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On l'entend souvent de la bouche d'un banquier: "La plupart des gens laissent traîner beaucoup trop d'argent sur leur carnet de dépôt, au lieu de l'investir de manière plus rentable". Cette réflexion se réfère à une double réalité. D'une part, cette épargne de précaution ne se justifie qu'à très court terme et, surtout, pour des montants limités: en cas de besoins importants, il est facile et rapide de revendre actions, obligations et autres fonds de placement. D'autre part, le carnet de dépôt rapporte en principe sensiblement moins que les placements à long terme. En principe... La vérité oblige à reconnaître que l'épargnant n'a pas toujours tort de miser à fond sur ce qu'on appelle aussi le livret d'épargne. La bourse est, avec l'immobilier, le meilleur placement à long terme? Oui, mais celui qui avait besoin d'argent en mars 2020, au lendemain du krach dû au Covid, sait qu'elle peut s'avérer dangereuse à court terme! Il est vrai que l'épargnant se tournera sans doute plus volontiers vers les obligations: n'offrent-t-elles pas un rendement assez franchement supé- rieur à celui du carnet de dépôt? Normalement, oui, mais la situation n'est pas toujours normale, justement: le rendement de l'obligation à dix ans de l'État belge fut misérable durant plusieurs années et même négatif de l'été 2019 à l'automne 2021! Ce n'est pas tout: quand les taux d'intérêt à long terme s'inscrivent en hausse, les obligations existantes perdent automatiquement de leur valeur, puisqu'elles rapportent moins que les nouvelles. On se souvient de l'envolée de l'inflation et des taux en 2022: elle s'est traduite par des moins-values de plus de 15% pour les obligations d'État de nombreux pays de la zone euro! Cette situation était tout à fait exceptionnelle, mais ce n'est pas une consolation pour celui qui a dû revendre des obligations dans ces circonstances... On ne peut honnêtement évoquer les grands principes de l'investissement et les conseils de placement donnés par les professionnels en passant sous silence ces épisodes qui peuvent inciter l'épargnant à se montrer très prudent. Il reste que la situation s'est quasiment normalisée depuis l'an dernier. Tant aux États-Unis qu'en Europe, l'inflation s'est largement dégonflée et les banques centrales ont commencé à baisser leurs taux de base, c'est-à-dire les taux d'intérêt à court terme. Ce mouvement va-t-il toutefois se poursuivre, alors que l'inflation joue aux montagnes russes ces derniers mois? Certains commencent à en douter aux États-Unis, où l'économie reste florissante. Ce sentiment n'est cependant pas partagé de ce côté-ci de l'Atlantique... parce que l'économie y est plutôt stagnante. Et qu'elle a donc besoin d'un petit coup de pouce sous la forme de taux d'intérêt plus bas. Or, si la BCE continue à baisser ses taux, le carnet de dépôt suivra assez largement. D'où le conseil souvent donné de lui préférer un investissement à plus long terme. Une objection vient aisément à l'esprit: les taux à long terme, autrement dit le rendement des obligations, ne vont-t-ils pas suivre? Oui, dans une certaine mesure en tout cas, mais le raisonnement se résume comme suit: on trouve dès aujourd'hui mieux que le carnet de dépôt et, demain, la différence aura augmenté. D'où l'intérêt de franchir le pas! Accroître la part à long terme de ses placements, soit, mais dans quelle direction l'investisseur doit-il tourner son regard? On a récemment évoqué ici les valeurs immobilières, dont certaines ne se sont guère remises de leur syncope de l'année 2022 et qui offrent dès lors des rendements fort appréciables. Il faut aussi retenir les fonds investis en actifs de rendement. On aurait naguère écrit les "fonds obligataires", mais leurs portefeuilles sont aujourd'hui beaucoup plus diversifiés. Certains détiennent ainsi une proportion non négligeable d'actions. Ce sont logiquement celles d'entreprises payant des dividendes élevés. Outre le secteur de