Si la poliomyélite semble être loin de nous, différents arguments plaident cependant pour ne pas lever l'obligation vaccinale chez les enfants.
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La bonne nouvelle en Europe, c'est qu'en principe la polio y est éliminée depuis 2002. On peut donc se poser la question de savoir s'il faut continuer à vacciner contre cette maladie. Et, si oui, pourquoi? À l'heure actuelle, la polio n'est plus un problème de santé publique dans notre pays. Néanmoins, dans le monde, il reste deux pays endémiques, le Pakistan et l'Afghanistan (épidémies de polio sauvage), et quelques endroits (surtout en Afrique) où surviennent des épidémies de polio vaccinale, liées à la rétrovirulence du virus vaccinal oral, particulièrement celle du sérotype 2 (PV2). La rétrovirulence pour les PV1 et 3 est très faible, c'est donc surtout la rétrovirulence du PV2 qui pose problème", souligne la Dre Béatrice Swennen (École de santé publique, ULB). La certification de l'éradication de la polio correspond à l'absence d'isolement de virus polio sauvage pendant au moins trois années successives avec un système de surveillance de la paralysie flasque aiguë (PFA) de qualité. "Quand on a introduit la vaccination polio dans notre pays, en 1958, plus de 1.000 cas étaient enregistrés", poursuit-elle. "En 1963, on a introduit le vaccin Sabin OPV (vaccin poliomyélitique oral). Mais l'obligation vaccinale polio (trois doses de vaccins OPV avant l'âge de 18 mois) - qui a fait couler beaucoup d'encre et qui en fera encore couler beaucoup - n'a été introduite qu'en 1967, alors qu'il n'y avait plus de cas de polio. Pourquoi l'a-t-on mise en place? Parce qu'à l'époque, on s'est rendu compte que le nombre de vaccins administrés était en chute libre, la population ne sentait plus le besoin de se faire vacciner, et les autorités ont craint la survenue d'une catastrophe avec la réapparition de nouveaux cas, particulièrement chez les adolescents." Le dernier cas autochtone date de 1979, et le dernier cas importé de poliomyélite (virus sauvage) de 1989. "Le dernier cas de polio vaccinale (dérivé d'une souche de vaccin vivant atténué OPV redevenue neurovirulente) a été enregistré en 1999. Cette situation a mené le CSS à recommander en 2001 l'arrêt de l'administration du vaccin polio oral Sabin (OPV), et son remplacement par le vaccin poliomyélitique injectable atténué (IPV). À ce moment-là s'est également posée la question du maintien ou non de l'obligation vaccinale. En Belgique, entre 1967 et 2001, le paysage institutionnel avait fortement évolué. La fédéralisation a entraîné la multiplication des ministres de la santé (9! ), des parlements (5! ), l'éclatement des responsabilités en matière de prévention. Le maintien de l'obligation vaccinale polio des enfants permettait d'en assurer sa continuité sur l'ensemble du territoire, ainsi que son financement par le niveau fédéral", précise Béatrice Swennen. Depuis 1989, toutes les enquêtes de couverture vaccinale montrent qu'elle est supérieure à 90% chez les enfants, c'est-à-dire au-dessus du seuil d'immunité critique collective estimé à 81-93% (Anderson 1990, Fine 2004). "On peut donc considérer que tous les jeunes adultes sont relativement bien vaccinés. La situation peut être plus problématique pour les personnes migrantes, si un contrôle et une mise à jour de la vaccination polio ne sont pas réalisés lors de leur arrivée en Belgique, particulièrement pour les migrants originaires des pays endémiques." Y a-t-il une possibilité de réimportation du virus polio sauvage (WPV) ou du virus vaccinal dérivé d'un vaccin de type 2 (cVDPV2, circulating Vaccine-derived Poliovirus type 2) en Europe? [1]"La séroprévalence pour le PV1 et le PV3 est élevée, mais il y a quand même une possibilité de trous ('écarts gaps') dans la séro-immunité pour quelques cohortes de naissance. Par exemple, pour ceux qui sont nés entre 1960 et 1970 parce qu'ils sont à risque de ne pas avoir été correctement vaccinés. Au cours des trois dernières décennies, la couverture vaccinale est bonne et supérieure à 90%", indique la spécialiste. "Généralement,en Europe, les conditions environnementales sont excellentes, et il y a un haut taux standard d'hygiène: tout cela met la population européenne relativement à l'abri du poliovirus. Cependant, il est nécessaire de protéger les voyageurs qui vont vers les régions endémiques où la circulation du poliovirus existe. Par ailleurs, il faut aussi tenir compte des modifications environnementales liées auxconflits impactant les programmes de vaccination: étant donné ce qui se passe en Ukraine et en Israël, le poliovirus pourrait vraisemblablement recirculer, et