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Contrairement aux adolescents, un grand nombre d'enfants interrompent leur parcours avant le début du traitement hormonal, soit parce que la dysphorie de genre se dissipe spontanément, soit parce qu'ils peuvent s'accommoder de leur corps tel qu'il est après avoir bénéficié d'un accompagnement psychologique. "C'est pourquoi, chez l'enfant, nous mettons particulièrement l'accent sur l'exploration de l'identité de genre et de ce qu'il en ressent", explique Robin Heyse. "Il est important d'explorer l'identité au sens large de l'enfant. Est-il confronté à des problèmes liés à son sentiment d'appartenance à un genre? Ou bien est-ce l'inverse, et le sentiment d'appartenance à un sexe est-il déterminé par une série d'autres problèmes liés au contexte général de la vie? Chez les jeunes enfants en particulier, il existe parfois des conceptions rigides de l'identité de genre ou du sexe. Ces conceptions s'expliquent en partie par le développement cognitif, social et émotionnel du jeune enfant, mais elles peuvent aussi être dues à l'éducation ou survenir dans un contexte de troubles du spectre autistique, par exemple. Nous travaillons alors avec ces enfants pour élargir leurs idées à ce sujet, et/ou nous accompagnons les parents. Lorsque l'enfant commence à avoir une vision plus large de l'identité de genre, ses inquiétudes peuvent disparaître. Nous pouvons en déduire que le problème était davantage lié à certaines perceptions de l'identité de genre qu'à une insatisfaction à l'égard de son propre corps. C'est une distinction qu'il faut absolument faire dans le cadre d'un accompagnement psychologique.""Quoi qu'il en soit, au cours de ce trajet de soins, nous accompagnerons l'enfant jusqu'à sa puberté de la manière la plus neutre possible, en lui présentant différentes identités ou différents modèles de rôles. De cette manière, il peut se libérer des stéréotypes et déterminer lui-même l'image qui lui convient le mieux. Nous veillons à ce que l'enfant se sente accepté à tous les stades de sa recherche, afin de favoriser un processus de développement harmonieux. Environ la moitié des enfants prépubères que nous accompagnons pour un problème d'identité de genre souhaitent finalement entrer dans un processus de transition."L'enfant qui se présente à l'équipe chargée des questions de genre est régulièrement examiné pour détecter les manifestations d'une puberté naissante. Si l'endocrinologue diagnostique un stade de Tanner M2 chez les filles ou de G2 chez les garçons, il demande au psychologue de voir l'enfant beaucoup plus souvent. "À ce stade, nous vérifions si le développement des traits pubertaires aggrave la souffrance psychologique", explique Robin Heyse. "Si c'est le cas, nous discutons avec l'enfant et ses parents - et éventuellement avec des personnes de l'entourage - des implications d'un traitement hormonal. Cela se fait en consultation avec le psychiatre et l'endocrinologue. Si nous arrivons à la conclusion commune que le traitement hormonal est la bonne mesure à prendre pour l'enfant, un traitement frénateur de sa production hormonale est mis en place dans un premier temps. À ce stade, nous continuons à le suivre de manière intensive afin de vérifier si les effets du traitement correspondent à ses attentes. Est-ce bien ce que l'enfant souhaite? Ou faut-il faire un peu marche arrière?"À ce stade, un point important à considérer est que l'enfant n'est pas en phase de développement pubertaire, à l'inverse de ses camarades. "Au début, cela pose peu de problèmes", témoigne Robin Heyse. "L'enfant est encore jeune, et l'âge de la puberté varie d'un individu à l'autre. En général, tout se passe bien jusqu'à l'âge de 14 ans. Mais à cette période, en lien avec le développement pubertaire, un sentiment d'injustice peut commencer à émerger, en particulier face à des camarades du sexe souhaité. Un garçon transgenre regrettera par exemple que ses camarades d'âge changent de voix et pas lui. Le fardeau de la souffrance du jeune adolescent atteint de dysphorie de genre présente donc une courbe en forme de U. La souffrance augmente au début de la puberté, avec l'apparition des premiers caractères sexuels non désirés. Une période d'accalmie s'installe grâce à l'inhibition hormonale. Mais vers l'âge de 14 ans environ, la différence de morphologie avec les pairs commence à s'accentuer. Pour nous, c'est un signal important pour envisager l'introduction d'hormones d'affirmation du genre. Certains adolescents en cours de traitement ne ressentent pas cette gêne, c'est pourquoi nous attendons parfois l'âge de 15 ans pour leur administrer ces