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La réussite des camps de vacances organisés cet été, dont seuls deux durent être interrompus en raison d'une infection au coronavirus, fut la première éclaircie d'un long semestre sinistre. Le bonheur palpable de nos petits-enfants qui y participèrent réveilla une conviction que je croyais éteinte : on va y arriver, ce virus ne nous aura pas. Pour les aînés, enfants en début de confinement, on retrouvait au retour des camps des adolescents, en une forme physique et morale étourdissantes. On les interrogeait sur ce qu'ils avaient vécu de plus fort, ils répondaient " parler et échanger interminablement avec les autres ". Aurait-on oublié que l'être humain est avant tout un partage d'expérience, de rêves, de projets, de dépassement en commun des obstacles de l'existence ? Soudain, le médecin empli d'incertitudes que j'étais devenu, croulant sous les consignes multiples parfois contradictoires, saoul de lectures et d'échanges sur les forums médicaux, anxieux à la lecture des prévisions chiffrées d'une seconde vague, réalise à quel point la soif de vivre de ces gosses est contagieuse. Experts et dirigeants nous préparent à des lendemains qui déchantent, que désormais plus rien ne sera comme avant, que le pire est à venir, que le port du masque sera comme le port du caleçon, qu'il faut oublier ce que bisou veut dire, que la danse sera virtuelle et que Saint-Nicolas recevra les enfants sages isolé dans une bulle les vingt prochaines années. Tout cela pourrait être vrai, mais se construit-on un avenir avec pareilles perspectives ? Ce premier septembre, j'ai repris le chemin de l'école avec mes petits patients. J'ai éteint les news, déserté les forums, réduit la lecture de la presse. Ce virus ne va pas nous bouffer la vie plus qu'il ne faut, un jour on vivra sans lui comme on vit sans le poxvirus de la variole, sans le méningocoque, sans le bacille de la diphtérie ou le récent H1N1 de la grippe A. Et il ne faudra pas dix ans pour cela, demain recommence le retour vers la vie normale. La vie simple : quand ils seront fiévreux, goutte au nez, mal partout, toux et mal à la gorge, on sera là. Quand ils auront mal au ventre, on sera là. Quand il faudra appliquer des consignes tordues, délivrer des certificats de quarantaine, juger des retours en classe, rassurer les parents, conseiller les directions et les enseignants, on sera là. Et on frottera, frottera, frottera, les nez, les gorges, tant qu'il faudra pour que recule l'épidémie et la grande crainte d'un retour au confinement et à l'arrêt de tout. On expliquera inlassablement que le masque n'est qu'un pis-aller, qu'il aura un temps et puis plus, que la quatorzaine diminuera de moitié, qu'ils ne sont pas responsables de la santé de papy et mamie, que la grippe n'est pas la peste et que son voisin de classe n'a pas la lèpre. On arrêtera de dépenser une énergie folle à contester les règles, les décisions du passé, à imaginer des dérives totalitaires là où il n'y eut que tentatives humaines de gérer une réalité mouvante et incertaine. Comme le suggérait Lisette Lombe (RTBF, La Première, 13.8.2020), on redira encore plus fort à quel point " ceux qui parlent de zone de guerre à Blankenberge insultent Beyrouth." Aux paroles sans fin, on substituera une bienveillance au quotidien pour rassurer, consoler, expliquer, baliser les contours d'un avenir sûr pour tous ces mômes et leurs parents qui en doutent. Il a été écrit qu'on ne peut comprendre la vie qu'en regardant en arrière, mais qu'on ne peut la vivre qu'en regardant en avant. Dès demain, je reprends modestement ma vie de médecin de famille, partageant inlassablement cette conviction : on y arrivera, la vie normale reviendra, et cela ne prendra pas dix ans.