Les soins palliatifs sont habituellement dispensés dans un contexte médical complexe et font souvent référence aux décisions de fin de vie. En outre, ils ne se limitent pas à la dimension physique, mais englobent également les aspects psychiques, sociaux et spirituels. On peut donc les considérer comme un des domaines les plus difficiles de la médecine. En va-t-il autrement selon qu'il s'agit de personnes âgées ou de patients plus jeunes?
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La particularité des soins palliatifs administrés aux personnes âgées est que celles-ci souffrent souvent de plusieurs affections en même temps", déclare le Dr Maaike De Roo (service gériatrie, UZ Louvain). "Il est donc difficile d'estimer quand la somme de ces maladies devient une épreuve trop lourde pour le patient. Confronté à la résurgence d'une de ces maladies, le médecin est parfois bien en mal de prédire si le patient pourra surmonter le prochain épisode aigu. La complexité induite par la fragilité du patient et la polypathologie rendant la tâche encore plus ardue.""Il y a encore un autre aspect: la multiplicité des maladies peut modifier la réaction du patient à la médication, rendant nécessaire l'adaptation des soins de confort à son profil. De surcroît, les seniors sont sous-représentés dans les études cliniques. Nous disposons de ce fait de peu de données scientifiques qui nous permettraient d'encadrer les soins palliatifs. Nous appliquons souvent les directives destinées à la population plus jeune, en commençant par des doses inférieures chez les patients fragiles, doses que nous augmentons très progressivement. Nous devons toutefois prendre garde à ne pas traiter trop peu par prudence."Dernier obstacle, des troubles sensoriels ou cognitifs peuvent empêcher les patients plus âgés de communiquer leurs souhaits et leurs symptômes, qui deviennent alors plus difficilement déchiffrables. Les personnes âgées portent-elles un regard différent sur les soins palliatifs, à cause de leur grand âge et/ou parce qu'elles sont fragilisées par leurs multiples pathologies? "Nous partons du principe qu'il n'y a pas de patient type en soins palliatifs", précise le Dr De Roo. "De même, l'attitude des personnes âgées varie fortement. Certaines sont encore emplies d'espoir et persévèrent. D'autres ont une vision très nette de ce qu'elles veulent ou pas en matière de soins - elles ne sont pas forcément lasses de vivre, mais souhaitent imposer des limites aux démarches entreprises. Somme toute, l'âge n'est pas un facteur décisif. Comme dans toutes les catégories d'âge, on décèle chez les personnes âgées des attitudes divergentes.""Les patients plus jeunes ont évidemment un accès plus facile aux informations et sont donc mieux armés pour se former une idée. Les personnes âgées s'en remettent plus souvent à leur médecin pour prendre la bonne décision. Le prestataire de soins doit toutefois essayer de communiquer le mieux possible avec ses patients âgés, même s'ils font preuve de résignation ou qu'ils souffrent de troubles sensoriels ou cognitifs. Mais il est vrai que parfois aucune conversation n'est possible.""Une communication adéquate sur les soins palliatifs implique aussi de remettre en question un refus thérapeutique trop radical. Certains patients déclarent catégoriquement ne plus vouloir d'intervention chirurgicale. Le médecin doit alors insister sur l'impact que peut avoir une intervention peu contraignante sur la qualité de vie. La règle générale est que le médecin doit veiller à ce que le patient soit suffisamment informé de toutes les options possibles avant de prendre une décision sur ses soins."Le Dr De Roo souligne que les personnes âgées ou leurs proches se montrent parfois réticents face à une réflexion sur les soins palliatifs, ceux-ci étant ressentis comme annonciateurs de la fin de vie. Or, les soins palliatifs peuvent avoir une visée à long terme, où le contrôle des symptômes se substitue à la volonté de guérir la maladie ou d'atteindre des objectifs thérapeutiques. L'intérêt de la planification précoce des soins ne saurait être surestimée, mais la démarche doit porter sur les bons aspects, selon le Dr De Roo. "Cette planification devrait avoir lieu en temps voulu, par exemple en fonction d'une décision thérapeutique particulière ou d'un changement de situation de vie. Il faut avant tout demander au patient ce qu'il veut encore. En quoi consiste une bonne qualité de vie