Michel Meuris était sans doute loin de s'imaginer qu'un jour il s'y installerait quand, gamin, il courait dans les couloirs de la gendarmerie... où officiait son papa! "J'ai vécu en partie à la gendarmerie car mon papa était gendarme, donc j'avais envie de garder le bâtiment tel que je l'avais connu. Et ça a été admirablement fait", se réjouit le médecin spadois qui fête ses 40 ans de médecine cette année, un confrère que vous connaissez sans doute mieux sous sa casquette de président de l'Agef, l'Association des généralistes de l'est francophone de Belgique.
Un projet dantesque
Emblématique de l'avenue Reine Astrid, ce bâtiment, dont trois façades historiques ont pu être préservées lors de la rénovation, est connu des habitants de la ville d'eaux, mais aussi des milliers de fidèles des Francofolies (dont vous peut-être), le festival musical qui déroule ses multiples scènes à quelques encâblures en juillet.
" Le résultat des travaux est vraiment top. On va travailler dans un bâtiment remarquable par sa prestance, par sa rénovation dans le respect du patrimoine. C'est déjà une vitrine en soi ! ", s'enthousiasme le médecin. " Il s'en dégage une grande sérénité, il sera agréable d'y travailler. "
Il y a six ans et demi, le Dr Meuris est contacté par le commissaire - la police occupe l'ancienne gendarmerie depuis la réforme des polices. Le gradé lui confie ne savoir que faire du bâtiment des anciennes écuries... "Ah mais moi, j'ai une grande idée!", lance en boutade l'omnipraticien, bien loin de s'imaginer où il vient de mettre le petit orteil. À l'époque, il est fort sollicité par des paramédicaux qui aimeraient collaborer avec le Centre de médecine générale qu'il a fondé avec le Dr Berckmoes. Mais les locaux sont trop à l'étroit l'étroit, et impossible de pousser les murs... ...
"Au fur et à mesure, on s'est demandé si c'était faisable et l'idée a fait chemin. Avec, aussi, l'hôpital de Verviers, qui a des consultations en face et se trouvait lui aussi à l'étroit." Le projet a mûri, le chantier a démarré au printemps 2023 et il se termine aujourd'hui avec l'inauguration de l'Espace médical Meyerbeer, du nom de Giacomo Meyerbeer, compositeur allemand d'opéras au tournant des 18e et 19e siècles qui venait régulièrement 'prendre les eaux' à Spa.
Le bâtiment flambant neuf dispose de 30 cabinets médicaux, dont 12 seront occupés par le CHR de Verviers (il reste quelques possibilités de location, NdlR). Parmi l'offre de soins: centre de prélèvements, imagerie médicale, dermatologie, ORL, cardiologie et pneumologie. Non pas une ixième polyclinique de consultations comme on pourrait le croire au premier abord, mais bien un espace holistique où la seconde ligne se fond dans la philosophie des soins intégrés et adhère au contrat de 'responsabilité populationnelle', concept qui fait florès au Canada depuis une vingtaine d'années.
Un projet autofinancé
C'est sous la forme d'un leasing que les médecins ont pu obtenir un prêt bancaire pour soutenir leur projet (près de 5 millions d'euros), la location des cabinets médicaux (il en reste quelques-uns de libre) finançant le remboursement. Ils n'ont bénéficié d'aucune aide, pas même logistique, de la part d'acteurs de la Région comme Wallonie Santé. Le comptable, l'architecte, l'avocat et la coordinatrice du projet sont payés sur leurs propres deniers.
Une entreprise locale, à 20 km de Spa, a assuré le chantier. Le bâtiment (1.200m2), estampillé au Patrimoine mais non classé, est désormais totalement passif grâce à des pompes à chaleur et 71 panneaux photovoltaïques.
Un médécin généraliste toujours disponible
Pour mieux appréhender ce projet, il faut en revenir aux prémices, il y a presque 17 ans. " À l'époque, avec une majorité de médecins spadois, nous avons créé une permanence de médecine générale en semaine. C'était nouveau, ça n'existait pas ailleurs ", rembobine le Dr Meuris. "L'idée était de se relayer pour qu'il y ait toujours un généraliste disponible sans rendez-vous. Nous avions en effet de plus en plus de difficultés à intercaler des "semi-urgences" ou des patients de passage... Une ancienne polyclinique était à vendre, avec deux cabinets et une salle d'attente. Nous l'avons acquise. Nous étions sept, nous sommes désormais 13: l'ensemble des médecins de Spa participent à notre permanence!"
