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Si les noms des protagonistes ont été modifiés, pour laisser une certaine liberté dans les dialogues et au regard des situations, le cours de cette histoire est bien le lit de l'épopée de la famille Busine et de sa relation à la période coloniale de notre pays. C'est avant tout, pour cet ancien directeur du Chirec, le besoin de relater l'histoire de sa chère mère, de son siècle, de son mari et de leurs quatre enfants, dont lui-même, ce 'créole' belge né en Afrique. Mais c'est aussi par l'écriture de ce roman-fleuve Congo passionnant, une recherche personnelle de thérapie, une catharsis face à une fin de carrière hospitalière avortée.Le journal du Médecin: Cette épopée familiale, c'est avant tout le roman de votre mère?Dr Alain Busine: Oui, c'est une sorte d'hommage à ma mère qui s'appelait Nelly et qui m'a inspiré Lily, l'héroïne des livres. J'aurais pu appeler cette suite romanesque le "Siècle de Lily", puisqu'elle a vécu 94 ans et qu'on la suit de sa naissance à son décès. L'entreprise comporte quatre volumes, dont je termine actuellement le dernier.En même temps que vous remontez le fleuve Congo, vous faites de même avec le cours familial? Tout à fait. C'est une saga familiale qui s'étend sur quatre générations. L'idée de l'écrire m'est venue quand j'ai dû placer ma mère en maison de repos, du fait d'un handicap locomoteur sérieux, elle avait alors 91 ans. Elle avait conservé une mémoire exceptionnelle, intacte. Ce placement, vécu comme une dernière résidence, a suscité un rapprochement filial intense et a déclenché chez moi l'envie d'écrire sa vie. Elle m'y a beaucoup aidé et, dans le même temps, je me suis lancé dans une recherche historique sur l'Afrique, le Congo et la colonisation. Peut-on parler de rapport fusionnel avec votre mère ?Oui. Le dernier roman que je suis en train d'écrire concernera la quatrième génération, donc la mienne, ma naissance, ma jeunesse. On y apprendra encore beaucoup sur ce rapport particulier entre une mère et ses quatre enfants, tous des garçons. Vous écrivez que votre maman vous a beaucoup aidé à la fin de sa vie, deux années durant...Deux histoires se croisent: l'histoire passée, historique d'un côté, et d'autre part celle actuelle du rapprochement d'un fils par rapport à sa mère, teintée d'une réflexion sur la vieillesse. À 26 ans, ma mère avait eu ses quatre enfants, 24 ans nous séparaient seulement. J'atteignais la petite septantaine, je vivais une fin de carrière hospitalière longue de 40 ans au moment de son placement. Nous partagions deux périodes difficiles. Comme en miroir de la sienne, je subissais l'ingratitude d'une nouvelle génération qui pousse l'ancienne, sans ménagement, vers la sortie. Pour le narrateur du roman, qui est médecin et qui expérimente cette même fin de carrière difficile en milieu hospitalier, le rapprochement avec sa mère lui permet de prendre du recul par rapport à ces événements. C'est donc la réalité ? C'est quelque part de l'ordre de la thérapie. J'ai voulu préserver des personnes et des lieux en changeant les noms, mais il y a quand même, par rapport à cette fin de carrière en hôpital, beaucoup de vécu. Des médecins m'ont d'ailleurs téléphoné suite à la parution des deux premiers volumes pour me dire qu'il avait connu la même déconvenue.Il y aurait donc un aspect cathartique dans l'écriture chez vous?Tout à fait! L'écriture, tout comme ce rapprochement avec ma mère, a été une thérapie, mettant en branle le devoir de mémoire, la remontée aux origines. L'écriture et la fin de ma carrière hospitalière ont coïncidé. La littérature est un pari que j'ai fait quand j'ai dû quitter, après 40 ans d'activité, l'institution hospitalière que j'avais notamment dirigée. Au moment du pot de départ, entre intimes, on m'a demandé ce que j'allais faire. Par boutade, j'ai dit que j'allais écrire un roman de 1.000 pages. C'est sorti spontanément sans savoir trop pourquoi! Je trouvais que 1.000 pages, c'était bien. Et puis, je me suis lancé, et lorsque le quatrième sera terminé, cela fera... 1.600 pages au total. (il sourit)Le livre n'est pas du tout manichéen concernant la colonisation... Une chercheuse du FNRS de l'ULB m'a dit que j'avais mis le curseur au milieu. C'est vrai que j'ai essayé de privilégier une approche factuelle de l'histoire, tout en y développant mes personnages à l'intérieur. L'approche romanesque peut, je pense, faire beaucoup pour la prise de conscience des lecteurs. J'ai l'impression que lorsqu'on écrit un essai historique, qu'on opte pour une approche très scientifique de l'histoire, cela peut se révéler lassant pour le grand public, notamment du fait de la multitude des références et évidemment de l'absence requise de sentiments.Que reste-t-il de votre côté créole, de Blanc grandi au Congo? Les souvenirs, la nostalgie... Un goût pour les fruits, la cuisine de là-bas, une petite connaissance résiduelle du swahili que nous parlions enfants. Non seulement j'ai vécu mes premières années en Afrique mais au retour, nous avons continué à être bercés par ces souvenirs familiaux. Parfois, également, le sentiment de ne pas être tout à fait belge...En quoi le fait d'être gynécologue vous aide-t-il à écrire? En tant que médecin, cela m'aide pour décrire les états de morbidité. Parfois, je délivre une description assez clinique des événements, notamment des passages sur les naissances, les accouchements. J'ai par exemple essayé de reproduire la manière dont les femmes accouchaient au début et au milieu du 20e siècle. Ma propre mère ayant accouché au domicile sur la table de la cuisine, au lendemain de la Libération. C'est également un hommage que je rends aux femmes, qui portent l'humanité dans leur ventre et sur leurs épaules. Et donc, ma passion pour la gynécologie me permet d'introduire cela dans mes romans. Au-delà de l'aspect gynécologique, le versant médecin vous aide dans l'écriture du roman?Ce qui m'a aidé, pour avoir assez bien publié en littérature scientifique, en tout cas pour le cadre historique, c'est de coller aux faits et à la réalité, ce qui est le cas des articles scientifiques. Par contre, j'ai plutôt eu l'impression d'avoir été libéré dans l'écriture par rapport aux articles médicaux qui ne laissent pas de place aux sentiments, contrairement au roman.