Encore souvent stigmatisée, cette maladie neurologique très invalidante est un réel problème de santé publique, a expliqué le Pr Jean Schoenen (ULiège) lors de la réunion de consensus Inami en mai dernier [1], consacrée à " L'usage rationnel des médicaments dans le traitement de la migraine ".
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La migraine est multiple et complexe, aussi bien dans son expression clinique que dans ses causes et traitements. "Cette complexité peut donner l'illusion que c'est une maladie sans caractéristiques ni causes précises, sans traitements efficaces et sans réel impact sur la vie. Ajoutez à cela qu'elle n'est visible ni à l'examen clinique ni au scanner cérébral, et vous comprendrez pourquoi la migraine est considérée par certains comme une 'non-maladie' et que les fausses informations ou fake news à son sujet foisonnent, mais aussi pourquoi les migraineux restent souvent stigmatisés dans la société", a précisé Jean Schoenen, neurologue à l'ULiège. Les migraines sont les maladies neurologiques les plus fréquentes, elles affectent en moyenne 35% de la population en Europe (15% dans le monde). "C'est aussi la maladie neurologique qui a le dimorphisme sexuel le plus marqué: 20-25% des femmes (surtout de 29 à 45-50 ans) en souffrent, contre 5-10% des hommes."C'est une maladie invalidante: 75% des patients ne peuvent pas travailler normalement pendant une crise migraineuse. En Belgique, elle a un coût sociétal annuel d'1 milliard d'euros, essentiellement en coûts indirects. "La migraine est un réel problème de santé publique, or elle reste une maladie stigmatisée pour diverses raisons et mal financée par les pouvoirs publics, que ce soit pour le remboursement des traitements ou la recherche", ajoute le Pr Schoenen.La crise de migraine est un processus séquentiel, elle commence plusieurs heures avant, voire la veille, par des prodromes. "30 à 40% des patients rapportent des signes relativement vagues, mais reproductibles: fringale pour les sucreries (raison pour laquelle le chocolat est incriminé comme facteur déclencheur, ce qui est une erreur), fatigue importante, changement d'humeur, énergie débordante la veille, nausées ou douleurs dans la nuque. 20% des patients ont une aura."La céphalée s'installe et diminue progressivement. Après, il peut persister des symptômes comme un état de fatigue, des troubles de concentration, des nausées... "L'invalidité liée à cette crise est due à l'hypersensibilité à la lumière, au bruit et aux odeurs, aux troubles de concentration, de mémoire et de l'équilibre, à une humeur dépressive, une asthénie... La crise de migraine est provoquée par l'activation du système trigémino-vasculaire, n'importe qui peut donc en présenter une, une fois dans sa vie. Mais la maladie migraineuse c'est la répétition des crises, il faut chercher les facteurs qui la provoquent", insiste-t-il. "Quand un généraliste ou un spécialiste est confronté à un patient qui se plaint de céphalées, la première question est de savoir s'il s'agit d'une céphalée primaire (dont fait partie la migraine) ou secondaire (qui peut mimer une crise migraineuse). Pour pouvoir affirmer le diagnostic de migraine, il faut du recul et il est souvent utile de demander au patient de remplir prospectivement un calendrier de migraine. Il permet au patient de mieux percevoir le degré de gravité de sa maladie, à son médecin de confirmer ou non le diagnostic initial, et aux deux de suivre les effets d'un traitement. Une céphalée qui remplit tous les critères typiques d'une migraine avec un recul suffisant, un examen neurologique normal, ne nécessite pas d'examen complémentaire", souligne le Pr Schoenen. Le diagnostic de migraine est clinique et basé sur des critères définis dans la Classification internationale des céphalées (2018), soit au moins cinq crises, d'une durée de 4 à 72 heures, au moins deux des caractéristiques suivantes: unilatérale, battante, modérée ou intense, aggravée par le mouvement, et au moins un des deux signes associés, soit des troubles digestifs, soit une sensibilité au bruit et à la lumière. "La migraine avec aura augmente légèrement le risque de thrombose cérébrale, mais il est nettement majoré par la prise d'une pilule contraceptive contenant des oestrogènes, et plus encore par l'association d'un tabagisme. Dans la migraine avec aura, les facteurs de risque vasculaire doivent donc être pistés et traités", met-il en garde. "La migraine hémiplégique familiale est un sous-type, spectaculaire parce qu'elle s'accompagne d'une hémiplégie qui dure plusieurs heures, voire jours. Elle est aussi importante parce que c'est par là que la migraine est entrée dans l'ère du génétique, parce que ce sont les seules formes monogéniques de migraine."Tous les migraineux ne sont pas également atteints. "Contrairement à la migraine épisodique (> 8 jours par mois, 60% des patients), la migraine chronique (> 15 jours par mois, 3% des migraineux) provoque des céphalées quasi quotidiennes, c'est la forme la plus invalidante, elle est souvent favorisée par la surconsommation d'antidouleurs."Les facteurs déclencheurs et aggravants de la migraine se confondent un peu, fait observer le neurologue. Généralement, il faut une accumulation de plusieurs facteurs déclencheurs comme l'alcool, les troubles du sommeil, sauter un repas, les règles, le stress... De manière générale, les facteurs aggravants ont tendance à baisser le seuil migraineux d'une façon plus durable et augmentent donc la sensibilité aux déclencheurs: conditions météorologiques, accumulation de stress, oestrogènes, sédentarité, excès de caféine... "La répétition des crises migraineuses est favorisée par une prédisposition génétique. Les gènes associés aux migraines jouent un rôle dans l'excitabilité, le métabolisme, la vascularisation ou l'inflammation cérébrales, ainsi que dans la sensibilité aux hormones féminines. Entre les crises, le cerveau migraineux se caractérise par un traitement énergivore des informations sensorielles et par une diminution de sa réserve d'énergie (ATP). Le modèle neuro-énergétique de la pathogénie migraineuse postule qu'un déséquilibre entre le travail cérébral et les ressources énergétiques dont il dispose peut conduire à la crise via l'induction d'un stress oxydatif et l'activation de centres nerveux sensibles aux variations métaboliques. Ce modèle illustre les points d'impact différents et complémentaires des traitements préventifs classiques et des traitements métaboliques et le fait que les nouveaux médicaments bloquant la transmission CGRP agissent comme des traitements de crise durable", conclut Jean Schoenen.