pour lui? Imaginez que le patient doit subir une lourde opération. Il voudra normalement savoir ce dont il sera encore capable ensuite, ou dans combien de temps il pourra à nouveau s'acquitter de telle tâche ou s'adonner à telle activité. Ses attentes peuvent être très basiques, comme la possibilité de se déplacer du lit au fauteuil. Ce type de description est souvent plus parlant que le passage en revue par le médecin et le patient d'une liste d'interventions par lesquelles ce dernier n'est pas directement concerné." La planification des soins requiert souvent plusieurs entretiens afin de permettre au praticien, au patient ou à sa famille d'y réfléchir. Le processus doit être dynamique et flexible, surtout si l'état de santé du patient évolue rapidement. Il faut communiquer les résultats des entretiens concernant la planification des soins à toutes les personnes impliquées (éventuellement depuis l'hôpital si c'est là qu'a eu lieu l'entretien): à la famille, au médecin traitant, au personnel soignant de la maison de repos. Le médecin doit également prêter attention au personnel soignant qui s'occupe du patient depuis longtemps et a pris connaissance de ses préoccupations ou de ses souhaits: le proche aidant, l'infirmier à domicile, le personnel soignant de l'hôpital, l'aide à domicile, l'aide-soignant. Si la multiplicité de ses pathologies contraint le patient à consulter différents spécialistes, il est souhaitable que le médecin traitant soit régulièrement tenu au courant des résultats. Le Dr De Roo: "Parfois, une maladie chronique est parfaitement sous contrôle alors qu'une autre engage fortement le pronostic vital. Si la communication des différents spécialistes entre eux est difficile, le médecin généraliste devrait au moins avoir la possibilité de communiquer facilement avec cette deuxième ligne, afin d'échanger points de vue et suggestions concernant la planification des soins. Idéalement, chaque spécialiste devrait aussi appréhender le patient fragilisé dans sa totalité, sans se cantonner à la maladie qu'il traite. Le spécialiste peut également nouer un dialogue avec le patient, afin de savoir quels soins il souhaite. En fait, il devrait y avoir un généraliste ou un gériatre dans chaque médecin. Les praticiens qui soignent des personnes âgées devraient disposer de certaines compétences gériatriques." Comment inclure une personne de confiance dans la réflexion sur les soins palliatifs, par exemple dans le cas d'une personne atteinte de démence? "La personne de confiance, qui est souvent aussi le proche soignant du patient, doit être impliquée dans la planification des soins dès le début", souligne le Dr De Roo. "Nous savons que la démence ne concerne pas que le déclin cognitif. D'autres aspects finissent par être touchés. Par exemple, le patient va manger de moins en moins. L'aidant doit pouvoir se faire une idée de ce à quoi le patient est confronté et, par extension, de ce que l'avenir lui réserve.""Le proche soignant peut éprouver des difficultés à prendre des décisions sur les soins à apporter au patient. Il faut donc lui expliquer clairement quels traitements peuvent apporter une plus-value ou pas. En principe, les décisions médicales sont du ressort du médecin, mais les proches soignants doivent obtenir les explications nécessaires afin de comprendre les différentes propositions émises. Ces personnes sont en deuil, si bien qu'il n'est pas toujours aisé de parvenir à une décision conjointe. C'est pour cela qu'il faut les impliquer d'emblée dans la réflexion, sans attendre l'ultime moment de crise."Le Dr De Roo décèle dans les relations avec la famille une tendance dont lui font également part ses collègues: "Les proches des patients en fin de vie connaissent de moins en moins bien le processus de décès, qui se déroule de plus en plus rarement à domicile. Il en ressort une sorte de besoin de contrôle. Les proches veulent savoir combien de temps cela va durer. De préférence pas trop longtemps car ils ne savent pas comment gérer la situation. À leurs yeux, un processus d'une semaine constitue une souffrance. Ils pensent qu'il faut intervenir, alors que le médecin ou l'infirmier jugent le patient paisible et dénué de souffrance. Pour autant que le patient soit dans un état confortable, le processus peut facilement durer quelques jours. En tant que prestataires de soins, nous avons quant à nous le devoir d'informer les gens de ce que représente un décès normal."