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Le journal du Médecin: Pouvez-vous dresser les contours de votre démarche Proxisanté dans le cadre des Assises de la première ligne? Christie Morreale: D'abord, nous sommes partis de l'existant - be.hive et la feuille de route de la Plateforme de première ligne wallonne notamment. Le questionnaire en ligne lancé au mois d'avril visait non seulement à valider ces points de vue mais aussi à tirer les enseignements de la crise. Car la pandémie a changé la donne, vu l'augmentation du nombre de contacts entre pharmaciens, généralistes, infirmiers et milieu hospitalier. Pour réaliser ce questionnaire - qui est une mise en contexte et une inspiration pour la suite des travaux de Proxisanté - , nous avons travaillé avec les universités. Nous avons reçu 1.700 réponses qui ont montré certaines différences d'appréciation selon que l'on soit à Liège, dans le Hainaut ou dans le Brabant wallon, notamment au niveau du prestataire le plus proche du citoyen. Pour le reste, le questionnaire a largement confirmé ce qui avait été mis sur la table précédemment. Nous avons ensuite démarré les groupes de travail en mettant les prestataires autour de la table et en mixant les différents publics. L'objectif était de les confronter aux informations récoltées et d'ouvrir la discussion sur différentes thématiques. Ce premier tour de table s'est terminé le 18 juin. L'Aviq est chargée de réaliser une synthèse, une note qui servira de base à la suite des travaux. Il s'agira alors de discuter des priorités et des grandes lignes de force avec les différentes organisations représentatives des professionnels de santé de la première ligne pour émettre des recommandations. En décembre, ou en tout début d'année prochaine, nous proposerons un texte. L'objectif est de remettre les clés du département de la santé avec une organisation de la première ligne votée au parlement. Certains prestataires estiment que le questionnaire préliminaire orientait les débats vers une structuration autour des pratiques groupées. Est-ce une volonté de votre part? Je n'ai jamais entendu cette critique. Mais l'organisation même de la première ligne tend vers la collaboration. 21% des participants au questionnaire en ligne ont d'ailleurs émis le souhait d'être le moteur de la collaboration. La pratique collaborative est la clé même de l'organisation de la première ligne. On doit décloisonner les professionnels de soins de santé et travailler dans une logique moins hospitalocentrée que ce qu'elle n'est aujourd'hui. C'est quelque chose que je retire des multiples contacts que j'ai eu avec les professionnels de la santé pendant la pandémie: la qualité de de leur travail et leur épanouissement professionnel passeront par le réseautage. Le travail en équipe permet de les soulager, de parler, d'avoir des connections. Travailler seul ne sera plus souhaitable pour le patient et pour le professionnel des soins. Existe également la crainte, d'une part, d'une redite chez les prestataires habitués des cénacles, qui estiment que c'est un travail qui a déjà été fait. D'autre part, la crainte que des discussions qui partent d'aussi loin aboutissent à un texte d'ici la fin de l'année. Nous sommes dans un processus participatif. Notre volonté n'est pas d'imposer notre vision à la première ligne. Nous connaissons les forces et les faiblesses de la première ligne car ce travail a déjà été réalisé. Entre-temps, la crise a changé la donne, notamment car elle a forcé des acteurs à travailler ensemble alors qu'ils ne l'avaient jamais fait auparavant. Je pense qu'il ne serait pas responsable de ma part de ne pas considérer qu'il y a un avant et un après Covid. L'objectif est de faire émerger ce que les prestataires veulent comme organisation de la première ligne. C'est lorsque cette vision aura émergé que je ferai le texte. Il est hors de question que je propose un texte avant. La temporalité est celle souhaitée par les prestataires eux-mêmes. Ma responsabilité est de déposer le décret et les arrêtés qui vont suivre d'ici la fin de législature actuelle (2024 ndlr). Le délai permet à ce gouvernement de tenir ses engagements sur l'organisation de la première ligne. Plusieurs initiatives se développent en parallèle de Proxisanté. Le Collège de médecine générale organise des groupes de travail sur l'avenir de la profession, les cercles songent également leur réorganisation, le Fédéral vient d'annoncer un New Deal pour la médecine générale. Est-ce que cela a du sens que chacun fasse la révolution dans son coin? Je suis plutôt ravie de savoir que les organisations représentatives organisent des réflexions car il y a à la fois ceux qui participent à la plateforme Proxisanté mais aussi ceux qui ne participent pas. On ne saurait pas travailler avec l'ensemble des prestataires à travers le travail participatif de Proxisanté. Tout cela nourrit notre réflexion et nous permettra d'avoir le projet le plus étoffé possible. Concernant le Fédéral, il est logique et sain que le Fédéral agisse puisqu'il lui reste énormément de compétences en lien avec la première ligne, dont le financement et le mode de fonctionnement. La Région wallonne est associée aux réflexions que Frank Vandenbroucke mène. Nous travaillons en bonne intelligence. En Flandre, le travail de réorganisation de la première ligne a déjà été réalisé. Pourquoi ne pas être parti de là? Quand je suis devenue ministre de la Santé, j'ai regardé ce qui se passait en Flandre car la Région était effectivement beaucoup plus avancée. Nous n'avons pas fait de copier-coller car le contexte est différent. Mais l'organisation et la structuration me semblaient performantes. La crise sanitaire a démontré à quel point le fait d'avoir des référents locaux, un maillage territorial et un échange d'informations était efficace. La Flandre avait déjà cinq centres de vaccination, alors que la Wallonie n'en avait