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Il y a quelques jours, les chaussons pointes de ballerines en tutu blanc ont inauguré, sur l'air du Lac des cygnes, la terrasse à ciel ouvert de l'unité de soins palliatifs de la Clinique de Hermalle du Groupe santé CHC... Surréaliste? La volonté, surtout, de "déshospitaliser le service", glisse son médecin chef, le Dr Ferdinand Herman. On revient de loin. Créée en 1998, l'unité de médecine palliative et soins continus emménageait, il y a un peu moins de dix ans, au 3e étage d'une nouvelle aile conçue spécialement pour l'héberger. Idéalement, l'espace aurait permis de doubler la capacité d'accueil, passant de six à douze lits pour espérer répondre à la demande: l'hôpital ne peut en effet accueillir qu'un patient pour trois requêtes de familles... Confrontée au moratoire sur les lits de soins palliatifs, la direction du CHC cherche alors une solution pour les 500 m2 encore disponibles en toiture. Claudio Abiuso, ex-directeur de la clinique et aujourd'hui directeur du développement stratégique du groupe, a l'idée d'un jardin suspendu, à 28 mètres de haut, avec vue panoramique. Un refuge perché, à la vue exceptionnelle, pour offrir aux patients en fin de vie d'ultimes instants d'évasion. Près d'une septantaine de sponsors et mécènes plus tard (et le temps de la crise sanitaire), ce jardin unique en son genre peut aujourd'hui accueillir ses premiers hôtes. "Ce jardin, accessible 24 heures sur 24, en milieu ouvert, auquel on peut accéder avec le lit de sa chambre si besoin, est un projet de soins en soi: le soin ne consiste pas qu'à donner un antidouleur et faire une toilette", souligne le Dr Herman. "Le jardin est aussi conçu pour les familles qui, dans les derniers moments de vie, restent ici parfois jour et nuit avec la peur de quitter la chambre de leur proche. Elles pourront sortir prendre l'air sans crainte, pour souffler un peu." Rien n'a été laissé au hasard sur la plateforme qui abrite aussi le chemin d'évacuation de l'hôpital, et dont les escaliers de secours ont été intégrés au jardin - escaliers qui permettent désormais d'accueillir des animaux de compagnie, ce qui aurait été impensable via les ascenseurs internes de l'hôpital. Le volume est partagé en dix ambiances différentes, reliées par des chemins équipés de bandeaux lumineux. Des diffuseurs sonores s'adaptent aux envies des patients et des visiteurs. Sur la cheminée, une phrase du poète persan Saadi: "Un jardin est un enchantement pour les yeux et une consolation pour l'âme." Un jardin où l'on peut respirer et sentir. Écouter la fontaine ou cheminer pieds nus sur différentes matières. Où l'on peut mettre les mains dans la terre du potager ou les pieds dans le sable de 'la plage'. Un espace pédagogique "street art" a également été imaginé, qui accueille "des dessins et oeuvres réalisés par les enfants des écoles voisines, qui peuvent venir pour des classes de réflexion sur la fin de vie", précise Nicolas Desmyter, directeur de la Clinique de Hermalle. Le projet relevait de la gageure, techniquement: le jardin surplombant le bloc opératoire, il a fallu assurer une étanchéité parfaite. Par ailleurs, des garde-corps transparents de 2 mètres de haut assurent la sécurité des résidents et une protection contre les vents des rives de la Meuse et du Canal Albert, sans entraver le paysage à perte de vue, à quelques encâblures de la frontière hollandaise. On ne s'étonnera donc pas du coût: près d'un demi-million d'euros. Dépense non financée par les autorités mais supportée jusqu'ici (le parrainage reste ouvert) par 67 donateurs, des entreprises comme des familles. Parmi les mécènes, la production du film "Sage Femme" avec Catherine Deneuve et Catherine Frot, tourné dans les anciennes cliniques Sainte-Elisabeth et Saint-Vincent du CHC, désormais regroupées au MontLégia. Ces donateurs sont symboliquement représentés par les feuilles d'un arbre d'acier qui chantent sous l'effet de la brise, dans ce jardin de vie toute en légèreté et sérénité même quand l'heure se fait grave.