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Nous sommes le 17 juin, 15h15. L'euthanasie de l'oncle de Jasmine Nguyen s'est déroulée sans encombre, selon ses dernières volontés. Malgré tout, lorsque le Dr Nguyen rentre chez elle, la police l'attend. Plus tard dans la soirée, le Dr Laurent Carlier est à son tour interpellé par la police. Ils sont suspectés d'assassinat.Si l'on se penche sur le cas de l'euthanasie, celui-ci est relativement simple : il s'agit d'un patient somatique atteint d'une maladie incurable qui désire l'euthanasie. Le dossier n'a d'ailleurs pas posé problème au niveau de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de la loi relative à l'euthanasie. " La seule erreur que nous avons commise est de prévenir la fille du patient, contre sa volonté ", admet Laurent Carlier.Le Comité d'éthique du CHR de Namur (CEM) conforte le Dr Carlier dans sa décision de poursuivre la procédure d'euthanasie. Une décision qui " ne semble pas poser de problème éthique ". Le CEM s'est ensuite positionné sur le volet juridique de l'affaire, qui se divise en deux : le civil (le non-respect d'une ordonnance) et le pénal (assassinat).Sur ce dernier point, le CEM se réfère à la loi. " Dès lors qu'un patient est capable d'exprimer sa volonté, les proches ne peuvent s'opposer à l'euthanasie aussi bien au sens de la loi relative à l'euthanasie, qu'au sens de la loi relative aux droits du patient. " Cet avis est renforcé par le parquet lui-même. " À ce stade - il ne restait que deux auditions au dossier, ndlr -, on ne se dirigeait pas vers d'inculpation, et donc pas d'assassinat ", confirmait début janvier Charlotte Fosseur, magistrate de presse au parquet de Namur. On se dirigerait donc vers un non-lieu.Au niveau civil, la tierce-opposition à l'ordonnance a été plaidée en septembre 2019. Sans débat contradictoire. Et devant le même président du tribunal de 1ère instance de Liège qui avait émis la requête unilatérale. " Nous avons été déboutés ", explique Laurent Carlier. " La tierce-opposition a été jugée sans objet, puisque l'un des deux requérants - le patient - était décédé entre temps. " Le Dr Carlier a décidé de faire appel de cette décision." Si l'appel ne réussit pas à résoudre ce problème, cela créera un climat d'insécurité monstrueux dans la pratique de l'euthanasie, et dans la pratique de tout acte médical où peut s'immiscer une tierce personne ", craint le Dr Nguyen." Le Dr Carlier n'a pas respecté l'ordonnance, mais cela est justifié. Il y avait urgence. Une urgence médicale et, surtout, morale ", estime le Dr Jean-Philippe Hermanne, oncologue au CHR qui a rendu un avis positif quant à l'euthanasie du patient. " Certains médecins ne l'auraient pas fait pour deux raisons : il n'y avait pas d'accord unanime dans la famille, et ils auraient eu peur de l'ordonnance. Le Dr Carlier, quant à lui, a respecté sa promesse envers le patient, qui a tout de même vu la date de son euthanasie reportée à maintes reprises. L'autorisation d'une euthanasie, ce n'est pas un juge qui la donne. C'est le patient. "" Au sens de la loi du 28 mai 2002, si les conditions légales sont respectées - ce qui semble être le cas en l'espèce -, le médecin avait le droit de pratiquer, à la demande du patient, l'euthanasie. Aucune autre condition n'est légalement imposée ", ajoute le CEM. " Éthiquement, dès lors que le patient est dans les conditions pour recevoir l'euthanasie, il nous semble essentiel de pouvoir rencontrer sa demande dans le délai qui avait été initialement convenu entre les équipes soignantes et le patient sans souffrir d'un report de ce délai pour une durée indéterminée. En effet, la mise en route d'une expertise telle que demandé dans le cadre de l'ordonnance aurait reporté les soins prévus non pas dans le délai prévu par le juge, mais pour un délai bien plus long, ce qui n'est pas acceptable dans le cadre d'une prise en charge de soins. "" Cela ouvre la porte à la négation du droit d'un patient à demander l'euthanasie et à son médecin traitant d'accepter de pratiquer ce geste ", indique pour sa part Jacqueline Herremans, avocate spécialiste de l'euthanasie, consultée dans ce dossier. " Ceci constituerait un précédent fâcheux qui compromettrait une application sereine de la loi relative à l'euthanasie. Sans caricaturer du tout le propos, la conséquence qui pourrait en découler serait que demain, un médecin saisi d'une demande d'euthanasie se sentirait obligé de recueillir le 'consentement' de tout proche (pourquoi s'arrêter en effet aux enfants ? ) avant de respecter la demande d'un patient qui répondrait à toutes les conditions posées par la loi. Ceci va à l'encontre de la philosophie de la loi relative à l'euthanasie. Le choix posé par le législateur était d'éviter la tribunalisation de la demande d'euthanasie. "