pas. Au niveau vaccination, les compétences morcelées répartissaient la vaccination des adultes à la région et la vaccination des enfants à la Communauté française. Ce n'était pas idéal. Disposer d'une telle organisation aurait été utile à la Wallonie. Il a fallu cravacher deux fois plus pour tout créer. Le travail du médecin généraliste est devenu plus complexe avec la crise. Dans la Déclaration de politique régionale, il est écrit que le dispositif Impulseo allait être revu. Où en est-on? L'évaluation d'Impulseo est mise en corrélation avec les Assises de la première ligne. Nous sommes d'ailleurs très heureux de la récente décision au sujet des numéros Inami. Avant cette décision, la Région avait peu de leviers pour densifier la population de médecins et répondre à la pénurie. Cela permettra de faire bouger les choses, car la Wallonie devenait exsangue de médecins généralistes, d'autant plus que la Région compte davantage de médecins de plus de 55 ans que la Flandre. La simplification administrative est un des points d'attention des professionnels de soins. Mais c'est une compétence qui relève presque intégralement du niveau fédéral. Nous sommes en discussion avec Frank Vandenbroucke qui a mis ce point sur la table. Nous espérons également que la digitalisation permettra d'alléger le poids administratif des médecins. Nous devons beaucoup évoluer sur la facilitation de l'échange des données. Est-ce que la réforme du paysage hospitalier, initiée par Maggie De Block, correspond à votre vision des soins en Région wallonne? Totalement. Poser un cadre était une bonne chose. Quand j'ai pris mes fonctions, le 13 septembre 2019, la première urgence était de mettre en place les réseaux locorégionaux pour le 1er janvier 2020. Tout le monde disait que nous n'y arriverions pas. Nous y sommes arrivés dans les temps. Huit réseaux ont été mis sur pied en Wallonie. À l'époque, la Région avait laissé deux ans aux réseaux pour poser un cadre, et allait proposer des normes complémentaires dans la foulée. Les hôpitaux devaient travailler entre eux, voir quelles étaient les synergies concrètes. Nous n'avons pas voulu proposer un cadre trop corseté car les réseaux ont avancé de manière assez différente les uns des autres. Certains sont allés plus vite dans la structuration, les synergies et les transferts de services. Il faut que l'on puisse évoluer dans les normes fédérales et régionales à l'aune de ce qu'ont donné ces deux dernières années. En première mouture, nous avions défini certains critères qui sont aujourd'hui discutés. Concernant les maternités, par exemple, il y a lieu de revoir certaines règles. Le Fédéral devrait arriver avec un projet dans les prochains mois. En Wallonie, les normes complémentaires sont attendues dans la foulée de Proxisanté, car, en termes de continuum de soin, le lien entre la première ligne et les hôpitaux est un élément déterminant. Il reste encore deux agréments officiels qui n'ont pas été donnés. Il s'agit du réseau Move - un détail administratif à régler avec la Communauté germanophone - et Vivalia, pour qui des informations complémentaires sont encore attendues. C'est d'ailleurs un peu étonnant car c'est un réseau qui s'est constitué assez vite mais où les discussions traînent. Comment qualifiez-vous votre collaboration avec Frank Vandenbroucke? Nous travaillons bien ensemble, les choses se passent de manière plutôt harmonieuse. Nous ne nous immisçons pas dans les compétences qui ne nous regardent pas. Pour ce qui est des infrastructures, notre responsabilité est largement corrélée à la vision fédérale et à la révision des normes à venir. On peut d'ailleurs s'étonner du premier plan infrastructures wallon qui s'est pris dans l'urgence et sans prise en considération des réseaux qui allaient naître. On a demandé à tous les hôpitaux, dans des délais qui étaient très courts, de rentrer des projets d'infrastructure qui ont représenté une masse énorme de 3,5 milliards d'euros. Tout a été accepté. Entre-temps, des réseaux ont été créés, des synergies se sont mises en place, de nouvelles normes fédérales arrivent, et moi-même, je souhaite que le deuxième volet du plan d'infrastructure intègre bien davantage les réseaux hospitaliers. Il faut que cette stratégie de réseaux se traduise dans les projets d'infrastructures que les hôpitaux vont nous déposer et pour lesquels je vais effectivement déposer une note dans le courant de cette législature. Quelles sont les leçons tirées de la crise, voire des crises, car les inondations ont également touché la Wallonie? J'avais déclaré en avril 2020 que la deuxième vague de la crise concernerait la santé mentale. Je n'imaginais pas à l'époque que l'on aurait plusieurs vagues de Covid-19. Nous avons rapidement pris des décisions pour engager 179 psychologues. Plus de 20 millions d'euros ont été mis sur la table pour renforcer les services de santé mentale, organiser la prise en charge des professionnels de la santé, s'occuper du deuil, du suicide (notamment des hommes, deux fois plus nombreux à passer à l'acte, mais qui expriment deux fois moins leur malaise), de la fin de vie, des soins palliatifs et d'autres initiatives plus spécifiques pour accompagner notamment les indépendants. Une leçon tirée des inondations est que mobiliser des services de santé mentale à l'échelon local peut s'avérer compliqué. Cela montre, encore une fois, que réorganiser la première ligne est un enjeu primordial. À côté, il y a d'autres enjeux importants, à l'instar des lits pédopsychiatriques. Nous insistons auprès du Fédéral pour en avoir davantage car il y a des problèmes majeurs de prises en charge d'enfants en détresse que l'on ne peut suivre de manière spécifique. Des collaborations qui viennent d'ailleurs d'être signées entre la Communauté française et la Région wallonne sur les prises en charge santé mentale entre le secteur de l'aide à la jeunesse, de l'ONE et de l'Aviq.