Les vaccins sont parfois obligatoires: contre la polio pour les nouveaux-nés, contre la fièvre jaune pour les voyageurs en partance pour certains pays, contre l'hépatite B pour les prestataires de soins. Mais est-il juridiquement envisageable pour un gouvernement d'instaurer l'obligation vaccinale contre le Covid-19 ou pour une institution de soins de demander la preuve de vaccination à ses prestataires de soins?
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Une campagne de vaccination ne peut être qualifiée d'efficace que si l'immunité de groupe est suffisante. S'il s'avère qu'un pays n'est pas parvenu à vacciner 70 à 80% de sa population, en dépit des conseils, avis et autres campagnes de vaccination, le vaccin contre le Covid-19 peut-il être rendu obligatoire? D'un côté, le gouvernement doit, coûte que coûte, respecter l'intégrité physique et la vie privée du citoyen (art. 3 et art. 8 de la CEDH). De l'autre, cette autorité se doit de protéger et de promouvoir la santé publique (Conseil de la Santé néerlandais, avis 2021/3, p. 12). Les pouvoirs publics ne peuvent concilier ces deux responsabilités que s'ils peuvent montrer que l'obligation vaccinale dans le but collectif de protéger la santé publique contrebalance l'atteinte aux droits fondamentaux et aux intérêts individuels. Le vaccin obligatoire contre la polio, qui a permis d'éradiquer presque entièrement la maladie, n'avait pas été jugé, à l'époque, contraire à l' art. 8 de la CEDH par la Cour de Cassation. Au delà de cette base juridique, il existait un objectif légitime (la protection de la santé publique) et une mesure nécessaire répondant, de manière proportionnée, à l'objectif légitime de protection de la santé publique (Cass., 18 décembre 2013). Dans le cas du coronavirus, il n'existe encore aucune preuve que la vaccination permettrait d'éradiquer le virus. Pour mettre en place une obligation vaccinale, il faudra, outre la base légale, montrer qu'il s'agit là d'une mesure nécessaire et proportionnée. De surcroît, tout dépendra de la réponse à la question de la durée de protection après vaccination. Qui plus est, le virus se transmettra-t-il une fois vacciné et l'objectif visé ne peut-il être atteint par des mesures moins extrêmes? Jusqu'à présent, les États membres n'ont pas choisi la voie de l'obligation vaccinale. Seule la région espagnole de la Galice a décidé d'imposer le vaccin contre le Covid-19 à partir du 24 février 2021. Le Comité consultatif de Bioéthique de Belgique ne disqualifie pas d'entrée de jeu l'obligation vaccinale contre le Covid-19, mais rappelle le cadre stricte qui doit l'entourer. Parmi les conditions requises, la vaccination doit être absolument nécessaire pour la protection de ceux ou celles qui ne peuvent être vaccinées. Il faut que des mesures moins poussées se soient avérées infructueuses et que la nature de l'obligation et les moyens mis en oeuvre pour l'imposer soient proportionnés au but visé (Comité consultatif de Bioéthique, avis 75, p. 13). De plus, le Comité consultatif plaide également pour une indemnisation adaptée dans les cas rares où la vaccination donnerait lieu à de graves effets secondaires (avis n°64, p. 43). Une institution de soins entend offrir un environnement sûr, tant pour ses prestataires de soins que pour ses patients. Cette considération en tête, la question se pose de savoir si l'institution en question peut exiger une preuve de vaccination de ses prestataires de soins, dans le cas où le gouvernement n'a pas lui-même imposé le vaccin contre le Covid-19. Dans un rapport du 4 février 2021, le Conseil de santé néerlandais rappelle à juste titre que l'institution qui exigera une preuve de vaccination de son prestataire de soins devra, quoi qu'il en soit, agir dans le respect de l'intégrité physique et de la vie privée du dit prestataire, de la législation anti-discrimination et de la loi sur le traitement des données personnelles. L'institution devra montrer que l'obligation de présenter une preuve de vaccin sert un objectif justifié, est nécessaire pour atteindre cet objectif et est proportionnée. L'institution devra donc démontrer que des mesures moins extrêmes ne permettent pas de limiter le risque de propagation du virus, comme l'utilisation de matériel de protection, l'obligation de présenter un test négatif, la réaffectation d'un prestataire de soins sans preuve de vaccination dans un autre service. La preuve de vaccination serait vraisemblablement plus facile à justifier dans le cas des prestataires de soins régulièrement en contact avec des patients âgés et/ou des patients en mauvaise santé, où il est clairement établi que la vaccination du prestataire protège effectivement le patient et où il n'existe aucune mesure moins extrême. Par contre, exiger une preuve de vaccination du patient pour que celui-ci puisse recevoir des soins aigus sera difficilement justifiable. La Conseil de la santé néerlandais estime d'ores et déjà que l'intérêt d'une preuve de vaccin pour une institution de soins ne peut être plus grand que le dommage potentiel du fait de l'exclusion des soins.