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"A ma connaissance, on ne fait cela nulle part ailleurs en Communauté française." Le Dr Florence Hut, directrice médicale du Centre hospitalier de Wallonie picarde, n'est pas peu fière d'avoir su trouver une solution originale à une situation particulière. Et d'avoir créé une section spéciale Covid-19, donc avec toutes les précautions supplémentaires nécessaires, mais où sont accueillis les patients "guéris", qu'ils aient été intubés ou non. Trois chambres accueillent tapis de marche et vélo électriques adaptés pour la rééducation des jambes ou des bras, mais aussi des barres parallèles, qui réenseignent la marche et les gestes de base. " J'étais comme un bébé, je devais tout réapprendre, je ne savais plus marcher du tout". Michel Renard, 52 ans, était sportif avant d'être frappé par le virus. "Je me suis réveillé un jour courbaturé, avec un début de sinusite. Tout a changé en deux heures. à midi, j'avais 39 de fièvre. Le soir, j'étais intubé. Je me suis réveillé deux semaines plus tard. Enfin, c'est ce qu'on m'a raconté, car ma mémoire fait encore souvent défaut". Dans une heure, Michel quitte l'hôpital, heureux de revoir femme et fils, qu'il n'a plus vus depuis des semaines. Il pourra continuer à faire ses exercices à la maison, mais sera suivi attentivement par les équipes de l'hôpital. " Nous avons mis au point un protocole qui prévoit un contact téléphonique aux jours J+2 et J+7, afin de vérifier si le patient a des problèmes de voix ou de déglutition, ce qui peut déboucher sur l'aide d'un logopède. Même chose pour les difficultés d'ordre psychologiques ou la perte de poids ou d'appétit. La canule imposée durant de longues journées peut en effet entraîner des soucis de déglutition, certains réflexes sont perdus. Psy, diététicien, kiné, ergothérapeute peuvent ainsi parer à tout souci qui concerne leur domaine d'expertise. L'idée n'est pas de s'imposer. Si les patients trouvent d'autres solutions par eux-mêmes, c'est très bien. Mais nous ne les laisserons tomber en aucun cas. Parfois, un simple escalier devient une épreuve insurmontable", explique le Dr Hut. " Au réveil, j'étais ligoté, seul, dans une chambre blanche, avec un tuyau dans la gorge. Bien sûr, il valait mieux être attaché, car j'aurais sans doute tout arraché sans me rendre compte, mais c'était un moment terrible. On pense qu'on est mort, qu'on est dans un entre deux, qu'on glisse au fond. En fait, autour de nous, plein de gens luttent pour vous tenir en vie, c'est merveilleux et je ne pourrai jamais les remercier assez pour ce qu'ils ont fait. Mais le réveil, c'est terrible. On n'oublie pas ce moment", explique Michel Renard. Aujourd'hui, monter un escalier demeure une épreuve . "Moi qui n'étais jamais malade, je dois tout réapprendre. J'ai perdu dix kilos et beaucoup de muscles. Je n'ai plus de force dans les épaules". Après 12 jours, Michel a été testé négatif au Covid-19, ce qui permet sa sortie. Mais d'autres patients resteront contagieux jusqu'à une quarantaine de jours. " Ils pourront donc choisir de bénéficier du programme de revalidation à l'hôpital. Tout dépend de ce qui est possible de faire à la maison", explique Florence Hut. Avec deux membres de la famille qui sont soignants, Michel bénéficiera d'un soutien adapté... et de la chaleur du foyer. " Au début, nous utilisons des vélos motorisés, car les patients sont incapables de faire le mouvement de pédaler, il faut qu'un moteur les entraîne pour qu'ils retrouvent la manière de faire le geste. Le corps est vraiment très impacté par les semaines d'immobilité complète, malgré les interventions des kinés au long du traitement. Beaucoup de ces patients guéris du virus affichent des comorbidités, comme des problèmes de coagulation qui peuvent entraîner un AVC ou une embolie pulmonaire. Ils ont donc