Le Pr Liesbeth Desender est chirurgien thoracique à l'UZ Gent. Elle pratique des opérations avec le robot depuis 2014 et forme depuis lors des assistants et des collègues chirurgiens à cette technique. Elle voit le paysage évoluer: de nouveaux systèmes robotiques arrivent sur le marché et brisent le monopole "Da Vinci", les parcours de formation sont améliorés [1] et les innovations robotiques sont pilotées par l'IA. Quels sont les avantages, les inconvénients et les idées reçues par rapport à ces dispositifs médicaux? Un aperçu, à travers les yeux d'une chirurgienne pulmonaire.
Surhumain
Parmi les avantages connus de la chirurgie robotique, toutes disciplines confondues, figurent une précision accrue et une meilleure accessibilité des structures internes, de manière mini-invasive. Cela permet notamment de réduire les lésions tissulaires, les complications et la douleur, et donc de raccourcir la durée de la convalescence et du séjour à l'hôpital pour le patient. "Encore que ces avantages pour le patient soient plutôt associés aux chirurgies endoscopiques en général, qu'elles soient réalisées avec ou sans robot", affirme Liesbeth Desender.
La particularité de la chirurgie robotique est que les chirurgiens travaillent (de manière ergonomique) à partir d'une console, où les mouvements du chirurgien sont traduits sur les instruments de la table d'opération. Ces instruments sont dotés d'articulations supplémentaires qui leur confèrent une plus grande dextérité. "Vous pouvez réaliser des actes plus difficiles, des interventions qui n'étaient auparavant possibles qu'en chirurgie à ciel ouvert", explique le Pr Desender. "À l'UZ Gent, le robot opératoire est par exemple utilisé pour les dons de reins vivants. L'ablation d'un rein est parfaitement possible par laparoscopie standard, mais pour suturer un rein de donneur de manière mini-invasive, vous avez besoin du robot."
Ma résection est plus complète si je suis assistée par le robot et cela conduit à de meilleurs résultats oncologiques.
Le robot offre une vision surhumaine. Les chirurgiens regardent à travers une sorte de longue vue, peuvent grossir l'image dix fois et ont une vision en 3D. Grâce à la fluorescence, le flux sanguin d'un organe peut être visualisé en temps réel. Pendant l'opération, des images externes, telles que des reconstructions en 3D de scanners CT, peuvent également être projetées. "C'est très utile, par exemple lors d'une segmentectomie pour un cancer du poumon. Nous retirons alors une certaine partie du tissu pulmonaire, avec les voies respiratoires, les vaisseaux sanguins et les ganglions correspondants. Un travail de précision, mais surtout: ces branches présentent d'énormes variantes anatomiques, et les modèles 3D sont alors d'une grande aide. Ma résection est plus complète si je suis assistée par le robot et cela conduit à de meilleurs résultats oncologiques", indique la spécialiste.
"Après l'opération, vous recevez un rapport complet", rapporte la chirurgienne. "Vous avez procédé de telle façon, et cela a pris autant de temps. C'est très utile, surtout au début, pour voir votre évolution et réfléchir à ce que vous pouvez améliorer. Cela permet de réaliser des procédures plus efficaces, ce qui est également bénéfique pour le patient. À l'avenir, sur la base de toutes les analyses, le système robotique sera même en mesure de donner des suggestions sur l'approche et la séquence optimales des actes."
Seuils à gravir
La chirurgie robotique est toutefois très coûteuse. Non seulement l'appareil, mais aussi l'équipement nécessaire aux procédures ont un prix élevé. Pour l'instant, les hôpitaux doivent se débrouiller seuls pour payer cette somme, et le robot doit donc être utilisé de manière optimale. "C'est une prouesse organisationnelle. Le temps d'opération avec le robot doit être réparti entre les spécialistes. Les urologues, les gynécologues, les chirurgiens du thorax, de l'oesophage et du pancréas,... se voient attribuer des plages horaires fixes. Par conséquent, nous devons faire des choix: toutes les opérations ne peuvent pas être réalisées avec le robot. Et pour les chirurgiens novices qui s'ajoutent à la liste, il peut être difficile de travailler avec le robot à une fréquence suffisante", reconnaît le Pr Desender.
Or, cette fréquence est cruciale dans la courbe d'apprentissage que doivent suivre les chirurgiens. "Il s'agit d'une méthode de travail complètement différente. Il faut saisir et suturer différemment, travailler avec des pédales,... Un bras robotisé est puissant: si vous placez un noeud de suture, vous risquez aussitôt de l'arracher de nouveau. Il faut apprendre à travailler avec un feed-back visuel plutôt que tactile. Par conséquent, au début, vos opérations prennent plus de temps que la moyenne, ce qui peut être frustrant. Le processus d'apprentissage n'est pas nécessairement plus long que pour la chirurgie classique par laparoscopie, mais si vous effectuez des laparoscopies quatre jours par semaine et que vous ne pouvez travailler avec le robot qu'un jour par semaine, cela aura un impact", explique la chirurgienne.
"Une opération ne peut être réalisée sans une bonne équipe. La chirurgie standard par laparoscopie est déjà considérée comme de la haute technologie, mais la chirurgie robotique se situe à un niveau supérieur. Il y a beaucoup à faire, chaque personne présente dans la salle d'opération doit être parfaitement formée. Vous devez communiquer de manière très claire, car en tant que chirurgien, vous êtes assis à distance, isolé dans votre console. Vous parlez dans un micro au reste de votre équipe, mais vous ne voyez pas ce qui se passe à la table. Au début, il faut s'y habituer", admet le Pr Desender.
