Le Conseil national de l'Ordre est régulièrement interrogé sur la question. Au-delà de l'autodiagnostic, le médecin peut-il se prescrire des médicaments, se rédiger des certificats médicaux? Par cet avis du 20 janvier 2024, l'Ordre vient rappeler aux plus créatifs d'entre les médecins le bon sens et la déontologie.
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Selon l'article 10 du nouveau Code de déontologie médicale, "les médecins doivent être attentifs à leurs besoins et prendre soin d'eux-mêmes". Si la précision est récente, l'intérêt pour ce sujet l'est moins (l'Ordre des médecins rend des avis en la matière depuis 2010). Devoir prendre soin de soi-même implique-t-il pour autant que les médecins peuvent poser des actes de soins sur eux-mêmes? Absolument pas, d'après l'Ordre, qui clarifie les nuances: "Prendre soin de soi, c'est être attentif à son bien-être et préserver sa propre santé, y compris par un style de vie sain. Cela évoque une dimension positive, qui n'a rien à voir avec le fait d'effectuer une prestation de soins sur soi-même ou de pratiquer l'autotraitement, bien au contraire. Un médecin qui prend soin de lui accepte de se laisser soigner par un confrère quand c'est nécessaire."S'il n'est pas légalement interdit aux médecins d'effectuer une prestation de soins sur eux-mêmes, la déontologie déconseille cette pratique, en raison du manque d'objectivité et de professionnalisme qui lui sont indissociables. C'est pourquoi le Conseil national recommande à chaque médecin de ne pas y recourir et d'avoir son propre médecin traitant. Dans le monde entier, les médecins considèrent normal de se prescrire des médicaments. Notre pays ne fait pas figure d'exception. L'Ordre des médecins, lui aussi, avait déjà répondu à plusieurs reprises de manière positive à la question de savoir si un médecin peut se rédiger des prescriptions lui-même. Il considère que ses connaissances médicales peuvent objectivement lui permettre, dans certaines circonstances, d'apprécier sa situation médicale et de se prescrire des médicaments. Cependant, dans des études internationales et par l'analyse des demandes d'aides dans le cadre du parcours de "Médecins en difficulté", on observe que la prévalence de l'abus de médicaments sur prescription chez les médecins est plus élevée que dans le reste de la population. Plusieurs facteurs sont à l'origine de ce phénomène, notamment la facilité de l'accès aux ressources, un environnement professionnel stressant et de longues heures de travail. En raison de la pudeur, de la stigmatisation et de la tendance à minimiser les symptômes qui y sont liés, l'identification de la problématique est particulièrement difficile. Les organismes de réglementation de plusieurs pays ont donc introduit des lignes directrices allant de l'interdiction totale de l'autoprescription au rappel de la nécessité de consulter un confrère. Certaines catégories de médicaments inquiètent particulièrement en Belgique, c'est pourquoi le Conseil national considère qu'il est déontologiquement inadmissible que des médecins s'autoprescrivent, pour un usage chronique, des substances pouvant créer une dépendance, telles que des somnifères et anxiolytiques, des produits psychopharmaceutiques (antidépresseurs, antipsychotiques,...), des sédatifs, des antalgiques (opiacés) et des stimulants. "Compte tenu du risque important de dépendance, il est essentiel que la prescription de ces médicaments soit contrôlée par un confrère qui possède l'objectivité et le professionnalisme nécessaires pour apprécier en connaissance de cause la prescription du médicament."En raison de l'éventualité d'un conflit d'intérêts, il est extrêmement difficile, et même généralement impossible, qu'un médecin se délivre lui-même un certificat d'incapacité de travail. En effet, le contrôle médical prévu par la loi, pour lequel le médecin contrôleur est susceptible de prendre contact avec le médecin traitant du patient, est inopérant si le médecin traitant et le patient sont une même personne. "Pour ces raisons, le Conseil national est d'avis qu'un employeur peut demander à un médecin de faire attester son incapacité de travail par un autre médecin", annonce le Conseil de l'Ordre. "En outre, nous estimons également qu'un médecin qui ne peut pas participer à la permanence pour des raisons médicales doit le cas échéant obtenir une attestation rédigée par un confrère. En tout état de cause, le médecin doit prendre sa décision en âme et conscience. Un certain nombre de points d'attention doivent être pris en compte, tels que la nature de l'affection et la compétence spécifique du médecin à l'égard de cette affection."Non des moindres, l'Ordre profite de cet avis pour insister sur cette précision: "Il est déontologiquement inacceptable qu'un médecin obtienne une indemnité de l'Inami pour un avis ou une consultation qu'il s'est prodigué à lui-même." Il estime que, dans le cadre de l'Inami, "l'auto-prescription ou l'autocertification ne justifient pas qu'une attestation d'avis ou d'une consultation soit portée en compte de l'assurance soins de santé, même si la législation ne l'exclut pas". Si l'Ordre a pris la peine de répondre cette question, c'est probablement parce que certains praticiens ont cherché des façons d'exprimer leur créativité débordante, non à leur désavantage. L'avis envisage encore une dernière catégorie d'actes, celle des missions non curatives du médecin. On pense au fait de remplir des documents médicaux pour une institution d'assurance, délivrer une attestation concernant la capacité de volonté d'un patient, délivrer un certificat attestant que le demandeur est capable de manipuler une arme sans danger pour lui-même ou pour autrui, établir un certificat médical complet dans le cadre d'une mesure de protection judiciaire, etc. La médecine de contrôle, la médecine du travail, la médecine légale et la médecine d'assurance sont des exemples typiques de missions non curatives. "Ces missions sont des missions d'expertise pour lesquelles le médecin qui les effectue doit respecter les principes déontologiques d'indépendance, d'impartialité et d'objectivité. Par conséquent, ces missions ne peuvent pas être réalisées par le médecin pour lui-même", tranche le Conseil national de l'Ordre des médecins.