l'investissement immobilier, il s'agit des producteurs d'énergie et autres "services publics" tels que la distribution d'eau ou le traitement des déchets, ou encore de sociétés gérant des infrastructures. Les secteurs à faible croissance (et à risque assez limité) compensent en effet généralement en offrant un rendement élevé à l'actionnaire par le biais du dividende. Les fonds plus spécifiquement tournés vers les obligations ne se contentent pas pour autant d'acheter celles émises par les États, en principe les plus sûres. Beaucoup en détiennent assez peu, leur préférant les emprunts émis par les entreprises, dont les rendements sont plus élevés... en raison d'un risque qui l'est également, presque par définition. Ces fonds ne présentent-ils dès lors pas un danger? Pas vraiment, pour deux raisons. D'une part, le portefeuille est très diversifié, ce qui dilue tout accident. D'autre part, les gestionnaires du fonds suivent de près les sociétés dont ils détiennent les obligations. Tout ceci n'est clairement pas à la portée de l'investisseur particulier. S'appuyant sur ces deux piliers que sont la diversification et la surveillance, quantité d'acteurs financiers proposent même des fonds à haut rendement (high yield, dans le jargon financier), qui investissent donc dans les obligations de qualité moyenne, émises par des entreprises présentant certains risques. On peut à nouveau poser la question: n'est-ce pas dangereux? Il est vrai qu'en cas de détérioration de la conjoncture, ces entreprises moins solides susciteront davantage de méfiance, de sorte que leurs obligations pourraient perdre un peu de valeur. Les cours de ces fonds high yield sont donc plus volatils. Pour autant, ils n'ont pas nécessairement souffert plus que d'autres durant la terrible année 2022. C'est parfois même le contraire. Alors que l'ISF Global Credit Income de la maison Schroders perdait -14,6% cette année-là, son petit frère ISF Global Credit High Income limitait les dégâts à -7,6%. Et il performe mieux cette année. Ce n'est pas pour autant une loi universelle: le fonds BNP Paribas Euro High Yield a trébuché de -13,1% en 2022. Il affiche +7,9% cette année, dans la moyenne du marché, après +11,6% en 2023. Au fait, qu'a-t-il donc dans le ventre? Les obligations ayant reçu une notation de AAA à A, la meilleure qualité, ne représentent que 4,2% de son portefeuille, tandis que 10,2% affichent BBB, qui est le dernier niveau de la "qualité investissement", suivant les normes reconnues au niveau mondial. Plus de la moitié des obligations en portefeuille (53%) se contentent de la note BB, qui relève de la catégorie spéculative, tandis qu'un bon quart se situent plus bas encore, à B. Ce portefeuille est donc très spéculatif! Et représentatif de ce qu'est un fonds à haut rendement. Y a-t-il urgence à dégraisser son carnet de dépôt? Si les offres promotionnelles de l'automne ont pris fin, les rendements ordinaires n'ont guère baissé jusqu'ici. La plupart des banques offrent toujours un rendement de 2% au moins, étant entendu que c'est la prime de fidélité qui en constitue l'essentiel (lire le cadre ci-contre). L'argument "pour" est d'un autre ordre: les taux à long terme ont commencé à baisser (l'obligation à dix ans de l'État belge affiche à présent 2,65%, contre 3% au début novembre), ce qui signifie que les obligations existantes ont bénéficié d'une sympathique plus-value. Si le mouvement se poursuit, l'épargnant qui attend va donc subir un manque à gagner supplémentaire. D'un autre côté, les revenus du carnet de dépôt sont exonérés de précompte mobilier jusqu'à 1.020 euros par an et par personne, alors que les dividendes payés par les actions et les fonds sont soumis au précompte. On sait toutefois qu'il est fortement question d'étendre cette exonération à d'autres formes de placement. La mesure sera-t-elle, pour autant, décidée dès la formation du gouvernement? Elle pourrait modifier certaines habitudes d'épargne, notamment en défaveur du carnet de dépôt.