Car un autre obstacle que les chirurgiens doivent surmonter est qu'ils ne peuvent pas intervenir immédiatement eux-mêmes si quelque chose ne va pas pendant l'opération (un saignement, une complication). "Là encore, vous devez compter sur votre équipe pour gérer la situation dans les premières minutes, pendant que vous vous préparez et que vous mettez des gants stériles. Vous devez être une machine bien huilée, comme toujours de toute façon, mais encore plus en chirurgie robotique." Pour ces raisons - plages horaires fixes, équipes fixes -, la chirurgie robotique est difficile à organiser en urgence.
Arsenal
La chirurgie robotique n'est pas sans plus supérieure aux autres approches chirurgicales. "Il est souvent difficile de prouver qu'une technique particulière est meilleure qu'une autre. En chirurgie, les études à grande échelle sont rares et nous devons souvent nous contenter de dire que la procédure est au moins aussi bonne. La chirurgie à ciel ouvert reste une bonne chirurgie. La convalescence peut être un peu plus longue, mais lorsque l'on compare la chirurgie à ciel ouvert et la chirurgie laparoscopique, la différence réside principalement dans la convalescence initiale et la douleur postopératoire initiale. Pour les patients dont l'état de santé général est médiocre, une chirurgie rapide à ciel ouvert et de qualité est parfois plus appropriée qu'une procédure robotique plus longue", souligne Liesbeth Desender.
"Je pense qu'il est important de pouvoir proposer tout l'arsenal des techniques chirurgicales (chirurgie à ciel ouvert, laparoscopique et robotique) en équipe. Pour chaque intervention, il faut évaluer quelle est la meilleure approche. La complexité de l'opération joue un rôle, car avec le robot, on peut techniquement faire plus qu'avec la chirurgie classique par laparoscopie - on peut aller plus loin, on peut travailler encore plus finement. L'expérience et les préférences du chirurgien jouent également un rôle. La rééducation de votre patient est un facteur, tout comme la raison de l'intervention. Il y a tellement de facteurs et d'arguments à prendre en compte qu'on ne peut pas généraliser. Tout au plus faut-il nuancer: le robot n'est pas toujours meilleur, chaque technique a sa place."
Évolutions
Pour les sceptiques des robots chirurgicaux, qui veulent sentir ce qu'ils font, pouvoir palper les nodules et sentir les vaisseaux sanguins palpiter, des systèmes avec retour haptique ou tactile sont en cours de développement. Une autre évolution est la chirurgie robotique "à port unique", où tous les instruments sont insérés dans le patient par un seul port (une seule incision), au lieu de trois ou quatre ports. "Cela vous oblige à contrôler les outils d'une manière différente. En Amérique, cette technique gagne déjà du terrain et donne de bons résultats", commente la spécialiste.
Nous aurons de plus en plus de possibilités, notamment en intégrant l'intelligence artificielle. "Je pense à des calculs de probabilité de malignité d'une tumeur, uniquement sur la base de ce que l'on observe. Les possibilités sont vraiment infinies. Mais ce que le robot ne pourra jamais remplacer, selon moi, c'est l'intuition du chirurgien, c'est-à-dire les décisions que nous prenons sur le vif, en nous appuyant sur notre expérience. Ou suis-je naïve?", s'amuse Liesbeth Desender.
Les techniques chirurgicales deviennent techniquement de plus en plus complexes. Nous nous dirigeons vers des niches, vers des hyperspécialisations et donc, selon le Pr Desender, vers une centralisation des soins, toutes les procédures n'étant plus proposées dans tous les hôpitaux. "Il est presque inconcevable que la 'chirurgie générale' ait été la norme, avec des chirurgiens pratiquant des hystérectomies un jour et posant des prothèses de hanche le lendemain. Aujourd'hui, les connaissances se ramifient de plus en plus, même au sein des spécialités, et il existe toute une série d'approches de haute technologie. En tant que chirurgien, vous ne pouvez tout simplement pas tout savoir. Les meilleurs soins pour un patient ne sont pas nécessairement prodigués sous le clocher de l'église", conclut-elle.
[1] Avant d'utiliser le robot, les chirurgiens suivent un programme de formation obligatoire qui comprend des simulations virtuelles, des opérations sur des modèles animaux et des cadavres humains, ainsi qu'un coaching.
Objectifs d'apprentissage
La lecture de cet article vous aura familiarisé(e) avec:
?? Les avantages de la chirurgie robotique ;
?? Le coût élevé de la chirurgie robotique, ce qui explique qu'un même appareil est utilisé par de nombreux chirurgiens et que le processus d'apprentissage est parfois lent ;
?? Le besoin d'une équipe chirurgicale formée spécifiquement ;
?? Le fait que, pendant une chirurgie robotique, le chirurgien ne peut pas intervenir directement sur le champ opératoire si une complication survient ;
?? La prise de conscience que la chirurgie robotique n'est pas toujours mieux que la chirurgie à ciel ouvert, si bien que chacune des techniques doit conserver sa place ;
?? Quelques évolutions qui pourraient rendre la chirurgie encore plus performante.