Actuellement, il y a vraiment un engouement pour la ménopause. On fait face à une demande croissante via les réseaux sociaux, où beaucoup de stars (comme Naomi Watts, par exemple) témoignent de leur expérience. "C'est un tabou qui est en train de tomber, on en parle plus librement. Certaines patientes n'ont aucun symptôme et vivent les choses de manière positive, mais il est vrai que c'est une période compliquée de la vie des femmes", explique la Dre Anne Firquet, du Centre de la ménopause de l'Hôpital de la Citadelle (ULiège). L'experte est venue donner son avis sur les schémas de traitement pharmacologique de la ménopause lors de la réunion de consensus de l'Inami du 30 mai dernier.
Lors de l'anamnèse de la première consultation de ménopause pour proposer le traitement, il faut bien interroger les patientes sur les risques thrombotiques familiaux.
Options thérapeutiques
Au-delà de 50 ans, le diagnostic de la ménopause repose sur une aménorrhée depuis plus d'un an. À 55 ans, on estime que 90% des femmes sont ménopausées. Le traitement pharmacologique de la ménopause inclut l'oestrogénothérapie seule systémique, la thérapie combinée oestrogéno-progestative (séquentielle ou continue), la tibolone, les androgènes (testostérone, DHEA, ...), le TSEC (Tissue-Selective Estrogen Complex combinant ECE ou Estrogènes Conjugués Équins, et SERM, Selective Estradiol Receptor Modulator), le fézolinetant et la phytothérapie.
"Le choix dépend du désir de la patiente", souligne la gynécologue. "Pour les combinaisons oestroprogestatives, faire une fenêtre thérapeutique dans un schéma séquentiel peut provoquer des saignements. Quand j'ai commencé à m'occuper de la ménopause il y a 20 ans, les patientes demandaient parfois à garder un saignement, peut-être dans une idée de rester jeune, on n'a plus trop ce genre de demande. Aujourd'hui, les schémas sont plutôt proposés de manière continue. Néanmoins, certaines études démontrent que donner le traitement sous forme séquentielle peut avoir un intérêt par rapport à l'apoptose du sein, faire une pause peut donc être intéressant par rapport au risque mammaire."
Pour la Dre Firquet, chez les patientes qui ressentent beaucoup de fatigue ou un manque de libido, la tibolone peut avoir une place. "Certaines études ont cependant démontré un risque cardio- vasculaire plutôt négatif de la tibolone. Il faut que le profil des patientes soit très bon, sans problèmes ni antécédents cardiovasculaires. Lors de l'anamnèse de la première consultation de ménopause pour proposer le traitement, j'insiste sur les antécédents familiaux, il faut bien interroger les patientes sur les risques thrombotiques familiaux."
"On parle beaucoup des hormones féminines (oestrogènes, progestérone), mais il y a aussi une place pour les androgènes (testostérone, DHEA). La testostérone sous forme de gel à mettre sur le bras, par exemple, une fois par semaine, peut aider les patientes à récupérer une forme de libido. Les patientes qui prennent un peu de DHEA peuvent ressentir un peu moins de fatigue."
L'association oestrogènes- bazédoxifène est indiquée chez les patientes qui ont du mal à tolérer les progestatifs des combinaisons du traitement hormonal de la ménopause (THM). "Le fézolinetant, un antagoniste des récepteurs de la neurokinine 3 (NK3R), qui joue un rôle crucial dans la régulation de la température et de l'humeur, est une nouveauté intéressante concernant les bouffées de chaleur." Le CBIP met cependant en garde précisant que son profil d'innocuité (à long terme) est encore à préciser.
Enfin, la phytothérapie s'adresse aux patientes qui ne peuvent ou ne veulent pas prendre un traitement hormonal. "Il faut les écouter et leur proposer la meilleure solution pour les soulager", estime-t-elle.
Quelles sont les indications d'instauration d'un THM (avec ou sans symptômes)?
