Sur les traces des abbayes trappistes

La salle d'attente du centre médical à Héron n'est pas vide en cette lumineuse matinée d'avril. Une femme et un homme patientent. Ils se connaissaient vaguement il y a six mois, mais le courant est toujours bien passé. Après les premières banalités qui les embarrassent plus qu'autre chose, ils préfèrent s'avouer tout de suite la raison de leur visite: hasard ou non, le burn-out les a tous deux terrassés. Cette confidence mutuelle les rassure et, malgré leur fatigue et leur dépit, ils s'encouragent et se donnent un premier rendez-vous, ensemble ils iront marcher. Voilà le premier pas vers un regain d'énergie, ils propagent chacun de leur côté l'invitation à d'autres amis. C'est le début de leur aventure, c'est ainsi qu'ils s'en vont tous les mercredis en sifflotant en chemin comme s'ils retournaient à l'école buissonnière. Au fil des semaines, leur allure s'affermit, leur démarche trouve plus de l''assurance, leurs corps se raniment d'un nouveau tonus et d'une vitalité mise depuis trop longtemps en sommeil. Ces mercredis ne leur suffisent plus, ils en veulent plus, avides de toujours plus de plaisir, plus de balades, plus d'oxygène à pleins poumons. C'est décidé, désormais, ils ont un objectif: boucler un GR. Ils partiront donc chaque samedi sur le sentier de grandes randonnées des Abbayes Trappistes de Wallonie. Au menu, 19 étapes, 290 kilomètres, 20 communes à traverser, à savoir: Chimay, Couvin, Viroinval, Doische, Florennes, Hastière, Dinant, Houyet, Ciney, Somme-Leuze, Marche-en-Famenne, Rochefort, Tellin, Wellin, Daverdisse, Libin, Paliseul, Bertrix, Herbeumont et Florenville. Le défi commence le samedi 29 mai. 11 randonneurs d'âges variables dans une fourchette de 45 à 73 ans et aux profils divers ont fait le déplacement et enfilé leurs chaussures de marche. Il est 8 heures quand, sac au dos et chaussures de marches solidement nouées, ils quittent le plateau sauvage de Scourmont, proche de Chimay. À l'instar des 14 abbayes au monde à avoir été authentiquement qualifiées de trappistes, parmi lesquelles six sont implantées en Belgique, l'Abbaye de Scourmont brasse la célèbre Chimay, appellation conférée à une gamme variée répondant à tous les goûts, de la saveur d'une blonde ou d'une brune au degré d'alcool plus ou moins léger (de 4,8° à 10°). Des bières labellisées réalisées dans le respect scrupuleux des hautes exigences d'une tradition brassicole de qualité. Blanche, rouge, dorée, bleue et même verte depuis peu, toute la gamme de ces bières se marie à merveille avec les fromages de Chimay. C'est ce qu'on appelle "l'expérience des accords parfaits". Pour la plupart de ces randonneurs, la découverte de la Fagne namuroise est une merveilleuse surprise. Les bois, les champs, les vertes prairies, les sentiers, les venelles ravissent leurs sens. Ils passeront notamment par Lompret et Vierves-sur-Viroin, deux patelins réputés pour faire partie des plus beaux villages de Wallonie et également par Hierges, un petit village français, ils profiteront ainsi d'un détour par la France, plutôt agréable. La pause à Nismes, mais aussi la visite des musées à Treignes, le chocolat chaud à Falmignoul et les endroits pittoresques donneront une note plutôt apaisante dans la promenade... Et pour le côté étonnants, la vue sur le château de Walzin, et le petit restaurant équitable le long de la Lesse, ne les laisseront pas de glace. Les marcheurs déambulent et les quelques indices glanés en chemin les entraînent dans les histoires universelles de l'Humanité entière et des Wallons en particulier, presque par hasard... Ce voyage est pareil à celui entrepris dans un pays lointain qu'ils connaissent déjà très bien, comme une impression de se ressourcer alors qu'en fait ils veulent juste tuer le temps. Quelle étrange révélation de se dire qu'en vérité, c'est toujours le contraire qui se passe. De village en village, les marcheurs jouent avec les couleurs de leur palette pour dessiner et écrire de jolis mots dans leurs pas. 13 étapes - Walzin-Conjoux, Conjoux-Haversin, Haversin-Rochefort -, sans oublier la traversée de Chevetogne et la visite de son monastère enrichissent encore leur belle aventure. Le samedi 14 août vers 16 h, après avoir parcouru 174 km, nos randonneurs atteignent Rochefort. Depuis sa fondation en 1230, les moines y vivent de leur travail dont ils puisent également la possibilité de répondre à de nombreux besoins sociaux. En parcourant ce GR, l'occasion était trop belle de pouvoir déguster les trois trappistes wallonnes, aussi originales et singulières que distinctives. Se priver d'une telle opportunité aurait d'ailleurs été un véritable péché... Au cours de leur périple, nos randonneurs quittent Rochefort pour Resteigne et son magnifique château, lors d'une des plus belles étapes. Ils traversent Han, un des villages touristiques les plus connus en Belgique. Les samedis suivants, les étapes s'enchaînent avec des arrivées dans des villages ardennais bien typés. Daverdisse, Maissin, Offagne, Bertrix, où les marcheurs plongent 25 mètres sous terre et découvrent un monde souterrain exceptionnel lors d'une visite au coeur de l'ardoise. Dans les sentiers, il est aussi possible de croiser un renard ou un sanglier, les plus chanceux observeront un cerf. Les ruines du château de Herbeumont, le village où est enterré Serge Reding, un des plus remarquables poids lourds de l'histoire haltérophile détenteur d'une médaille d'argent en 1968 aux Jeux de Mexico et de plusieurs records du monde, justifient un arrêt prolongé. À Florenville, les fans du dessinateur Jean-Claude Servais admirent la sculpture Tendre Violette de Francis Darras qui trône près de l'église, face à l'hôtel de ville. Enfin, le 2 octobre, les randonneurs descendent vers l'abbaye d'Orval, une descente agréable entre forêts d'épineux et petits étangs. La Gaume, vous conviendrez, est une région unique en Belgique, une terre d'artistes. Là-bas, dans ce coin reculé du plat pays, où il parait que les cigales commencent à chanter, on a tendance à croire que la vie s'arrête, que la sagesse nous gagne. Pour ponctuer cette randonnée, le groupe de marcheurs décide de dormir deux nuits à l'abbaye. Le silence y est roi. On y vit selon la règle de Saint-Benoît. "En fin de compte, le GR, c'est l'extrait d'une vie, conclut l'homme. "On a mal, on souffre, on se demande si ça vaut le coup, mais on continue, on met un pied devant l'autre, on avance pas à pas, mètre après mètre, étape après étape et jour après jour. Au final, ça vaut toujours le coup, parce que peu importe les souffrances endurées, peu importe les doutes ou les moments où l'on trébuche, l'essentiel est que le monde qui nous entoure est magnifique, que les gens que l'on rencontre sont incroyables, et puis que la vie est belle."