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La théorie de la rémunération alimente un débat depuis de très nombreuses années parmi les praticiens du droit fiscal. Selon cette théorie, une société a le droit de déduire de sa base imposable des dépenses qui n'ont pas un lien direct avec son objet social si elles sont destinées à procurer une rémunération alternative à des membres de la société.Il n'est pas contestable que les rémunérations des dirigeants d'entreprises sont des frais professionnels pour l'entreprise, de même que l'est aussi tout ce qui tombe sous la notion de " rémunération du dirigeant d'entreprise " tels que les avantages de toute nature (ATN) obtenus en raison ou à l'occasion de l'exercice de l'activité professionnelle.La Cour de cassation considère cependant que tous les frais déboursés par l'entreprise pour accorder des ATN à ses dirigeants ne sont pas forcément déductibles. Il faut que ces dépenses soient exposées en vue de " recueillir des revenus imposables ", ce qui implique qu'ils doivent constituer la contrepartie du travail réalisé par le dirigeant de l'entreprise.L'exemple le plus frappant de dépense mal acceptée par le fisc est celui de sociétés qui investissent dans un appartement à la côte belge qu'elles ne louent pas, mais affectent au bénéfice privé du dirigeant et de sa famille.Parti en croisade contre ces dépenses, le fisc a rejeté systématiquement l'amortissement du prix d'acquisition et la déduction des intérêts du crédit contracté pour acquérir ce genre d'immeubles. La jurisprudence lui donna d'ailleurs raison à plusieurs reprises, comme encore récemment devant la Cour d'appel d'Anvers dans un arrêt du 26 mars 2019, mais pas toujours, comme dans un arrêt de la Cour d'appel de Mons du 29 mai 2019 qui s'est montrée plus favorable au contribuable.Alors que certains praticiens de la fiscalité s'étaient plus ou moins résignés à conseiller à leurs clients de donner ces immeubles en location pour qu'ils produisent des revenus et soient bel et bien considérés comme des biens professionnels " acquis dans le but de procurer un revenu à la société " tel que l'exige l'article 49 du Code des impôts sur les revenus, la Cour d'appel de Gand est venue atténuer ces réserves pour donner un nouveau sens à ce but de lucre.La Cour de cassation a elle aussi rappelé le 21 juin 2019 que " la circonstance qu'il n'y ait pas de rapport entre une opération réalisée par une société et son activité sociale ou son objet statutaire n'exclut pas en tant que tel que les frais relatifs à de telles opérations puissent être qualifiés de frais professionnels déductibles ". La Cour précise donc qu'il n'est pas indispensable qu'il y ait un lien entre une dépense et l'objet social de la société pour qu'elle soit déductible.Forte de cette jurisprudence fluctuante, la Cour d'appel de Gand a jugé, dans un arrêt du 3 décembre 2019 concernant une société de médecins qui avait acquis deux appartements à la mer, que la déduction des frais ne pourrait être rejetée que dans l'hypothèse où la société ne serait qu'usufruitière du bien ou l'avait acquis dans le seul but de servir les intérêts personnels de son dirigeant.Derrière cette formulation alambiquée, la Cour insiste sur le fait que ce type d'opération ne peut être accepté par l'administration fiscale que si le résultat pour la société est négatif. En effet, une société poursuit une existence distincte de ses dirigeants et n'a pas pour vocation de s'appauvrir à leur bénéfice.La Cour d'appel de Gand fait ensuite le constat que l'acquisition de deux appartements à la mer en pleine propriété par une société correspond à des produits d'investissements intéressants et durables pour la société, et ceci, indépendamment de l'affectation qui est faite du bien.La Cour constate ensuite que le contribuable lui apporte la preuve que ces investissements sont rentables, puisqu'il démontre que la valeur d'un des deux immeubles a doublé depuis le moment de son acquisition.La Cour oppose cette formule d'acquisition à celle d'une situation où la propriété serait divisée entre la société usufruitière et le dirigeant nu-propriétaire de sorte que la plusvalue ne reviendrait pas à la société, mais à son dirigeant.La Cour constate donc que ces investissements immobiliers ont été faits " en vue d'acquérir des revenus imposables ", comme l'impose l'article 49 du Code des impôts sur les revenus décrit plus haut et qui règle la question de la déduction de frais professionnels. Elle précise également que la manière dont ces appartements sont utilisés importe peu, même s'ils sont exclusivement utilisés à des fins privées par le dirigeant de la société.Cette nouvelle jurisprudence apporte un peu de fraîcheur aux principes du droit fiscal et permet de se détacher de la " théorie de la rémunération " qui faisait tant débat. Elle précise qu'en cas d'investissement en pleine propriété, il n'est pas exclu de pouvoir acquérir des immeubles, même si ceux-ci sont occupés gratuitement, pour autant que la société puisse démontrer qu'elle réalisera une potentielle plus-value future.