"À nous d'expliquer aux patientes quelles plaintes et quels symptômes vont être améliorés par un traitement hormonal ou une alternative", insiste la Dre Firquet. "Les premiers symptômes sont vasomoteurs, ils peuvent durer presque sept ans, mais il faut voir plus loin parce qu'on a ici une fenêtre d'opportunité pour les prochaines années de la patiente et pour lui expliquer que les douleurs articulaires qu'elle va ressentir font partie des choses qui arrivent à la ménopause. Les récepteurs aux oestrogènes sont partout et aussi au niveau des articulations. Il ne faut pas négliger ces plaintes ('J'ai mal partout') qui sont parfois une indication pour un traitement hormonal."
La sécheresse cutanée et vaginale (uro-génitale) arrive dans un second temps, quand la carence en oestrogènes est un peu plus installée. "Là, les patientes se plaignent de sécheresse cutanée, oculaire, buccale et vaginale avec dyspareunie."
Autre symptôme de ménopause, le 'brain fog', caractérisé par des difficultés de concentration, des troubles cognitifs et du sommeil... "Il fait partie des symptômes repris par la Société belge de la ménopause. Securex a mis en évidence un absentéisme, des burn out, plus fréquents chez les femmes de 45-55 ans. On pense que ces symptômes peuvent être améliorés si on propose une supplémentation ou une prise en charge, une écoute, si on leur explique que ce n'est pas une dépression, un burn out, et qu'elles ne doivent pas prendre un antidépresseur, un anxiolytique. Elles doivent comprendre que ce qui leur arrive est physiologique, que cela peut être expliqué, que ce n'est pas 'dans leur tête'", conseille-t-elle.
"La prescription d'un THM avant l'âge de 60 ans ou dans les dix ans suivant le début de la ménopause a un profil risque/bénéfice favorable en cas de bouffées de chaleur invalidantes et dans la prévention de la perte osseuse ou ostéoporose. Elle est également associée à une diminution des maladies coronaires et de la mortalité cardiovasculaire. La décision de commencer un THM, son dosage et sa durée, doit être basée sur une discussion exposant les risques et les bénéfices liés au traitement. Cela doit être placé dans un contexte incluant l'amélioration des symptômes, mais aussi une amélioration de la qualité de vie", insiste la spécialiste.
Quand et comment passer d'une contraception vers un THM?
"On pourrait passer une journée à répondre à cette question!", fait remarquer la gynécologue. "Une contraception doit être assurée jusqu'à la ménopause, mais il y a un âge clé, à 50-52 ans, où il ne faut plus laisser les patientes sous une contraception orale de type oestroprogestative. Durant la période de transition ménopausique, l'axe hypothalamo-hypophysaire doit encore être freiné et nécessite donc une composition contenant un progestatif, combiné ou non à un oestrogène. Une contraception oestroprogestative durant la transition ménopausique aide à réguler les cycles, diminuer les ménorragies et les dysménorrhées, diminuer le syndrome vasomoteur dû à la baisse de production des oestrogènes, améliorer la densité osseuse, prévenir l'hyperplasie endométriale, apporter une protection oncologique (côlon, endomètre, ovaire). Une contraception progestative seule (DIU au lévonorgestrel, implant,POP (progestative only pill)) aidera pour les mêmes indications, mais ne protègera pas des bouffées de chaleur ni de la perte osseuse."
Quand et comment peut-on/doit-on arrêter le THM?
"Quand j'ai commencé mon assistanat en gynécologie, on disait que le THM devait durer cinq ans pour accompagner les premières années de difficultés", rappelle Anne Firquet. "Ensuite, on s'est rendu compte que si la patiente était bien suivie, on pouvait le laisser plus longtemps. Et puis, on a dit 65 ans. Mais pourquoi à ce moment-là? C'est la retraite, donc les patientes voyaient leur THM arrêté en même temps qu'elles ne travaillaient plus et elles n'étaient pas très contentes de se sentir moins en forme."
