués de valeurs de pics élevées dues aux activités humaines (téléphones portables). L'augmentation de l'exposition aux RF semblait induire un fractionnement du sommeil, une légère augmentation de l'activité cérébrale dans les bandes alpha et bêta, ainsi qu'une diminution du contrôle autonomique cardiaque", a analysé Erwan Stéphan-Blanchard (France). Quant à l'étude SPUTNIC, elle visait à étudier la relation entre l'exposition individuelle aux radiofréquences liée à l'utilisation d'un téléphone portable et la santé, y compris les capacités cognitives, le bien-être et le sommeil. Au total, 121 participants (63 en France, 58 en Suisse) ont pris part à dix évaluations, pendant dix jours. L'équipe a suivi trois marqueurs d'exposition aux CEM-RF (appels sans fil, appels mobiles et temps d'utilisation des écrans mobiles avant chaque évaluation), ainsi que trois paramètres de santé - capacités cognitives, qualité de vie (humeur, fatigue, stress) et durée et qualité du sommeil. "Nous avons constaté une augmentation significative du stress en rapport avec une augmentation de dix minutes du temps passé sur un téléphone portable, mais l'étude n'a pas trouvé de corrélation entre l'utilisation du téléphone ou le temps d'écran et le sommeil ou les capacités cognitives visuo-spatiales ou verbales", a indiqué Marloes Eeftens (Suisse). Le risque de cancer est évalué dans des expériences sur les grands animaux, mais l'exposition animale n'est pas facile à interpréter comme une exposition humaine cumulative sur toute une vie. Le risque humain est donc évalué à partir d'études de cohorte et de cas-témoins: on a ainsi observé la possibilité d'un risque modeste de gliome chez les plus grands utilisateurs de téléphones mobiles, et ceci uniquement pour les deux premières générations de téléphone mobile. Ce risque potentiel peut être atténué en éloignant l'appareil de la tête. "Il y a encore trop peu de preuves, le risque carcinogène doit être confirmé", a conclu Joachim Schüz (CIRC, Lyon). Les fréquences intermédiaires (FI, 300 Hz - 10 MHz) sont employées dans des applications actuelles ou émergentes (plaques de cuisson par induction, moteurs et véhicules électriques, système de transfert d'énergie sans fil, système d'identification RFID, compteurs intelligents) pour lesquelles peu de données de biocompatibilité sont disponibles. L'objectif de l'étude FIGé était d'évaluer l'impact de ces FI sur des cellules humaines en culture, en se focalisant sur les dommages à l'ADN et sur la réponse adaptative (effet positif sur les enzymes de réparation). "Nos expériences n'ont pas montré d'effets génotoxiques directs des FI, ni d'effet adaptatif. Néanmoins, quelques observations indiquent qu'un impact sur l'oxydation de l'ADN est sans doute possible, bien que de faible ampleur. Ces types de dommage à l'ADN étant particulièrement bien réparés au niveau cellulaire, l'impact potentiel de ces modifications sur la santé reste encore à définir", a mis en garde Yves Le Dréan (France). En 2014, une étude a suggéré une réduction de la survie en relation avec la durée d'utilisation du téléphone portable chez les patients atteints de glioblastome. ASTRO-RF, un projet épidémiologique/expérimental, a étudié les effets des CEM-RF sur le développement et la progression tumorale. "Nous n'avons trouvé aucune preuve épidémiologique d'une survie réduite chez les patients atteints de gliome par rapport à l'utilisation antérieure du téléphone portable, même intensive. Nos données expérimentales confirment cette observation puisque la survie des rats (modèle de glioblastome) n'était pas réduite par l'exposition aux RF. D'autre part, nos résultats suggèrent une action des CEM-RF en réduisant l'infiltration des cellules immunitaires et l'apoptose des cellules de glioblastome, à une amplitude probablement trop faible pour avoir un impact sur la survie. D'autres études de réplication sont nécessaires pour confirmer ces observations", a constaté Anne-Sophie Bonnet-Villégier (France).