Le centre médical, situé à l'arrière du Casino de Spa, se fait rapidement connaître. Les médecins se répartissent les permanences de manière équitable, par demi-journée (9-14 h, 14-19h), soit à peu près 5 heures chacun, en fonctionnant à l'acte et en partageant les frais, notamment de secrétariat. Chaque généraliste dispose par ailleurs de son propre cabinet. " C'est le principe qu'on a voulu privilégier depuis toujours, et qui se poursuivra dans notre nouvel espace. Nous sommes conventionnés, nous pratiquons le tiers payant, mais nous ne désirions pas faire une maison médicale."
Parmi les patients de cette permanence, on trouve notamment des militaires du 12e de ligne présent à Spa, pour lesquels la Défense a signé une convention avec le centre médical, ainsi que des réfugiés de Fedasil et d'un centre d'accueil pour Ukrainiens.
Le patient au coeur et acteur de ses soins
Mais assurer une permanence ne suffit plus. Les soins de santé évoluent à une vitesse fulgurante, on ne fait plus de la médecine comme hier... Du haut de ses quatre décennies de médecine générale, Michel Meuris ne peut que constater l'évolution, et l'ampleur de la multidisciplinarité à assurer, tout en mettant le patient au centre de ses soins : " Il doit connaître son état et prendre ses responsabilités ", assure le généraliste. " Dans un second temps, nous est donc venue l'idée de développer un centre de santé intégrée. Et il y a tout juste un an, nous avons créé " l'Association de santé intégrée (ASI) de Spa et sources " pour développer davantage que des soins simples. "
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Difficile, quand on est en solo dans son cabinet, d'assurer des soins intégrés. Mais ô combien ceux-ci sont-ils pertinents si tous les généralistes, comme ici, participent à une politique de prévention, de promotion et d'éducation à la santé. Contacts ont ainsi été pris avec la Ville de Spa (qui compte un médecin comme échevin de la Santé, le Dr Kuo, mais aussi une échevine qui n'est autre qu'Alda Greoli, l'ex-ministre régionale de la Santé), avec le Plan de cohésion sociale et différents partenaires paramédicaux. Outre l'infirmière, la psychologue et une kiné, une assistante sociale a été engagée à mi-temps et une diététicienne, qui fait partie du Réseau local multidisciplinaire, collabore également.
"D'une simple 'permanence de soins' au départ, nous aboutissons aujourd'hui à une association beaucoup plus large, et dont les objectifs sont bien plus intéressants pour le patient", conclut le Dr Meuris. " Mon expérience personnelle, avec notre cercle de médecins généralistes, m'a montré que plus on met de personnes à un endroit déterminé pour qu'ils puissent se rencontrer, plus il y a de partage et d'émulation. "
L'aspect médico-social ne sera pas oublié à l'Espace Meyerbeer : Spa est la troisième ville la moins bien lotie de l'arrondissement après Verviers et Dison... Les patients auront par exemple l'opportunité de consulter une perruquière, les trajets de soins diabète et insuffisance rénale seront pris en charge, et des événements organisés comme des conférences d'éducation à la santé, par exemple sur la prise en charge rapide des troubles cognitifs débutants afin de dépister plus vite la maladie d'Alzheimer. " Je pense aussi à développer l'OST, en collaboration avec l'Ostef (Outbreak Support Team de l'Est francophone), avec ses préventions et recommandations pour les maisons de repos et en cas d'épidémie ", termine Michel Meuris qui, vous l'aurez compris, déborde encore d'idées.
Infos : www.espacesantemeyerbeer.be
Pénurie médicale: Spa ne connaît pas la crise
Si tous les généralistes spadois participent au projet, il faut par ailleurs souligner que Spa ne connaît pas de pénurie médicale - exceptionnel ! " Nous sommes la seule ville, dans notre région, à ne pas être en pénurie ", se félicite le Dr Meuris. " La dynamique introduite depuis 17 ans y est sans doute pour quelque chose : les jeunes médecins voient en nous une structure et une disponibilité partagées, cela les intéresse de s'installer sachant d'emblée qu'ils auront moins de contraintes et une qualité de vie. Et donc, nos assistants restent... "
Parmi les 13 généralistes spadois, deux sont âgés de plus de 60 ans, deux entre 50 et 60 ans et la majorité des autres ont moins de 40 ans. Aucun stress pour les années à venir. "Je crois que nous démontrons, par le fait d'avoir autant de jeunes, que nous faisons partie des solutions d'avenir, dans un bassin de vie comme le nôtre (le niveau " micro " de Proxisanté, NdlR), tout en proposant une alternative aux maisons médicales: garder son indépendance, mais mutualiser les efforts et les délégations d'actes, et parler d'une seule voix aux patients."
Et pour la garde de nuit ? Elle est organisée depuis Verviers et Stavelot, et le poste de garde de Spa va lui aussi prendre ses quartiers dans le nouvel Espace médical Meyerbeer. Un secrétariat assuré par la GEF (Garde de l'est francophone, dont le Dr Meuris assure la présidence) permet de combler les lacunes du 1733.