"Dès lors, on s'est demandé pourquoi arrêter arbitrairement à 65 ans? Désormais, notre recommandation est de faire une prise en charge individualisée des patientes. Il n'y a plus spécialement d'âge d'arrêt de la substitution. Aucune limite arbitraire ne doit être imposée concernant le dosage et la durée du traitement. Bien sûr, les doses cumulées doivent être prudemment étudiées avec les densités mammaires et les mammographies, il faut informer les patientes de cette balance risque/bénéfice. Une réévaluation annuelle ou bisannuelle est recommandée."
Traitement de substitution ou pas?
La gynécologue ajoute que, dans la prise en charge de la ménopause, l'approche individuelle doit accorder une attention particulière aux conseils concernant le style de vie incluant les mesures diététiques et l'activité physique.
Quant à savoir s'il faut opter pour un traitement hormonal de la ménopause ou pas? "Pour les femmes de moins de 60 ans et ayant moins de dix ans depuis l'installation de leur ménopause, sans contre-indication, le rapport risque/bénéfice est favorable à l'instauration d'un THM dans le cadre de bouffées de chaleur invalidantes ou dans la prévention de la perte osseuse ou ostéoporose. Les patientes âgées de plus de 60 ans ou dont la ménopause remonte à plus de dix ans ont une balance risque /bénéfice moins favorable car le risque absolu au niveau des maladies coronariennes, des accidents vasculaires est plus élevé", conclut la Dre Anne Firquet.
Repenser le traitement hormonal de la ménopause
Suite à la publication initiale des résultats de l'étude WHI, l'utilisation du traitement hormonal de la ménopause (THM) a considérablement diminué dans le monde entier. Une équipe belge a ainsi montré qu'à la fin de l'année 2010, le taux d'utilisation du THM par les femmes âgées de 45 à 69 ans était inférieur à 10% dans 17 pays européens, à l'exception de la Finlande [1]. Selon des chiffres de l'Inami, en 2022, environ 100.000 patientes, soit 1,2 à 1,5% de la population féminine, prenaient un médicament remboursé dans la prise en charge de la ménopause.
"Aujourd'hui, il est difficile pour de nombreuses femmes de trouver un médecin suffisamment expérimenté pour prescrire des hormones, sans parler du traitement adéquat des symptômes de la ménopause. Il est temps de réactiver notre intérêt pour l'hormonothérapie dans la prévention des maladies cardiaques et vasculaires, de l'ostéoporose, de la démence, du cancer du sein...", estime la Pre JoAnn Manson (Université de Harvard, États-Unis) dans ses commentaires relatifs au dernier rapport sur les essais de la Women's Health Initiative (WHI), publiés en mai [2].
Quels sont les messages cliniques à retenir, notamment sur l'hormonothérapie et la supplémentation en calcium et vitamine D chez les femmes ménopausées? "Dans l'ensemble, les résultats ne suggèrent pas une réponse unique pour ces interventions. Elles ne devraient pas être universellement recommandées à toutes les femmes ménopausées. Cependant, certaines ont bénéficié de ces interventions, et les résultats soulignent l'importance de soins de santéindividualisés et personnalisés, ainsi que d'une prise de décision partagée avec la patiente", concluent les auteurs.
"Toute une génération de femmes n'a pas reçu de traitement (hormonal) efficace pour les troubles de la ménopause en raison d'une communication médiocre ou incorrecte sur l'utilisation des hormones", souligne JoAnn Pinkerton (North American Menopause Society). "Je vois de plus en plus de femmes en périménopause qui ont l'impression que leurs symptômes ne sont pas pris en compte. Par conséquent, les femmes ignorent souvent qu'il existe de nombreux médicaments, hormonaux ou non, qui peuvent atténuer ces symptômes. Les prestataires de soins de santé ne mentionnent pas non plus les changements de mode de vie qui pourraient aider, comme une alimentation plus saine, l'exercice physique régulier et la réduction de l'alcool et du stress."[3]
[1] Maturitas 2014 ; 79(3): 287-91
[2] JAMA. 2024 ; 331(20): 1748-60
[3] The Washington Post, 7 mai 2024.