l'importation devient donc possible", met-elle en garde, en ajoutant que la mise en place d'un système de surveillance de la circulation des virus dans les eaux usées permet de savoir si du poliovirus circule dans le pays. Quant au risque de circulation des poliovirus dérivés d'un vaccin de type 2 (cVDPV2), il n'est pas tout à fait nul, estime Béatrice Swennen, qui donne deux exemples récents. Le premier aux USA date de juin 2022, quand un cas de paralysie polio a été diagnostiqué chez un voyageur non vacciné résidant à Rockland County, à New York. On a identifié un cVDPV2 en lien génétique avec des virus trouvés dans les égouts de Londres et de Jérusalem. Le second, en août 2022 au Canada, où on a retrouvé le cVDPV2 dans les égouts de Montréal, également en lien génétique avec la souche de New York. L'obligation vaccinale dans l'enfance est-elle logique, si elle n'est pas accompagnée d'une recommandation de rappel à l'âge adulte? Y a-t-il réellement un intérêt de donner une dose de rappel à tous les adultes? Pour la Dre Swennen, ce rappel ne s'impose pas actuellement. "D'autant plus qu'une étude de séroprévalence rétrospective de cohorte en Italie, sur base uniquement de vaccin IPV, atteste d'une durée de protection de plus de 18 ans après la vaccination [2]. Voilà pourquoi je crois qu'en l'état actuel, il n'est pas nécessaire que tous les adultes aient un rappel polio dans notre pays. D'autant qu'une surveillance correcte de la circulation des virus polio, et notamment des virus polio vaccinaux, est bien mise en place."Si les deux types de vaccins offrent une protection similaire contre la maladie, seul l'OPV est capable de bloquer la transmission des poliovirus. "Dans certains contextes où la couverture vaccinale est faible, les souches atténuées qui composent le vaccin oral peuvent circuler durant des mois et recouvrer un phénotype pathogène par dérive génétique. Afin d'éviter ce phénomène, une nouvelle souche vaccinale a été développée par génie génétique: aussi immunogène que la souche vaccinale historique, elle est beaucoup plus stable génétiquement", explique Maëlle Bessaud dans Médecine Tropicale & Santé Internationale [3]. "Le vaccin OPV n'est plus disponible dans notre pays", souligne Béatrice Swennen, "mais il faut voir sa place, surtout celle des nouveaux vaccins, dans le cadre plus lointain de l'éradication totale dans le monde. Le réservoir polio est humain, donc théoriquement, si plus personne n'a de polio, on peut imaginer l'éradication totale, mais les conditions environnementales entrent en jeu et on peut rester sécréteur pendant plusieurs semaines. Par conséquent, on ne peut pas être sûr qu'à un moment donné plus personne ne porte le poliovirus. C'est pourquoi un vaccin polio oral (génétiquement plus stable) présente un intérêt parce qu'il donne une immunité intestinale et permet de raccourcir les périodes où on est sécréteur. Par exemple, certains patients HIV vaccinés par le vaccin OPV trivalent classique ont continué à excréter du polio pendant plusieurs années." Ça pourrait aussi être le cas d'une personne complètement vaccinée par l'IPV, qui revient d'un pays endémique en étant porteur du poliovirus dans son intestin, sans pour autant présenter des symptômes cliniques de polio. "Il est clair que l'OPV va garder un rôle dans le futur, mais sans doute pour circonscrire des épidémies. Ainsi, on ne peut pas conseiller aux pays qui ne sont pas encore avec une longue période sans épidémie de polio de passer à l'IPV uniquement. C'est pour toutes ces raisons qu'il faut suivre les nouveaux vaccins OPV génétiquement plus stables, et il faudrait réfléchir en Belgique à la stratégie à mettre en place si on trouve un enfant ou adulte qui sécrète du virus, parce que la vaccination IPV n'empêche pas de devenir sécréteur si on est infecté par le poliovirus."Dans le monde, la transition OPV-IPV est en cours, on est passé du trivalent OPV vers le bivalent OPV en retirant la valence 2, qui était responsable des cas dérivés de polio. Le Sage (Strategic Advisory Group of Experts on Immunization) de l'OMS a recommandé d'introduire une dose de vaccin IPV au minimum pour garder cette protection contre la valence 2 et, depuis l'année dernière, il recommande deux doses d'IPV. Pour Maëlle Bessaud, "dans le programme d'élimination mondial de la poliomyélite, le but final sera d'arriver à n'utiliser que de l'IPV, mais tant qu'il y a de la polio sauvage et tant que le risque d'importation reste, ils vont devoir continuer à utiliser l'OPV qui permet de circonscrire les épidémies... À terme, l'éradication de la polio ne sera pas possible tant qu'on donnera de l'OPV et que la rétrovirulence reste présente."