besoin d'être suivis attentivement par les intensivistes, mais peuvent être néanmoins remobilisés sans attendre. Ces mouvements sont d'ailleurs bénéfiques dans l'évolution de leur état de santé global. Il faut être vigilant car des problèmes cardiaques ou respiratoires peuvent reflamber quand on commence la revalidation. Et puis ce sont des patients très angoissés, vu l'intrusion majeure des soins qu'ils ont reçus", explique le Dr Amandine Poulain, chef du service de médecine physique et de réadaptation. "Ce programme agit donc comme un pare-feu qui les protège mieux d'éventuelles complications post-traitement. Nous avons certes l'habitude de ce type de protocole pour les autres maladies. Mais, évidemment, avec le Covid-19, tout était neuf et on en apprend tous les jours sur le virus et ses conséquences." Parfois les patients doivent lutter pied à pied pour pouvoir à nouveau se laver seul, s'habiller, se nourrir. Des objectifs qui aboutissent à une meilleure autonomie. " Le tapis roulant, c'est vraiment la dernière étape possible, car il impressionne toujours, les patients ont peur d'être entraîné en arrière et de tomber."Les équipes en charge de ce nouveau programme sont toutes volontaires. Car il a fallu pour cela que des soignants qui oeuvraient dans des sections "non Covid-19" acceptent de se plonger dans le monde stressant du Covid-19, avec toutes les contraintes spécifiques de protection... et la peur supplémentaire de ramener le virus à la maison. " Je ne peux que me féliciter de l'enthousiasme de tous, grâce auquel nous avons monté ce programme spécial en à peine trois jours", explique Florence Hut. " Nous avons profité de la situation particulière du Chwapi qui est née de la fusion de plusieurs établissements et qui possèdent donc plusieurs bâtiments proches mais suffisamment distants pour être qualifiés " avec" ou " sans Covid-19." Les équipes de revalidation oeuvraient donc dans des locaux éloignés du Covid-19. "Mais ceux qui aident nos patients dans ce programme doivent donc venir exercer dans les unités Covid-19. Je suis touchée par leur générosité." " Il y a eu une vraie synergie d'emblée entre équipes de revalidation et les intensivistes, alors que d'ordinaire nous travaillons peu conjointement. Au moins le virus aura-t-il provoqué des rapprochements et des enrichissements nouveaux. Même dans des catastrophes, il faut essayer d'en tirer le meilleur", explique le Dr Amandine Poulain. Le Dr Florence Hut, elle, n'est pas peu fière d'avoir innové, transformant un inconvénient (des locaux séparés) en opportunité, ce qui a permis de continuer à faire tourner un hôpital non-Covid-19 à côté des structures consacrées à la pandémie. " Depuis le début, on a toujours voulu avoir un coup d'avance, observer ce qui arrivait ailleurs pour être prêt quand la vague arrive. Dès le 28 février, on avait un poste de dépistage extérieur alors qu'il n'y avait pas encore eu un deuxième cas de Covid-19 identifié en Belgique. On vient d'ouvrir une cinquième unité Covid-19 parce que le nombre de patients continue à augmenter chez nous, alors qu'il diminue dans le reste du Hainaut. Il y a un mois, c'était l'inverse. Le fait que nous reconstruisions partiellement l'hôpital nous a aussi permis de mobiliser des chambres récemment fermées et qui étaient encore mobilisables rapidement. Nous utilisons aussi beaucoup le scanner des poumons pour confirmer la PCR, ce qui nous a permis d'isoler nos deux filières avec sûreté." Une recette picarde spéciale ? En tout cas, le Chwapi n'a déploré que 12 décès sur 47 patients intubés, un meilleur ratio que les chiffres nationaux. " C'est ce qui nous a poussés à innover, car ces survivants ont droit à une prise en charge spécifique et nous devons les aider au mieux et au plus vite à retrouver leur vie familiale, sociale et professionnelle sans séquelle."