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La littérature internationale nous apprend que 15% des femmes dans le monde souffrent de douleurs pelviennes chroniques. Selon certaines sources, elles toucheraient même une femme sur quatre en âge de procréer. Comment assurer une prise en charge médicale optimale de ces patientes afin de prévenir les complications et d'améliorer plus efficacement leur qualité de vie? Nous avons posé la question au Pr Carla Tomassetti, responsable du service multidisciplinaire de l'endométriose et du centre de PMA de l'UZ Leuven. Chez les femmes ou les autres personnes avec un utérus qui présentent depuis longtemps des douleurs dans le bas du ventre, une anamnèse approfondie doit permettre de caractériser la douleur: "La localisation de la douleur, une éventuelle irradiation, son intensité. La douleur est-elle quotidienne et/ou liée au cycle? Demandez à la patiente de décrire le déroulement de son cycle menstruel, si elle souffre de dysménorrhée et si elle prend une contraception hormonale. Que fait déjà la patiente elle-même pour soulager ses douleurs pelviennes et quelle est l'efficacité de cette approche (pharmacologique ou autre)? Quel est l'impact de la douleur sur son fonctionnement social et professionnel?", énumère le Pr Tomassetti. "Rappelons en outre le lien étroit entre fatigue (chronique) et douleur." Dans ce contexte, il est également important d'interroger systématiquement la patiente sur tout antécédent de problème de fertilité. "En effet, tant l'endométriose, l'adénomyose, une infection à chlamydia persistante, que toute séquelle de MIP (maladie inflammatoire pelvienne) ou de chirurgie abdominale antérieure, peuvent entraîner une baisse de la fertilité", souligne la spécialiste. Plus spécifiquement pour l'endométriose, la cause la plus fréquente de DPC, il convient de rechercher une dyschésie, une dysurie, une douleur de pénétration profonde et une variation cyclique des symptômes. "Chez certaines patientes atteintes d'endométriose, les troubles relatifs à la défécation sont au premier plan", note le Pr Tomassetti. "S'il existe un nodule d'endométriose profond important dans la musculeuse du côlon, il peut y avoir du sang ou du mucus dans les selles, ou des symptômes subocclusifs avec des jours de constipation et une phase de diarrhée par regorgement. Pour éviter de confondre les symptômes de ces personnes avec, par exemple, le syndrome du côlon irritable, il est essentiel de réaliser l'anamnèse du cycle. En effet, en gastro-entérologie, on ne s'attend pas à une aggravation notable des symptômes pendant les règles." Pourtant, les choses ne sont pas toujours aussi claires. "Certaines fibres de la douleur sont hormonosensibles. Je pense, entre autres, au syndrome des douleurs vésicales, qui se caractérise surtout par des symptômes mictionnels, mais dont la douleur chronique peut varier au cours du cycle menstruel." Quelques éléments peuvent aider au diagnostic différentiel avant même que l'on passe aux examens complémentaires. Par exemple, les symptômes de l'adénomyose se recoupent largement avec ceux de l'endométriose, mais les problèmes de saignement sont plus fréquents, tels que des saignements irréguliers et des pertes de sang abondantes pendant les règles. En moyenne, la population atteinte d'adénomyose est également un peu plus âgée. "Mais les deux maladies surviennent très souvent en même temps", ajoute le Pr Tomassetti. Les fibromes utérins (volumineux) peuvent également provoquer des douleurs chroniques sous la forme d'une sensation d'oppression et de lourdeur dans le bassin, mais là encore, les méno- et métrorragies seront au premier plan. Les IST comme la chlamydia peuvent passer inaperçues pendant longtemps, en raison des symptômes non spécifiques ou de l'absence de symptômes. Parfois, des douleurs dans le bas ventre, des douleurs pendant les rapports sexuels ou des pertes de sang post- coïtales indiquent une cervicite. "Je pense qu'il est judicieux d'envisager un dépistage des IST chez toutes les femmes souffrant de DPC", relève la gynécologue. Cependant, même une salpingite correctement traitée peut encore provoquer des DPC, par exemple en raison de cicatrices au niveau des trompes de Fallope. À la suite d'une intervention chirurgicale gynécologique ou abdominale, des adhérences dans l'abdomen peuvent également s'observer. "Il est donc toujours utile de rechercher des antécédents." "Enfin, en cas de problèmes hémorragiques et de douleurs, il ne faut pas oublier les malignités. Le carcinome cervical ou ovarien ne survient pas seulement à un âge avancé", prévient le Pr Tomassetti. Ainsi, face à ce type de symptômes, outre l'anamnèse détaillée, il convient d'envisager de réaliser un frottis, un test de grossesse, un dépistage des IST, et éventuellement d'autres analyses de sang et d'urine. Si vous vous sentez à l'aise, vous pouvez également réaliser un examen gynécologique. Pour effectuer correctement un toucher vaginal, quelques éléments sont importants dans