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Le journal du Médecin: Vous vous êtes déclaré en faveur de la vaccination obligatoire du personnel soignant. On pourrait qualifier cette position de courageuse car dans beaucoup d'hôpitaux, le personnel soignant est très partagé... Quelles sont les raisons principales pour lesquelles vous vous positionnez en ce sens? Philippe Devos: Simplement parce que le conseil d'administration a voté et qu'une écrasante majorité y était favorable... Plus sérieusement, dans certains services (réa, gériatrie, ...), il ne nous paraît pas compréhensible de ne pas chercher à protéger ses patients. C'est "primum non nocere". Pour tous les gens de plus de 20 ans (soit le personnel soignant), la balance bénéfice-risque de la vaccination n'est plus discutable. Vacciner amènera deux choses positives: Réduire la transmission aux patients. Quoi qu'en disent les antivax, des publications montrent (encore pas plus tard que la semaine dernière) une réduction de transmission chez les vaccinés avec le variant delta. Certes moindre qu'avec l'alpha mais encore présente. Le vaccin ne garantit certes pas le risque zéro. Pas plus que le vaccin contre l'hépatite B. Et pas davantage que toutes les mesures anti-MRSA. Ou même... la ceinture de sécurité. Est-ce pour cela qu'on doit rendre la ceinture de sécurité non obligatoire? A l'Absym, nous ne le pensons pas. Réduire l'absentéisme pour maladie. Le vaccin réduit de plus de 60% les chances d'être modérément malade et de plus de 90% les chances d'être hospitalisé. Quand risque t-on de tomber malade du Covid? Au moment où le virus circule le plus, soit en plein pic épidémique. Il faut rappeler qu'en novembre dernier, certains services de soins intensifs ont été amputés de 20% de leur personnel (malade modéré principalement du Covid) en plein pic épidémique période pendant laquelle on aurait eu bien besoin de toutes les mains. Est-ce que quelqu'un est prêt à déclarer que son projet professionnel est de choisir une option lui permettant d'augmenter ses chances d'absentéisme en plein tumulte? Par ailleurs, un sondage récent auprès des médecins belges a montré que 85% des confrères étaient favorables à la vaccination obligatoire des soignants. Être syndicat, c'est avant tout écouter sa base. Et quand une majorité aussi écrasante s'exprime, il semble logique de la suivre. A quoi cette résistance aux vaccins est-elle due à votre avis dans le milieu hospitalier que vous côtoyez? C'est l'endroit où la rationalité scientifique devrait prévaloir. Comprenez-vous ces résistances? Ce n'est plus rationnel: c'est émotionnel. Les soignants sont très empathiques et donc sont à risque de basculer dans l'émotionnel. Par ailleurs, les réseaux sociaux sont très nuisibles et de nombreux "posts" mélangent habillement vérité et mensonges pour mener les gens vers de mauvaises conclusions en renforçant en plus leurs biais de confirmation. Les pro-vax n'aident pas non plus car ils jouent le même jeu que les antivax: chacun exagère la réalité dans son sens. Le pauvre type au milieu ne sait plus à qui se fier dans ces conditions. Après l'histoire de la pénurie des masques et tous les mensonges de Mme De Block, beaucoup ont perdu confiance dans les instances officielles comme Sciensano. Il faut alors systématiquement retourner dans les articles scientifiques peer-reviewed d'origine pour trouver le factuel. Cela prend beaucoup de temps et c'est en anglais. Deux raisons qui font que l'accès reste difficile. Je comprends donc ces résistances et que dans ce climat de méfiance, la seule cartouche qui reste au ministre est l'obligation. Quelle est la situation générale et l'ambiance à ce sujet dans votre hôpital du Mont-Légia? Le personnel est massivement vacciné à Mont-Légia. Il reste des "poches" où des équipes sont moins vaccinées que d'autres. Le bouche à oreille participe à la décision: nous sommes tous des moutons mais nous n'avons pas tous le même berger... Il y a des troupeaux vaccinés et des troupeaux non vaccinés et chacun pense qu'il ne fait pas partie d'un troupeau (rire). Faudrait-il selon vous faire une différence entre, disons, les médecins et soignants travaillant en pédiatrie (sans risque ou presque) et en gériatrie ou dans les MRS? Alors, oui, ce serait du bon sens. Pareil pour mes confrères qui ne travaillent jamais au chevet des malades comme l'anapath, les gens des labos, etc. Mais j'imagine bien que cela nécessite une complexe granularité dans la loi et que le ministre répondra que la faisabilité est difficile. Par ailleurs, en plein pic de coronavirus, on a eu besoin de tout le monde: dans mon hôpital, des sages-femmes sont allées aider en gériatrie ... Devrait-on aller jusqu'à sanctionner ceux qui refusent la vaccination? Et si oui, selon quelles modalités? Là est toute la problématique... Si on crée une obligation sans sanction, il n'y a en pratique pas d'obligation. Si la sanction est comme en France le licenciement, cela ne résout pas mon problème de bras dans les hôpitaux. Il y a aussi la sanction financière bien évidement. J'ignore ce que le ministre va choisir. De ce que j'ai compris, je sais juste qu'il va le faire. N'y a-t-il pas un "risque" d'escalade ; que, de fil en aiguille, on exige la vaccination pour toute une série de métiers de contacts, des enseignants aux restaurateurs en passant par la poste, etc.? Demandez aux syndicats de ces professions... (clin d'oeil). Notre métier est le plus essentiel de tous lorsqu'on entre dans un pic épidémique: Nous devons mettre tous les moyens en oeuvre pour ne pas tomber malade. Les gens qu'on prend en charge sont aussi les plus fragiles. C'est donc logique qu'on soit les premiers à subir l'obligation: plus que quiconque, nous avons le devoir de protéger notre entourage professionnel. Car ce ne sont pas des clients mais des patients. Le reste, c'est de la politique. Au contraire, ne vaudrait-il pas mieux, plutôt que faire, petit à petit, des non-vaccinés des parias, voter la vaccination obligatoire pour tous étant donné la priorité nationale qui est de sortir au plus vite et définitivement de cette horrible pandémie? Alors qu'on soit clair. A priori, à l'Absym, nous sommes contre toute obligation en médecine. Nous pensons que chaque obligation nous fait entrer dans une médecine paternaliste. Or la médecine moderne a justement l'obligation de tout faire pour sortir du paternalisme. Le patient doit rester un partenaire, actif et motivé à améliorer sa santé. Le rendre passif en l'obligeant n'aidera pas à avancer dans ce cadre. Si on devait prendre des mesures "obligatoires", il y a d'autres mesures que l'État pourrait prendre qui aurait un bénéfice en santé publique largement plus grand: je pense aux problématiques du tabac, de l'alcool, du sédentarisme, etc.