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La dépression chez la personne âgée est souvent sous-diagnostiquée, et il y a à cela plusieurs raisons. L'une d'entre elles est que la dépression est perçue comme faisant partie du vieillissement normal. La vieillesse n'est-elle pas une succession de deuils ? D'autre part, la dépression est souvent masquée par les plaintes somatiques que le patient âgé évoque plutôt qu'une humeur dépressive. Il faut donc y penser systématiquement. Il existe des symptômes dépressifs communs à tous les âges: désespoir, pessimisme, perte de l'anticipation, troubles de l'humeur, anxiété, mésestime de soi, perte du plaisir à vivre, ralentissement psychomoteur, troubles neurovégétatifs.Certains symptômes dépressifs se retrouvent plus fréquemment chez la personne âgée. On observera plus souvent une anxiété importante mais peu exprimée, une somatisation centrée sur le système gastro-intestinal (thème de la constipation), une attitude passive plutôt qu'agressive (sauf en cas de démence associée, 'syndrome de Tatie Danièle' ). Autres symptômes plus fréquents chez le vieillard déprimé: repli sur soi, isolement, angoisse matinale, confusion, dépendance, troubles mnésiques. On recherchera également l'abus d'alcool, souvent nié chez le patient âgé. Plus rares sont par contre les sentiments de culpabilité et l'expression de la douleur morale.Le suicide constitue un réel danger chez le vieillard déprimé, avec cette particularité que les tentatives de suicide sont plus rares, mais plus souvent réussies, le rapport TS/suicides 'réussis' étant proche de 1 chez l'homme âgé, OE chez la femme âgée, 1/200 chez les jeunes.On sait par ailleurs que la dépression aggrave le pronostic de la plupart des maladies chroniques. Il faut donc la traiter, et cela sans délais. Le traitement sera d'autant plus efficace qu'il est instauré tôt. Il faut à tout prix éviter le 'glissement' dans un état de chronicité qui sera très difficile à récupérer.La dépression et la démence sont deux affections fréquemment rencontrées chez la personne âgée. Il existe actuellement une tendance à considérer qu'il y a un continuum entre la dépression et la démence. La dépression constituerait alors un mode d'entrée dans la démence, en particulier la maladie d'Alzheimer. Une règle semble devoir s'imposer : " Une personne âgée, sans antécédents dysthymiques, qui présente une dépression majeure avec déficit cognitif, est, jusqu'à preuve du contraire, au début d'un processus démentiel ".Le concept de pseudo-démence résulte de l'intrication des deux affections. La démence et la pseudo-démence dépressive possèdent certaines caractéristiques propres qui permettent de les distinguer :- Histoire et évolution clinique: dans la démence, le début est souvent insidieux et la progression lente, avec peu d'antécédents psychiatriques; dans la pseudo-démence dépressive, le début est plus facilement datable, l'évolution plus rapide et les épisodes dépressifs fréquents.- Plaintes et comportement: dans la démence, les plaintes sont rares, les fluctuations thymiques sont peu marquées, avec tendance à l'hyperactivité; dans la pseudo-démence dépressive, on observera plutôt des plaintes soutenues exprimant un sentiment de détresse; l'hypoactivité est constante.- Evaluation clinique: dans la démence, les réponses sont approximatives, les pertes de mémoire concernent les évènements récents et moins les évènements anciens, le langage et les praxies sont altérés; dans la pseudo-démence dépressive, les réponses sont plus franches (je ne sais pas...), les pertes de mémoire concernent aussi bien les évènements anciens que récents, le langage et les praxies sont conservés.La dépression chez la personne âgée figure en bonne place parmi les situations pathologiques à envisager d'un point de vue holistique. Il existe une série de pratiques 'transversales'. La mise en place du traitement implique de s'intéresser au cadre existentiel du sujet. On pensera d'abord à laprise en charge sociale, qui comporte divers éléments parmi lesquels l'aspect financier n'est pas le moins important. L'utilité de (re)créer des relations n'est pas à souligner, l'isolement social étant souvent accentué par des déficits physiques (perte ou diminution de l'audition, de la vue, de la mobilité...).Parmi les traitements non pharmacologiques figure la psychothérapie, qui sera une thérapie essentiellement de soutien, basée sur des éléments concrets. Les contacts seront fréquents, de toute nature: passages réguliers du médecin, de l'infirmière, contacts téléphoniques, bibliothérapie...Rien ne doit être négligé, en particulier l'implication de la famille, pour rompre l'isolement social.Quel que soit l'intérêt des mesures évoquées ci-dessus, le traitement médicamenteux reste nécessaire dans la prise en charge des patients âgés déprimés. Il faut toujours administrer un antidépresseur s'il existe des symptômes dépressifs significatifs. Les antidépresseurs, en cas de doute, peuvent même avoir une valeur diagnostique ( par ex. pour distinguer une pseudo-démence dépressive d'une démence). Autre recommandation générale: vérifier s'il n'existe pas de médicaments dépressogènes au départ (par ex. des neuroleptiques 'typiques').L'initiation du traitement est une étape capitale. La patience est de mise: avant 75 ans, on commencera par la moitié de la dose habituelle (1/3 de la dose après 75 ans, ou en cas d'insuffisance rénale ou hépatique). La recherche de la dose active se fera très progressivement, avec des contrôles fréquents de la réponse (min. une fois par semaine). Le temps de latence est d'au moins 6 à 8 semaines.La préférence ira à un antidépresseur appartenant au groupe des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), qui se valent tous plus ou moins, bien que certaines études montrent une meilleure tolérance chez l'un ou l'autre.En principe, on n'associera pas deux antidépresseurs. Dans certaines situations (présence d'éléments psychotiques), l'action de l'antidépresseur peut être potentialisée par l'adjonction d'un antipsychotique de deuxième génération (rispéridone, quétiapine, olanzapine, amisulpride).Les psychostimulants seront évités.Les antidépresseurs ISRS sont en général plutôt bien tolérés, mais ils peuvent néanmoins s'accompagner de manifestations indésirables touchant surtout le système digestif (nausées, diarrhées, constipation, bouche sèche, anorexie) et le système nerveux (anxiété, insomnie, somnolence, tremblements, céphalées). Il faut y être attentif, surtout au cours de la période d'initiation du traitement (start slow...).La durée minimale de traitement est de deux ans si le sujet est âgé de plus de 65 ans. Le traitement sera poursuivi à vie dans les cas suivants: épisode dépressif très sévère (risque suicidaire, symptômes psychotiques ou confusionnels associés, ralentissement important), résistance au traitement, symptômes résiduels, rechute rapide, antécédents familiaux lourds. SourcesXXème Journées de Gériatrie, " La dépression de la personne âgée : quand cela n'a plus de sens " 21 mars 2017, Wépion. Organisation du réseau gériatrique du Namurois (RUGN). Communications du Dr Laurence Mees, pychogériatre, CHU UCL Namur et de Pierre Gobiet, psychologueF. Lowry, 'Depression in older adults, unricognised, untreated' Medscape psychiatry, August 2016M. Ludvingson et al. 'Normal aging or depression?' Gerontologist 2015, 55(5), 760-769W. Lleschi, T. Bizzozero 'La dépression du sujet âgé' Rev Med Suisse, 2009; 5: 1785-1789'Depression in older adults', BMJ 2011;343:d5219