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C'est devenu un problème de santé publique majeur. De manière inquiétante, les bactéries, qui se sont habituées aux antibiotiques, y sont de plus en plus résistantes et certaines études montrent que d'ici 2050, si les antibiotiques n'évoluent pas, elles pourraient à nouveau tuer plus que le cancer et faire vaciller la médecine. Par ailleurs, le Covid-19 n'a fait qu'aggraver la situation. Les nombreuses hospitalisations de patients fragilisés par la maladie ont entraîné une recrudescence des infections bactériennes, qui semblent avoir profité de la pandémie pour gagner du terrain. Consciente de l'urgence de trouver des parades pour affronter les bactéries à l'avenir, bien déterminée à mieux les connaître, à comprendre leur fonctionnement et à décrypter leurs mécanismes, une équipe de l'Institut de Duve, à l'UCLouvain, vient de faire une trouvaille très importante qui offre de belles perspectives. " Tout est parti d'une observation intrigante faite par Jessica El Rayes, une doctorante venue du Liban il y a environ cinq ans," commente le Pr Jean-François Collet, qui dirige cette équipe et qui est aussi investigateur WELBIO. " C'est au niveau des lipoprotéines que cela se passe." " Pour combattre efficacement son ennemi, il faut connaître ses points forts et ses points faibles, comprendre comment il fourbit ses armes", poursuit Jean-François Collet . "Il faut savoir que les bactéries se protègent des envahisseurs, en l'occurrence ici les antibiotiques, grâce à une ou deux membranes, que l'on pourrait comparer à des murs d'enceinte. De plus, ces membranes sont composées de protéines dont chacune possède une structure propre qui détermine sa fonction. Dans le rempart extérieur, on trouve notamment des lipoprotéines, soit des protéines accrochées au mur via une ancre lipidique. Les lipoprotéines participent à la construction du mur, à son entretien et à sa défense, permettant ainsi à la bactérie de vivre et de conquérir." " Jessica, qui va défendre sa thèse dans quelques semaines et qui vient d'être engagée par Syngulon, une société wallonne productrice de peptides ayant une activité antibactérienne, avait observé qu'entre la partie active de la lipoprotéine et la partie lipidique, se trouve une séquence sans structure ressemblant à un spaghetti cuit, tout mou, et capable d'adopter la forme qu'elle veut." Curieusement ignorées jusqu'ici par la recherche, ces séquences déstructurées sont pourtant présentes dans de nombreuses bactéries telles que E.coli, isolée depuis 1885, dont certaines souches peuvent provoquer une intoxication alimentaire grave, ou Borrelia, responsable de la maladie de Lyme. Afin de déterminer son rôle dans la vie des bactéries, l'équipe du Pr Collet a dès lors décidé d'investiguer ce segment mou. " La moitié des lipoprotéines d'E-coli, qui en compte une centaine, ont cette espèce de spaghetti déstructuré à leur extrémité. Nous avons alors procédé à des modifications du génome de la bactérie afin d'impacter le segment. Nous avons aussi enlevé le segment et nous l'avons remplacé par un spirelli, une hélice plus ou moins longue. Quand on a fait ça, on a constaté que ça affaiblissait la bactérie, parce que les lipoprotéines n'arrivaient plus à leur destination finale. Et on a aussi remarqué que plus on raccourcissait le segment, plus la lipoprotéine restait dans la membrane et n'était pas acheminée sur le mur d'enceinte." En clair, les scientifiques de l'UCLouvain ont démontré le rôle essentiel des séquences désordonnées pour le fonctionnement de la bactérie: sans elle les lipoprotéines ne parviennent plus à arriver sur le mur de l'enceinte extérieure, ce qui fragilise la bactérie. Outre qu'elle met en évidence le fait qu'il existe encore de nombreuses régions à explorer au sein des protéines, cette découverte offre des perspectives à long terme dans le développement de nouveaux antibiotiques plus efficaces. " Dans le contexte actuel de la résistance des bactéries aux antibiotiques et de la résurgence des infections bactériennes, c'est un pas supplémentaire important", se réjouit Jean-François Collet . "On peut imaginer des stratégies pour identifier des molécules qui viendraient perturber ces séquences de manière à empêcher la protéine d'arriver à destination. " " Reste à déterminer si les lipoprotéines se trouvent à l'intérieur ou accrochées à l'extérieur du mur d'enceinte. Si c'est à l'extérieur, cela peut être un avantage pour le développement d'un vaccin ou d'un nouveau traitement antibiotique. En effet, le fait qu'elles soient exposées à la surface de la bactérie signifie qu'elles peuvent servir de points de reconnaissance pour le système immunitaire et qu'une molécule n'aura pas à traverser la membrane. Cela fait un obstacle en moins..."