ce contexte: "En cas d'adénomyose, l'utérus peut être sensible ou élargi à la palpation. Les nodules d'endométriose sont visibles, à condition de positionner correctement le spéculum. En fait, il faut passer derrière et sous le col de l'utérus pour voir le fornix en postérieur. Lors du toucher, il faut également aller bien au-delà du col de l'utérus pour voir d'éventuels nodules postérieurs", explique le Pr Tomassetti. "Un tel examen n'est pas très agréable pour la patiente. Il faut toujours bien expliquer ce que l'on fait et pourquoi on le fait." La mise au point, notamment de l'endométriose, se poursuit par écho gynécologique. Les kystes d'endométriose, ou "kystes en chocolat", sont facilement reconnaissables à l'échographie. L'endométriose profonde, quant à elle, nécessite un oeil averti. "Outre l'imagerie des lésions hypoéchogènes ('moose antler sign'), nous examinons également la mobilité des structures les unes par rapport aux autres (par exemple, le 'sliding sign' dans le cul-de-sac de Douglas). Pour l'endométriose péritonéale, nous utilisons des 'soft markers' ou signes indirects, tels que la douleur à la pression de certaines structures internes, des signes d'adhérences, ou l'hyperéchogénicité de la ligne péritonéale", explique la spécialiste. Une première grande étude prospective de ces critères IDEA [1] est actuellement en cours. Si elle est validée, cette technique d'échographie systématique pourrait ensuite être incluse dans la formation des assistants en gynécologie. En dehors de l'échographie, aucun test non invasif ne permet de poser le diagnostic initial d'endométriose: "L'IRM n'est pas indiquée comme test diagnostique (sauf dans des situations spécifiques, par exemple lorsque l'échographie vaginale n'est pas possible), et le CA 125 [2] a échoué comme test sanguin diagnostique", explique le Pr Tomassetti. "Récemment, un test salivaire est apparu sur le marché européen, mais des recherches supplémentaires sont nécessaires pour confirmer l'utilité clinique de ce test (par ailleurs très coûteux)." Auparavant, on considérait que l'endométriose ne pouvait être diagnostiquée que par laparoscopie, mais ce concept est remis en question. Aujourd'hui, les lignes directrices de l'ESHRE [3] reconnaissent un rôle au diagnostic empirique basé sur la clinique et l'imagerie, afin que l'analgésie et la contraception hormonale puissent être instaurées le plus rapidement possible. Les patientes qui continuent à souffrir après cette première phase de traitement sont orientées vers la deuxième ligne, pour réaliser un diagnostic plus approfondi. "En tant que médecin, il ne faut pas minimiser les symptômes de douleur. Je ne dis pas que toutes les personnes souffrant de crampes abdominales sont atteintes d'endométriose, mais si une patiente se tortille quatre jours par mois sur le canapé avec une bouillotte sur le ventre, malgré plusieurs doses de paracétamol et d'ibuprofène par jour, vous ne pouvez pas considérer qu'il s'agit d'un "petit bobo de femme". Il faut alors poser d'autres questions, faire des examens et un suivi. Un diagnostic précoce est également essentiel pour le pronostic de l'endométriose", souligne le Pr Tomassetti. "Pensez aux problèmes de fertilité, à l'extension de la fibrose dans la cavité abdominale et au niveau des intestins, de la vessie et de l'uretère, avec la nécessité d'une chirurgie plus lourde." Même dans les centres de PMA, on accorde parfois trop peu d'attention au diagnostic, alors que l'endométriose est très fréquente dans la population traitée par FIV [4]. "Chaque femme qui se présente principalement pour un désir d'enfant non satisfait devrait bénéficier d'une anamnèse de la douleur et d'un examen clinique correct avec échographie", suggère la professeure de la KU Leuven. Les "retards" de diagnostic compliquent le traitement de la DPC. Au départ, il s'agit d'une douleur nociceptive, mais si elle n'est pas traitée précocement, il peut être question à terme d'une neuropathie périphérique et une sensibilisation centrale. Même après l'ablation des lésions, la douleur peut persister (partiellement). "Lorsque les interventions hormonales et chirurgicales échouent, nous orientons les patientes vers un centre multidisciplinaire de traitement de la douleur. Une approche holistique de la douleur, comprenant une thérapie cognitivo- comportementale et des programmes de réhabilitation corps-esprit, peut avoir un impact très positif sur la qualité de vie", constate la gynécologue. "Éviter une chronification de la douleur, il est vrai, est bien plus efficace." Il est donc très important de référer rapidement les patientes vers un centre d'expertise gynécologique. "Il n'existe actuellement aucune prise en charge officielle et échelonnée de cette pathologie. Les patientes atteintes de formes complexes d'endométriose doivent souvent trouver elles-mêmes le chemin jusqu'à nous. Heureusement, les référents sont désormais mieux informés et la prise de conscience est de plus en plus forte", conclut Carla Tomassetti.