hormones. Il peut alors arriver que l'adolescent décide de ne pas commencer ce type de traitement.""Les questions et les commentaires des pairs sur le développement de l'adolescent traité ne posent pas vraiment de problème: en général, ils sont familiarisés depuis un certain temps avec les différences de la personne. Lors du traitement d'un enfant souffrant de dysphorie de genre, nous recommandons d'en discuter avec la classe avant même l'âge du traitement hormonal, si l'enfant le souhaite et si cela est socialement possible. Pour faciliter le contact entre l'enfant et ses camarades de classe, une psychoéducation en bas âge est souvent suffisante, en faisant comprendre au groupe que tout le monde n'a pas à se conformer à une image stéréotypée. Pour l'enfant lui-même, il est plus confortable de ne pas avoir à se promener avec un 'secret'".Si le jeune le souhaite, une autre étape consiste à lui administrer une thérapie hormonale d'affirmation du genre. Les effets de ces hormones étant en grande partie irréversibles, il convient d'en discuter soigneusement avec lui au préalable. Le spectre des genres est large et fluide, mais les hormones sexuelles sont binaires: elles donnent une morphologie soit masculine, soit féminine. Le groupe le plus important qui se présente à l'équipe est celui des adolescents au cours de la puberté. Le sous-groupe des jeunes chez qui la dysphorie de genre n'apparaît que pendant la puberté a fortement augmenté ces dernières années. Parallèlement, le profil des personnes qui consultent s'est modifié. Alors qu'au départ la grande majorité d'entre eux étaient des hommes qui se sentaient femmes, c'est désormais l'inverse qui est observé. La cause de ce changement est encore inconnue. Un autre changement est la proportion croissante de jeunes non binaires. En outre, parmi les jeunes présentant une dysphorie de genre, on observe une prévalence croissante d'autres problèmes de santé mentale, qui sont interdépendants. On peut également dire qu'il existe une différence de dynamique par rapport aux jeunes enfants qui se présentent avec une demande de soins pour une dysphorie infantile: si, dans le groupe le plus jeune, on voit le désir de transition disparaître relativement souvent au cours de l'accompagnement psychologique, l'identité de genre est beaucoup plus stable chez les personnes qui se présentent à l'adolescence. Dans ce groupe, il arrive moins souvent que le patient termine le trajet de soins sans avoir entamé une transition. "À part cela, la trajectoire de l'accompagnement psychologique est assez similaire à celle des enfants", commente Robin Heyse. "Comme pour les plus jeunes, avec les adolescents, nous prenons le temps d'explorer l'identité de genre et de voir s'il existe d'autres alternatives que la transition. La différence est qu'avec les enfants, nous sommes très neutres dans les premiers temps, alors qu'avec les adolescents, nous sortons plus rapidement du cadre neutre, précisément parce que l'identité de genre est déjà un fait plus stable à cet âge. Nous accompagnons le jeune à travers un certain nombre d'étapes qui le rapprochent progressivement de l'identité de genre souhaitée, comme l'information de l'entourage, le choix d'un nouveau prénom, l'utilisation de pronoms différents ou encore le choix de vêtements différents. Et nous vérifions comment le jeune vit tout cela: son sentiment de bien-être augmente-t-il au fur et à mesure que le trajet de soins progresse?""Nous commençons donc par des mesures non médicales. Il se peut qu'à un moment donné, le jeune indique que nous avons atteint le résultat souhaité avec ces mesures et que le traitement hormonal n'est pas nécessaire. Différentes variantes sont possibles: certains hommes trans veulent se faire enlever les seins, par exemple, mais ne souhaitent pas de traitement hormonal."Les personnes transgenres peuvent avoir besoin d'un accompagnement psychologique pendant très longtemps. Même si le processus de transition est achevé sensu stricto, ces personnes continuent d'être confrontées à un certain nombre d'obstacles potentiels: trouver un emploi, nouer des relations, satisfaire un désir d'enfant... "En principe, les personnes qui font une demande à partir de 17 ans sont accompagnées par un psychologue pour adultes", rapporte Robin Heyse. "Pour ce qui est des personnes que je connais depuis des années, je continue à les suivre après l'âge de 17 ans, jusqu'à ce que les problèmes qu'elles présentent relèvent clairement de la psychologie des adultes. En fonction du type de problème, les personnes transgenres peuvent également à un certain moment consulter un psychologue en ambulatoire."